Chapitre 2

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Elle n'avait rien entendu et pourtant, elle devait bien s'être déplacée d'une manière ou d'une autre. Mais c'était comme si elle était apparue de nulle part.

" Tu es perdue ? Ou bien tu cherches quelqu'un ?"

Aléna se retourna précipitamment et retint un cri qui aurait pu réveiller le quartier du Bac. La personne qui se trouvait là était une vielle femme, sûrement la soixantaine ou peut-être plus, dont les longs cheveux blancs étaient attachés dans la tresse traditionnelle de la ville. Elle avait la peau mate et ridée et ses yeux perçants étaient aussi gris que la pierre.

" Qui êtes-vous ?" s'écria Aléna en reculant contre la porte. Ses yeux étaient écarquillés par la peur et elle tremblait de tous ses membres.

" Mon nom est bien trop compliqué pour une fille comme toi, mais tu peux m'appeler Madame Figue. Tu cherches un endroit où coucher et moi je cherche une apprentie. Voilà qui nous arrange toutes les deux. Maintenant suis-moi."

Aléna n'osa pas riposter, qu'aurait-elle bien pu dire?

Il était vrai qu'elle avait besoin d'un endroit où dormir et si cette étrange dame était prête à l'accueillir alors pourquoi pas. Si elle n'avait pas été si fatiguée, elle aurait pu réfléchir aux risques qu'elle encourait à suivre une étrangère, surtout à Stagj. Mais le destin en avait décidé autrement et la vie d'Aléna s’en retrouva changée à jamais.

La vieille dame la conduisit à travers rues et ruelles. Aléna ne connaissait pas suffisamment la ville pour reconnaître les quartiers qu’elles traversaient mais elles se dirigeaient vers le sud de la ville, à l’opposé de la maison de Sadde. Au fur et à mesure qu’elles avançaient, les rues se faisaient plus sales et les murs plus sombres. Aléna se demanda quel type d’apprentissage la vielle femme lui proposerait. Un sentiment d’inquiétude s’empara d’elle et s’insinua dans son corps.

« Quand j’en aurais fini avec toi, tu ne trembleras plus jamais de peur. » murmura Madame Figue sans se retourner.

Lorsque la lumière de la lune se fit plus intense, Madame Figue s’arrêta. Elles se trouvaient dans une bicoque de pierre grise à deux étages et au toit bas. La vieille femme sortit une grosse clef de fer de la poche de sa robe marron qui tombait sur de gros godillons noirs. La porte s’ouvrît dans un grincement laissant apparaître un intérieur sombre et puant dont les meubles recouverts de poussières semblaient moisir depuis des lunes.

« Ne fais pas attention, ce qui nous intéresse est à l’étage. »

Elle dirigea Aléna vers le fond de la pièce où se trouvait un vieil escalier en bois. La jeune fille suivit Madame Figue qui montait difficilement les marches jusqu’à arriver dans un grenier éclairé par la faible lumière d’une bougie de cire. A l’étage, se trouvait un vieux lit de bois recouvert d’une couverture de grosse laine verte. Mais surtout, il y avait plusieurs tables recouvertes de fioles de toutes les couleurs. Il y en avait tellement qu'Aléna ne savait pas où poser son regard. Des bibelots, des vases, des verres, tant de récipients qui contenaient des liquides étranges. Et au plafond, des herbes pendaient ainsi que des fruits et des fleurs.

« Tu viens d’entrer dans mon repère ma jolie. Maintenant dis moi, quel est ton nom ? »

« Aléna… »murmura-t-elle « Qu’est ce que c’est que tout ça ? »demanda-t-elle.

« Vois-tu, je suis une guérisseuse. Disons plus honnêtement, la seule guérisseuse du quartier de Franc-Pâle. »

Franc-Pâle, Aléna en avait entendu parler comme étant le quartier des mendiants et des bandits. Ceux qui vivent de contrebande et de vols. Dans quoi s'était-elle encore embarquée ?

« Je vais t’installer un tas de paille là-bas dans le coin, pour le moment va te réchauffer près du feu, tu m’as l’air frigorifiée. »

Aléna se dirigea vers la cheminée en pierre à l'opposé du lit et réalisa qu’elle avait terriblement froid dans sa pèlerine en laine. Le feu lui brûla la peau lorsqu’elle s’approcha un peu trop près de la flamme vacillante mais elle n’y fit pas attention. Elle avait bien trop peur de ce qui allait lui arriver avec cette étrange dame.

Cette dernière avait sorti une grande couverture verte, identique à celle déjà posée sur le lit qu'elle déposa sur un tas de paille. " Dors maintenant. Demain nous commençons l'apprentissage."

" Mais, et mon travail chez monsieur Saucevinarde, à l'auberge ?" demanda Aléna encore trop fatiguée pour réaliser pleinement la situation.

" Oh mais tu iras, tu iras…" répondit Madame Figue.

Aléna n’osa pas répondre, elle était bien trop fatiguée par la marche dans le quartier de Franc-Pâle et par sa journée à l’auberge. Étrangement, elle ne se sentait pas inquiète, elle avait encore cette innocence qu’ont les enfants. Elle voulait faire confiance à madame Figue, cette vieille dame qui l’avait accueillie chez elle sans savoir qui elle était.

Aléna se dirigea vers le tas de paille et s'endormit d'un sommeil sans rêve.

Lorsque l'aube apparut dans le ciel, la jeune fille fut réveillée brusquement. À l'instant ou elle allait ouvrir la bouche pour crier, une main rugueuse se plaça sur ses lèvres, l'empêchant d'émettre le moindre son.

" Ne t'avises pas de crier sous mon toit." ordonna une voix rauque.

