78. Passage en force
Malcolm
Jade est vivante et je l'ai vue ! On s'est même touchés, bien que ça a été trop bref. Quel bonheur de la retrouver ! Quelle joie de constater qu'elle est toujours habitée de la même détermination ! Mais elle est déjà repartie et, un peu hébété, je constate que tous les gardes ont profité de l'agitation provoquée par l'apparition de notre Doc pour se réfugier dans le bâtiment du Conseil.
— Putain, Liz, je crois qu'on s'est fait avoir ! Tu penses qu'il y a certains d'entre nous qui ont réussi à entrer ? Sinon, on est revenus au point de départ !
Je regarde, un peu désespéré, les grandes portes à nouveau refermées et me demande ce que nous pouvons faire et surtout, jusqu'où les autres sont prêts à s'engager.
— Tous ne sont pas ressortis avec Jade, il en reste à l’intérieur… Je ne sais pas trop ce qu’ils vont faire, mais le cheval de Troie est en place, me lance-t-elle avec un sourire en coin.
Elle, au moins, est toujours d'attaque ! Et je crois que toute cette situation l'excite tellement elle a l'air d'apprécier les choses.
— Les amis, harangué-je la foule. Ne nous arrêtons pas là ! Ils se sont réfugiés à l'intérieur, les couards ! Et ils ont emmené Jade avec eux ! Libérons la Doc ! Libérons l'île !
Je me surprends moi-même à prendre ainsi la parole devant tout le monde, à me transformer en leader de groupe.
— Il faut qu’on entre aussi, Malcolm, marmonne Liz. On doit montrer qu’on est prêts à tout.
Je suis d'accord avec elle et je ne suis pas le seul, apparemment. Je vois des hommes tenter la force brute contre les grandes portes et un groupe plus restreint s'attaquer à une fenêtre qui se brise rapidement. C'est une des mères de Jade qui se glisse à l'intérieur par l'ouverture ainsi créée, sûrement galvanisée par sa volonté de secourir sa fille. J'ai l'impression que nous ne contrôlons plus grand-chose.
Quand enfin la porte s'ouvre, les gardes présents n'opposent plus aucune résistance et je m’engouffre à la suite de Liz dans le bâtiment qui abrite nos dirigeants. Peu d'entre nous connaissent l'intérieur et nous nous dispersons vite pour retrouver Jade. J'aborde un garde apeuré qui cherche à s'éclipser et le retiens par le bras.
— Hop, hop, hop, doucement mon gaillard. Elle est où, la Doc ? Tu ne pars pas tant que tu ne m'as pas renseigné !
— Heu… Je… bafouille-t-il en évitant mon regard. Aile gauche, rez-de-chaussée.
— Viens, Liz, Jade est par là !
Je la tire par la manche et nous prenons la direction indiquée en courant. J'espère qu'il ne nous a pas menti mais nous le saurons bien assez vite.
Nous débarquons dans un grand salon circulaire et sommes accueillis par des cris effrayés. Trois couples se sont rassemblés dans un coin entre deux grandes bibliothèques et ce qui me frappe immédiatement, c'est qu'aucune de ces paires est homosexuelle.
— Qui êtes-vous ? aboyé-je avant de reconnaître Edgar qui serre une femme de l'âge de son fils dans ses bras.
— Mais qu’est-ce que vous faites là ? s’étonne Edgar.
— Nous, on vient mettre fin à vos conneries ! Vous êtes tous membres du Conseil, non ? Et tous en couple ? J'en reviens pas que vous soyez pourris comme ça ! Et je suis sûr qu'on va bientôt découvrir que le respect de l'environnement est secondaire ici ! m'emporté-je avant de l’interroger froidement. Où est Jade ?.
— Tout ceci ne vous regarde pas. Nous savons comment gérer l’île et respecter l’équilibre, c’est tout ce qui compte, lance-t-il platement.
Alors que je me précipite vers lui, le poing levé, prêt à lui faire ravaler sa fierté mal placée, Liz me retient et m'empêche d'armer mon coup.
