77. Super Jade à la rescousse

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Jade

Je tambourine à la porte, à la fois ivre de rage et totalement paniquée, essoufflée par l’effort que je produis depuis déjà bien trop longtemps à mon goût.

J’ai vu tout ceci dégénérer depuis la petite fenêtre de ma cellule. J’ai vu tout le courage des villageois, hommes comme femmes, se dressant face aux gardes pour leurs convictions. Pour moi. Pour eux. Pour leurs enfants. Pour l’île. C’était beau, fort, poignant. Je crois n’avoir jamais été aussi fière de vivre ici qu’à cet instant où hommes et femmes étaient réunis dans un seul et même objectif : revendiquer leur désaccord.

Je pourrais être flattée de tout ceci, mais je suis surtout reconnaissante envers Liz et Malcolm. Je sais que cette idée vient d’eux, Liz m’a déjà parlé de ses folies sur le Continent, d’ailleurs j’en avais bien ri. Pour le reste, j’ai conscience que les villageois ne font pas tout ça parce que c’est moi, mais parce que je suis leur médecin et qu’ils ont besoin d’être suivis. Peu m’importe, tout ce qui ressort de ceci, c’est le soulèvement, la fronde contre un Conseil aux pleins pouvoirs.

Du moins, c’était tout ce que je souhaitais retenir, jusqu’à ce que ça dégénère.

— Laissez-moi sortir ! Il faut qu’il soit soigné ! hurlé-je à m’en casser la voix pour la dix ou quinzième fois, je ne saurais dire.

J’arrête de tambouriner et retourne à mon poste d’observation. Je ne vois pas grand-chose d’autre que toutes ces têtes, tous ces corps debout et unis, et ces gardes menaçants, mais un trou au milieu de la foule me confirme que Clément est toujours à terre. Liz et Malcolm ayant disparu des radars, j’imagine qu’ils sont avec lui. Marco a totalement vrillé. Cette violence est pétrifiante, révoltante, même. Tout le monde semblait pacifiste. Je ne sais d’ailleurs pas ce qui est passé par la tête de Clément, je n’entendais pas ce qui se disait. Pour autant, je crois que la réponse à cet acte déjà répréhensible a quand même largement dépassé le stade de l’acceptable.

Je sursaute en entendant la porte s’ouvrir dans mon dos et me fige en voyant l’homme qui s’est pris le premier coup. Il a la pommette rougie et devrait se taper un joli cocard. Est-ce que ça m’attriste ? Pas vraiment… Je suis enfermée ici depuis déjà bien trop longtemps à mon goût pour qu’il puisse m’arracher la moindre seconde d’empathie.

— Laissez-moi aller l’examiner ! Il a besoin de soins !

— Dépêche-toi, Jade, on a besoin de toi, crie une voix derrière lui. Clément est vraiment mal et il faut que tu viennes !

Amen ! Il était temps, bon sang ! Je me garde de tout commentaire et sors de ma petite chambre peu confortable, surprise de tomber sur des villageois. Je n’avais même pas remarqué qu’il en manquait d’autres que Liz et Malcolm, dans l’attroupement, mais je ne me fais pas prier et les suis dans le dédale de couloirs pour gagner le rez-de-chaussée

— Il me faut une trousse médicale, grimacé-je en me retournant en direction du mec du Conseil qui me colle un sac dans les bras sans aucune douceur.

Magnifique. Comme si c’est lui qui devait être en colère.

— Vous devriez mettre de la glace, marmonné-je avant de dévaler les escaliers extérieurs pour rejoindre l’entrée.

Je crois n’avais jamais autant entendu mon prénom qu’à l’instant où les villageois se rendent compte que je suis là, mais je ne prends pas le temps de m’émouvoir de leurs sourires mêlés d’inquiétude, et profite du mouvement de foule qui me permet de gagner le blessé sans attendre.

Mon dieu, le pauvre.

J’ai un instant d’égoïsme pur lorsque je plonge mon regard dans celui de Malcolm. Juste quelques secondes d’une sérénité qui m’a manqué, un petit sourire rassurant, sincère, mille mots échangés sans une parole, avant de m’agenouiller aux côtés du blessé. Je me dépêche de fouiller dans le sac et récupère une lampe-stylo, teste la réaction de ses pupilles et bougonne déjà. Il est dans un sale état. Autour de nous, le silence s’est épaissi, c’en est flippant, mais bien pratique lorsque je me munis du stéthoscope pour poursuivre mon examen. Sa respiration est difficile et je palpe ses côtes en me disant que Marco mériterait une jolie correction, ou au moins de prendre ma place en cellule. Il a carrément déraillé, c’est fou !

— Il a besoin d’examens complémentaires, je ne peux rien faire avec ça. Il a au moins une côte cassée, un trauma crânien, murmuré-je plus pour moi qu’autre chose en repoussant la trousse. Bouge tes doigts et fais-moi voir la blessure, Malcolm.

Mon amoureux s’exécute et je grimace face à tout ce sang, sans parvenir à réprimer l’élan de culpabilité qui m’assaille. Il est dans cet état par ma faute. Nouvelle exploration du sac et j’en sors des compresses que j’applique dessus avant de prendre la main de Malcolm dans la mienne et de la reposer dessus.

— N’appuie pas trop fort, j’arrive. Vous êtes totalement fous, tous les deux, lancé-je avec un petit sourire en direction de mes acolytes avant de me lever pour retrouver le gars du Conseil. Il faut faire une radio de son thorax et vérifier la gravité du traumatisme crânien. Il doit être rapatrié au Conseil pour ça. Civière, minerve, et des bras.

— Ça fait du bien de te retrouver, Jade, répond Malcolm de sa belle voix grave qui m’a tant manqué. Et pas que pour soigner les blessés, ajoute-t-il en me faisant un petit clin d'œil.

— J’aurais aimé que ce soit dans d’autres circonstances, soufflé-je alors que Liz me saute dessus pour m’étreindre avec force. Vous êtes vraiment complètement dingues !

— Super Jade ! Tu vas tous nous sauver ! Ça fait trop plaisir de te retrouver ! Mais arrête un peu de baver sur Joli Cul et fais ce qu’il faut pour sauver Clément, bordel.

— Je ne peux rien faire sans davantage d’examens, et ils ont l’air aussi pressés de ramener une civière qu’un gosse d’aller au tableau devant toute la classe.

Je sursaute en sentant deux corps m’enlacer étroitement et souris en étouffant littéralement dans l’étreinte de mes mères. Oh bon sang… Il ne faut pas que ça vire au mélodrame parce que je vais pleurer comme un bébé, moi. Et puis, outre le plaisir d’être ainsi lovée contre elles, un sentiment de frustration me gagne, visiblement partagé par mon amoureux. J’ai envie de son câlin à lui, j’en ai même besoin, mais pas ici, pas maintenant…

Quand un garde débarque avec la civière, je dépose une bise sur leurs joues et m’accroupis pour aider à installer Clément délicatement. Liz en profite pour annoncer à tout le monde que Clément est en mauvais état, ce qui fait monter les murmures dans l’assemblée, mais je suis trop occupée à m’inquiéter pour mon patient, toujours inconscient alors que plusieurs gardes soulèvent la civière pour se diriger vers le bâtiment.

Je lance un dernier regard à Malcolm, attrape sa main et la serre rapidement dans la mienne avant de suivre le petit groupe, espérant pouvoir aider au mieux Clément. Ce qui n’est pas garanti, assurément. Et je crois que, dehors, ils l’ont compris, parce que la manif reprend du poil de la bête alors que les portes se ferment derrière moi.

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