Il se rua sur la porte encore ouverte du wagon et grimpa les quelques marches qui le séparait de la plateforme. Il ne put reprendre son souffle que déjà, le « bip » indiquant la fermeture emplissait les lieux. Il regarda sa montre tout en s’accrochant à la barre métallique en face de lui : 6H26. Une minute de plus et il loupait son train, encore.

Epuisé par sa course, il se mit en quête d’une place. Sondant le wagon du regard, il vit son siège fétiche occupé. Déçu, il se résigna à s’asseoir aux côté d’un trentenaire en costume, un MacBook déjà ouvert sur la tablette en face de lui. Mathieu ne comprenait pas ce genre d’individu. Il ne pouvait envisager de commencer ses activités en dehors de son temps et lieu de travail, encore moins à une heure pareille. Il ne pensait qu’à une chose, arriver au bureau et boire ses trois cafés matinaux. Mais ce dont il avait réellement besoin à cette heure-ci, c’était de pouvoir se détendre côté fenêtre, en regarder le paysage défilé. Mais aujourd’hui, il allait devoir se contenter de son voisin, « Monsieur Businessman ».

Mathieu fouilla dans la poche de son manteau à la recherche de ses écouteurs et entreprit d’en démêler les fils. Il les vissa à ses oreilles et se laissa bercer par la musique. Ne pouvant contempler le paysage, il se mit à regarder autour de lui : des femmes, des hommes, pour la plupart des actifs ou des étudiant, parfois des ados. Certains tiraient des gueules d’enterrement, les autres, des gueules cernées et tirées par la fatigue. Il souffla et s’enfonça un peu plus dans son siège. Un de ses morceaux préférés débuta : Breezeblocks du groupe alt-J. Aux premières notes de musique, il se tourna vers la place qu’il a pour habitude d’occuper.

Son cœur loupa un battement au moment où il la vit. La première chose qu’il remarqua chez elle fut ses yeux. Des iris bleu-vert fixant les champs qui s’étalaient à perte de vue. Le soleil, à travers les vitres posaient quelques rayons orangés sur son visage. Un nez fin et des lèvres charnues venaient compléter ce magnifique profil. Sa chevelure bouclée venait contraster avec sa peau pâle : des mèches châtains, certaines auburn, d’autres couleur miel. Elle semblait jeune, la vingtaine ; peut-être une étudiante. Elle ne portait presque pas de maquillage et était habillé de manière très simple : un pull, un perfecto en cuir, un jean. Tout était noir à l’exception de ses Doc Martens bordeaux. Mathieu la contempla pendant ce qui aurai pu être une éternité pour les autres, mais une fraction de seconde pour lui. Il était envouté par cette beauté si naturelle et ne pouvait détacher son regard. Jamais aucune femme n’avait retenu à ce point son attention, il ne voyait qu’elle. La jeune femme arborait une expression à la fois dure et de délicate, ajoutant du charme à ses traits. Il laissa son regard glisser sur ses courbes parfaites. Elle n’avait toujours pas remarqué les prunelles de Mathieu posées sur elle, trop occupée à scruter l’horizon, son casque audio sur les oreilles. Il rêvait de pouvoir s’approcher d’elle, la contempler, lui parler, toucher du bout des doigts ses lèvres rosées. Dans un moment de lucidité Mathieu se remercia de ne pas avoir pensé ceci à voix haute.

Elle se pencha en avant afin de récupérer son sac et y ranger son casque audio. Ce mouvement le coupa dans sa contemplation, il fit de son mieux pour détourner le regard. Mathieu en profita pour regarder autour de lui et perçu une certaine agitation dans le wagon. Il venait d’arriver à la station des université. Avant qu’il ne se rende compte de quoi que ce soit, il vit la jeune femme sortir et les portes se refermer derrière elle. Il ordonnait à ses muscles de se mettre en mouvement, mais lorsqu’il bougea le train repartait déjà vers sa prochaine station.

Ce jour là Mathieu se fit une promesse : plus jamais il ne sera en retard pour prendre le train de 6H27.