C'est alors que les souvenirs de la veille, ou du matin même, revinrent en sa mémoire: Madame Figue, son apprentissage, le lit de paille.

" Tu as de la route à faire avant d'arriver au quartier du Bac. Alors debout, je ne t'y emmènerais pas. Reviens dès que tu as fini ton travail."

Aléna se redressa difficilement, elle avait horriblement mal dormi et d'un sommeil très peu réparateur. Pourtant, elle ne questionna pas l'autorité de Madame Figue, elle n'était qu'une jeune fille après tout. Elle passa ses mains sur sa vieille robe beige pour lisser les plis qui s'étaient formés durant la nuit et se dirigea vers l'escalier.

" Je t'attendrai." dit la vieille dame alors qu'elle s'apprêtait à descendre la première marche. Un nouveau frisson lui parcourut la colonne vertébrale. Dehors, une petite brume matinale recouvrait les maisons de la ruelle. Comment allait-elle trouver l'auberge du Chaudron par elle-même ? Elle avança d'un pas incertain vers le nord de Stagj.

Le quartier de Franc-pâle avait autrefois été le quartier des paysans qui travaillaient dans les champs au sud de la ville, mais très vite, à l'arrivée du commerce avec Terreneuve, les paysans abandonnèrent leurs champs et le quartier de Franc-pâle devint une terre vierge que les contrebandiers pouvaient conquérir. Elle essaya donc de traverser le quartier le plus vite possible mais sans savoir dans quelle direction elle devait aller. Elle finit par croiser une femme aux jupes grises qui essuyait le devant de sa porte avec un balais de paille.

" Excusez moi, vous savez où se trouve le quartier du Bac ?" demanda-t-elle.

" Vous êtes pas d'ici vous, le quartier du Bac c'est tout droit." répondit-elle en soupirant dans sa barbe.

Aléna la remercia et continua sa route entre le dédale de la ville. Elle traversa le quartier de Franc-Pâle avec ses anciennes maisons de pierre puis, en continuant vers le nord, elle atteignit le quartier du Bac qu’elle connaissait bien. Elle finit par arriver tout à fait par hasard devant un bâtiment de pierre qu'elle connaissait bien: l'auberge du Chaudron.

A l'intérieur, les mêmes effluves de ragoût et de bière mais le silence matinal résonnait dans la grande pièce. Aléna entra sur la pointe des pieds avec la grosse clef qu'elle portait toujours sur elle et commença à faire un petit brin de ménage avant l'arrivée de Monsieur Saucevinarde. Si elle était suffisamment efficace, il ne se rendrait pas compte qu'elle avait en réalité quelques minutes de retard. Ses vieilles habitudes effacèrent l'inquiétude de ses aventures de la veille. Préparer le ragoût dans le grand chaudron en ferraille, nettoyer les verres et les tables, tout ça l'occupa jusqu'au petit matin, heure à laquelle l'aubergiste se réveillait. Elle avait dormi deux petites heures au maximum et voilà qu'elle devait encore rester éveillée jusqu'au soir. S'appuyant sur le manche de son balais, elle s'autorisa à fermer les yeux quelques instants.

" Ce n'est pas dans tes habitudes de dormir debout." fit la voix de l'aubergiste dans les escaliers qui menaient à l'étage.

Comme à son habitude, l'auberge était pleine à craquer qu'importe l'heure de la journée et Aléna n'eut pas le temps de repenser à quoique ce soit. Elle était trop occupée à courir partout dans tous les sens pour apporter assiettes, verres ou encore torchons pour les clients les plus sales. En début de soirée, la porte s'ouvrit pour laisser apparaître un client qu’Aléna n'avait pas réussi à oublier: l'étranger aux cheveux blonds. Sans la regarder, il s'assit à une table au fond de la salle, celle qui ne bénéficiait pas de la lumière des fenêtres. Lorsque la jeune serveuse s'approcha de lui pour lui demander ce qu'il désirait, il ne répondit pas et la congédia d'un signe de la main. "Quel grossier personnage" pensa-t-elle. Mais elle avait beaucoup d'autres clients à servir et tout comme Madame Figue, l'étranger lui sortit bien vite de la tête. Lorsqu'arriva le soir, la jeune fille était lessivée et n'avait plus qu'une envie: dormir. Elle avait servi bières et ragoûts et n’avait parlé à personne. Monsieur Saucevinarde dans sa grande bonté la laissa faire tout le ménage seule et ce n'est que vers minuit que la jeune fille sortit de l'auberge. Sa vie au château lui manquait, lorsque la seule chose qui importait était le déjeuner qu’elle allait bien pouvoir prendre.

Le lendemain, c'était son jour de repos et elle avait hâte de passer la journée à se promener dans Stagj pour découvrir plus en détail le quartier du Bac et de la Muraille. Peut-être irait-elle même du côté du château de sir Mayeult, là où se trouvaient les meilleurs marchés. C'est à ce moment-là que lui revint en mémoire qu'elle ne dormait plus chez le garde muraille. Elle pensa à ne jamais retourner chez Madame Figue, à demander refuge chez l'aubergiste. Mais elle avait la certitude que la vielle femme la retrouverait qu'importe l'endroit où elle irait se cacher. D'un pas lent et désœuvré, elle se dirigea vers le quartier de Franc-pâle. Cette fois-ci, elle retrouva facilement le chemin de la vieille baraque de pierre et le chemin ne lui parut pas si long.

Arrivée devant la grosse porte, elle toqua, incertaine de la procédure à suivre pour rentrer chez la vieille. La porte s'ouvrit brusquement dans un grincement sur Madame Figue:

" Tu es enfin là. Je t'attendais. Entre, nous avons du pain sur la planche."

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