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J'écoute ta maman, Tombeau, pendant des heures. Elle raconte le chemin vers l'amour, vers la paix d'elle-même, la quête du sens. Elle me dessine mon thème astral, me conte avec douceur ma vie de Poisson. Elle a des mains d'aquarelle, des mains qui diluent le rouge et le bleu douloureux, des mains qui savent cueillir l'eau, des mains qui guident les larmes vers la lumière, dépigmentent les plaies. Des mains nourricières. Elle nous montre ses oeuvres et ça me renverse.

Et puis tu décides de devenir photographe. Voilà que tu peins, toi aussi. Figes des femmes qui ne sont pas moi, les traduis dans un nouveau langage. Je n'arrive pas à te dire que je te trouve doué. Je suis admirative sous mon orgueil, terrorisée à l'idée que tu te détournes de moi. J'aimerais être digne d'être peinte. Ce que je ne vois pas, c'est que tu as peur de me décevoir, de ne pas être à la hauteur de ce que tu vois en moi. Alors tu t'entraînes ailleurs. Tu n'essaies presque pas, avec moi. Quelques clichés que tu m'offres parfois où je me défends de ne pas être jolie, d'avoir des traits grossiers. Je ne vois même pas ton travail, le temps que tu as passé pour retranscrire mes ombres et mes lumières, pour raconter avec tes couleurs mon histoire que tu connais par coeur. C'est plein de mépris mais tu réponds quand même avec tendresse "Pourtant, tu es si belle, Abysse", t'excusant presque de n'avoir pas suffisamment bien travaillé pour que je puisse le voir. Et tu retournes dans ton petit laboratoire. J'enrage : "putain, peins-moi, Tombeau, qu'est-ce qu'elles ont de plus que moi ?".
Tu voudrais me dire : "elles ne font pas peur, Abysse, je ne donnerais pas ma vie pour qu'elles puissent voir à travers mes photos toute la beauté que je lis en elles".
Mais je ne l'entendrais pas.

Je balance "Tu perds ton temps, c'est pas de l'art et ça n'a aucun sens, ce que tu fais".
"Qu'est-ce qui est de l'art, selon toi, Abysse, alors ?", tu demandes.
"Pas ça".
Ca te blesse mais tu n'insistes pas.
Pas ça.

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