— Arrête ça, Malcolm, la violence ne résoudra rien. Il y en a eu largement assez aujourd’hui, tu ne crois pas ? Allons chercher Jade…
Elle a raison et je me contente de repousser avec force Edgar qui s'est rapproché de moi avant de poursuivre notre chemin plus profondément dans le bâtiment. Je suis dans une rage folle. Tout ce en quoi nous avons toujours cru est en train de s'effondrer. Quand je pense qu'ils ont osé recycler Oliver et Zoé tout en continuant leurs petites manigances de leur côté, j'ai juste envie de les massacrer. Jamais, je n’ai ressenti une telle colère !
Nous continuons à avancer dans ce qui ressemble de plus en plus à un palais bâti autour des idées de luxe et de confort et pas du tout pour le respect de l’écologie et des principes qui fondent notre société. C’est fou ce décalage qui existe entre le Conseil et nous. Avec Liz, nous ouvrons les portes une à une, à la recherche de Jade, tout en l’appelant à intervalles réguliers. Lorsque une poignée me résiste, je ne m’embarrasse pas et la force sans trop de difficultés. Ils étaient tellement sûrs d’eux qu’ils n’ont rien sécurisé, ici, vraiment.
Lorsque je pénètre dans une salle d’eau, mes yeux s’écarquillent devant le luxe et les installations qui sont présentes.
— Liz, viens voir ! On dirait le paradis de la déperdition d’eau !
Elle me rejoint et ouvre à son tour de grands yeux devant le spectacle. J’ai l’impression qu’il s’agit d’une piscine intérieure avec un spa et un jacuzzi mais tout est immense. On pourrait loger quatre ou cinq ménages ici. Et tout ça pour pouvoir se délasser dans l’eau alors que nous sommes limités dans nos douches à six minutes et trente-cinq secondes selon les calculs très savants d’un scientifique du Conseil.
— Putain de bordel de dieu, les enfoirés ! Je vous l’avais dit, que ce Conseil, c’était des foutaises !
Je souris à la délicatesse des propos de la réfugiée et me dis que cela a au moins le mérite de diminuer la colère que je ressens de plus en plus au fil de nos découvertes. Nous reprenons notre exploration et j’entends enfin Jade crier et donner des ordres aux personnes présentes et qui l’assistent dans la prise en charge de Clément. Je me précipite dans la pièce et la découvre, une aiguille à la main, masque chirurgical sur le nez, en train de s’occuper du jeune homme.
— Oh, Jade ! Te voilà ! On croyait t’avoir perdue à nouveau ! Comment va le blessé ?
— Malcolm, souffle-t-elle, entre soulagement et lassitude. Il va aussi bien que possible, vu les circonstances. Les prochaines heures seront déterminantes, mais je suis confiante.
— Tu l’as sauvé ! C’est super ! m’enthousiasmé-je en posant mes mains sur ses hanches pour me coller à son dos.
— Super Jade encore à l’action ! Je te disais, Joli Cul qu’il fallait la sauver ! Toi, tu hésitais à intervenir, se moque Liz.
— Ah oui, tu hésitais ? Heureusement que Liz était là, alors, sourit ma jolie doc en posant sa tête contre mon torse avant de soupirer. C’est quoi, la suite du programme ?
— On n’a pas réfléchi jusque-là, Chérie. Mais vu le comportement des membres du Conseil, je sens que les choses vont changer. Je crois qu’on n’a plus à chercher à quitter l’île, mais il va y avoir du boulot à tout reconstruire sans perdre ce qui faisait notre fierté, la protection de l’environnement.
— J’espère… Je voudrais juste… qu’on arrête de stresser, qu’on profite de tout ce qui nous arrive de plus beau, qu’on savoure tout ça plutôt que d’avoir peur de ce qui va nous arriver.
— Ecoute, je te propose déjà de savourer ta remise en liberté et d’afficher devant tout le monde notre relation. Ensuite, on improvisera. Ou, comme dirait Liz, putain de bordel de merde, on les a eus !
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