Chapitre 3

8 minutes de lecture

L'intérieur de la maison de Madame Figue était en tout point pareil à son souvenir. À l'étage, la salle de vie, où se trouvaient les produits de guérisseuse et en bas- . Aléna ne savait plus quoi faire, elle n'avait qu'une envie, c'était de s'effondrer sur le tas de paille qui l'attendait au fond de la pièce. Mais la vieille en avait décidé autrement. 

" Assieds toi." manda-t-elle en désignant une chaise branlante. " Nous avons à discuter toi et moi. Tu ne sais rien de moi et la réciproque est vraie. Je ne peux t'apprendre mes secrets que si tu me révèle les tiens et ainsi nous ne pourrons pas nous trahir l'une et l'autre." 

" Je n'ai aucun secret. Vous aurez beaucoup plus à perdre que moi en me révélant votre histoire." 

" Tu es une jeune fille intelligente" s'esclaffa Madame Figue. " Tu as raison, ne révélons rien. Mais je dois quand même t'apprendre des choses que tu dois savoir pour pouvoir travailler avec moi." 

" Avant tout" interrompit la jeune fille " Je voudrais savoir pourquoi vous m'avez choisi" 

" Ah je t'avais bien dit que tu étais intelligente, très bonne question à laquelle moi-même je n'ai pas de réponse, si ce n'est que les Dieux t'ont choisi et je crois que c'est le principal." expliqua Madame Figue

" Les Dieux m'ont choisi ?" 

La vieille guérisseuse réfléchit à la question quelques instants mais ne sembla pas vouloir y répondre. Elle continua:

" Je suis une vieille guérisseuse et on pourrait penser que j'ai toujours été vieille. Mais dans ma jeunesse j'étais à Château-Bas et j'y servais le conseil de la Basse-Plaine. À cette époque, la guerre entre la Basse et la Haute était déjà en cours depuis plusieurs années. Je servais le conseil en tant que guérisseuse bien sûr et étonnamment il y avait beaucoup de conseillers à soigner. Tu ne peux pas t'imaginer toutes les tentatives d'assassinat qu'il peut y avoir en temps de guerre. Je suis partie lorsqu'il devint évident que j'allais être entraînée dans un conflit politique, et Stagj me parut la ville parfaite." 

" Je ne comprends pas bien quel est mon rôle dans tout ça" demanda Aléna.

" J'y viens, tu n'es pas très patiente toi. D'ailleurs prend un bol de soupe ça te reginguera" dit-elle en tendant vers la jeune fille un bol rempli d'une potée aux couleurs brunâtres. "Je continue. Je suis arrivée à Stagj depuis bien longtemps et bizarrement, le métier de guérisseuse est beaucoup demandé. Je touche bientôt à ma fin, je le sens bien. J'ai besoin que quelqu'un me remplace. J'ai demandé aux Dieux et ils ont répondu que c'était le bon moment de prendre une apprentie. Alors te voila." 

" Je ne comprends toujours pas. J'ai un travail à l'auberge et je n'ai pas besoin d'un apprentissage de guérisseuse. Vous devez vous être trompé de personne, je ne suis pas celle qui vous faut."

" Détrompes toi. Tu es exactement celle qu'il me faut. Pas besoin de quitter ton travail, il te servira tu verras. Nous utiliserons tous tes jours de congés pour ton apprentissage. Et maintenant dors, tu auras besoin de toute l'énergie nécessaire pour emmagasiner toutes les informations que je vais te donner.”

Aléna ne questionna pas les paroles de la vieille malgré le fait qu'elle ne comprenait définitivement pas ce qu'elle faisait là. Pourquoi devait-elle devenir guérisseuse ? Mais à l'instar de la veille, elle n'eut aucun problème à trouver le chemin du sommeil et elle s'endormit roulée en boule sur sa couverture de laine.

Le lendemain matin, Aléna fut réveillée à l'aube par Madame Figue qui la secoua énergiquement.

" Tu apprendras vite à te réveiller aux aurores avec moi." s'exclama la vieille dame en tendant un bout de pain sec et un gobelet d'eau chaude. Aléna accepta la nourriture avec faim et dévora son petit déjeuner en enfilant sa seconde robe propre. Étonnamment, elle avait hâte de découvrir ce que Madame Figue pourrait bien lui apprendre. Son jour de repos ne lui avait jamais paru autant amusant. Il fallait aussi avouer que même si Aléna faisait plus que son âge, elle ne devait pas avoir plus de treize ans et cette excitation d'enfant la prenait quelquefois. 

" Pourrais-tu nommer les herbes qui se trouvent au plafond ?" commença Madame Figue. 

La jeune fille leva la tête et observa en détail la multitude de plantes qui se trouvaient accrochées. Elle reconnut la livèche qui était utilisée dans le ragoût de M. Saucevinarde mais elle n'aurait pas pu dire ses vertus à part celle d'apporter un arrière goût de céleri. 

" Juste au-dessus de moi, c'est de la livèche." proclama-t-elle.

" Hum, on lui connaît des vertus digestives mais ce n'est pas la plus intéressante. Peux tu en citer d'autres ?" 

Aléna ne savait pas quoi répondre. Elle ne s'y connaissait pas beaucoup  niveau plante à part les tubercules qu'elle mettait tous les jours dans le ragoût au vin de l'auberge.

Son regard devait en dire long car Madame Figue soupira. " Bon nous aurons beaucoup à apprendre." murmura-t-elle. "Maintenant regarde. Devant toi, la plante que tu vois avec des petites fleurs jaunes c'est du millepertuis. C'est une plante très utile pour les brûlures ou les problèmes urinaires. Juste derrière tu trouveras la sauge qui traite les convalescents et réduit les sueurs. Et puis là sur ta gauche, l'angélique dont un simple cataplasme de ses fleurs neutralise les venins." 

Aléna suivait des yeux le doigt osseux de la vieille femme qui désignait tantôt des herbes vertes et fraiches, tantôt des fleurs dans des paniers. La leçon continua ainsi durant toute la journée au grand émerveillement de la jeune fille qui faisait de son mieux pour mémoriser les moindre détails. Des plantes furent détachées, observées et analysées. Aléna suivait Madame Figue dans tous les recoins du petit grenier.

À la fin de la journée, la jeune fille se sentait complètement vidée de son énergie, un peu comme si un raz- de-marée lui était tombé dessus. Elle avait accumulé tant de connaissances qu'elle avait peur de tout oublier le lendemain même. 

" Tu as bien travaillé ma p'tite. Demain, tu iras travailler à l'auberge et j'aimerais que tu écoutes très attentivement ce que je vais te dire. Lorsque tu seras dans la salle, avec les clients, apprends à écouter leurs discussions sans espionner. Apprends à mémoriser sans oublier. Apprends à être là sans vraiment l'être, comme un esprit invisible de la forêt de Chaux." 

Aléna acquiesça sans vraiment comprendre les mots de sa bienfaitrice, que pourraient bien pouvoir dire les habitants de Stagj qui soit intéressant ?

Après un repas léger prit sur la grande table, entouré par les restes de plantes et d'onguents, Aléna alla se coucher entre les plis de sa grande couverture verte et dormi d'un sommeil rempli des histoires de Madame Figue.

Les jours qui suivirent passés à l'auberge se déroulèrent sans encombre. Aléna retrouva ses habitudes dans la chaleur étouffante de la salle. Mais au fond d'elle-même, elle était de nouveau une héroïne dans les étranges aventures pleines de plantes et de blessures de Madame Figue. Elle révisait en servant les bières, en préparant la soupe, en nettoyant la salle. Elle attendait avec impatience son jour de repos durant lequel elle pourrait reprendre ses leçons. Bien sûr, elle n'avait pas oublié l'étrange consigne de la vieille dame et elle laissait parfois traîner une oreille lorsqu'elle passait un peu trop près d'une table en pleine discussion. Mais ce qu'elle entendait ne l'intéressait guère. La Plaine était plus que jamais divisée et la guerre avec la Haute s'éternisait. On disait même que cette guerre ne cesserait que si l'un des deux conseils était mort. Loin des combats et de Château-Bas, Stagj ne recevait que des rumeurs de ce qu'il pouvait bien se passer plus au nord. Toutes ces histoires de guerres n'inquiétaient pas Aléna, elles semblaient se passer si loin. Et pourtant Madame Figue s'y intéressait tout particulièrement et il arrivait qu'elle interroge la jeune fille pour plus d'informations. Leurs soirées, passées autour de la grande table, émerveillaient la jeune Aléna. Madame Figue racontait des histoires sur sa mystérieuse jeunesse à Château- Bas. Aléna apprit les rouages du conseil de la capitale : Sir Theobald Livraux et son fils Neven étaient à la tête du conseil de la Basse-Plaine. À l'opposé Sir Mayeult qui dirigeait la ville de Stagj n'était rien d'autre qu'un petit chef de campagne. 

" Aléna arrête de dormir sur place et va servir la table du fond." s'écria monsieur Saucevinarde en secouant la jeune fille par ses frêles épaules. 

Aléna sortit de ses rêveries en sursaut. Elle ne s'était pas rendue compte qu'elle s'était laissé prendre dans ses pensées.

La table du fond de l'auberge était tout le temps dans l'obscurité et loin des courants d'air froid de la porte. La plupart du temps, des habitués du lieu l'occupaient quand ils avaient envie de garder leur affaires secrètes. Ce jour-là, la table était prise par deux hommes d'une cinquantaine d'années, encapuchonnés dans des pèlerines noires qui leur recouvraient le visage. À l'approche de la jeune fille, leur conversation s'arrêta brusquement et tous les deux baissèrent la tête si rapidement qu’Aléna n'eut pas le temps de percevoir leur visage en détail. Elle déposa délicatement les deux énormes pichets de bière sur la table et s'éclipsa rapidement. C'est à cet instant qu'elle percuta un corps qui lui barrait le chemin. La personne en face d'elle était bien plus grande que la frêle petite fille et cette dernière dut lever la tête pour regarder à qui elle avait affaire. Elle retint un cri de surprise quand elle reconnut l'étranger blond qu'elle avait déjà croisé par deux fois dans l'auberge. Elle baissa la tête, fit une petite courbette d'excuse et prétendit ne pas voir lorsque le jeune homme alla s'asseoir à la table des deux hommes mystérieux. Le soir, lorsqu'elle fit son rapport quotidien à Madame Figue qui épluchait des tubercules pour le souper, elle n'omit pas de préciser qu'un garçon de la Haute-Plaine était par trois fois venu à l'auberge du Chaudron.

" Un garçon blond tu dis ? Tu es bien sur qu'il venait de la Haute ?" demanda la vielle femme en reversant les étranges patates dans le chaudron au dessus du feu.

" Je ne peux pas en être certaine Madame, mais un garçon avec cette couleur de cheveux c'est rare ici."

" Je mènerais ma propre enquête ma p'tite, maintenant va chercher les feuilles d'orties, pour que je puisse les mettre dans le ragoût." 

Le repas se passa sans revenir sur cet étrange garçon, mais Aléna voyait bien que le regard de Madame Figue était vague. Elle parlait plus lentement, cherchant ses mots et Aléna qui ne la connaissait que depuis peu, savait bien reconnaitre que la vielle femme était inquiète.

Le futur lui en donnera raison.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Cly ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0