Chapitre 4
Les lunes passèrent et la vie d'Aléna suivait son cours comme celui tranquille du fleuve du Sabot et chaque jours passés aux côtés de Madame Figue la remplissait de connaissances et d'histoires du monde. Elle connut enfin une vie en dehors de Stagj à travers les récits de la vieille dame et elle rêvait chaque soir de découvrir les fleuves cachés du sud de Terre-Rouge ou les forêts pleines d'esprit de Montaux. Mais les régions de la Plaine étaient inaccessibles pour une jeune enfant telle qu'elle était et seuls ses rêves s'alimentaient de cette force nouvelle qu'ont les enfants.
Le premier jour de la belle saison, lorsque le soleil se lève tôt et se couche tard, Madame Figue se réveilla encore plus tôt qu'à son habitude et secoua la jeune Aléna qui dormait profondément.
" Debout. Aujourd'hui nous allons dans la forêt de Chaux."
La jeune fille se redressa précipitamment. " La forêt de Chaux ? Mais on dit qu'elle est habitée par les esprits !" s'écria Aléna en se frottant les yeux.
" Qu'importe les esprits nous avons besoin d'une nouvelle collection de plantes. Et en passant par le quartier de la Muraille, tu t'achèteras une nouvelle robe, celle-là commence à être un peu petite. Tu ressembles à un poisson dans son filet."
Aléna baissa les yeux vers sa robe grise qu'elle portait depuis son arrivée à Stagj. Il était vrai qu'elle commençait à être un peu serrée.
" Nous partons toute la journée ?" demanda-t-elle alors que Madame Figue tressait ses long cheveux.
" Pourquoi tu as des choses de prévues ?" argua la vieille femme en récupérant son panier d'osier. " Arrête de dire des bêtises et suis moi." C'est ainsi, qu'au plus grand bonheur de la jeune fille, elles quittèrent le quartier de Franc-Pâle pour longer la muraille et rejoindre la porte ouest de la ville. Le quartier de la muraille se dressait au centre de la ville et était occupé par les commerces et les marchés. Aléna se dirigea vers les échoppes de la couturière pendant que Madame Figue se chargeait de se fournir en provisions pour le voyage. La vieille boutique était faite de pierre et une vieille fenêtre aux vitres sales laissait entrapercevoir des robes dont les teintes ternes obscurcissaient la pièce. Aléna entra sur la pointe des pieds et fit tinter la cloche suspendue à l'entrée. Une femme au nez droit et aux yeux sombres apparu de derrière une porte au fond de la pièce. Elle portait ses cheveux en une tresse ramenée en chignon et une robe faite maison aux couleurs verdâtres.
" Je peux vous aider ?" demanda-t-elle à la jeune fille timide.
" Je cherche une nouvelle robe..." murmura-t-elle.
" Et bien vous êtes tombée au bon endroit" se moqua la dame. "Je dois en avoir une à votre taille se sera parfait." continua-t-elle en repartant vers ce qui semblait être l'entrepôt de la boutique. Elle revint vite avec une robe en coton de la même couleur verte que celle que portait la couturière.
" Je l'ai faite avec le même tissu" dit-elle en remarquant son regard.
Aléna paya et remercia la dame aussi chaleureusement que pouvaient le faire les habitants de Stagj puis elle partit rejoindre Madame Figue de l'autre côté de la rue. Cette dernière l'attendait avec un panier contenant pain et fromage, de quoi subvenir aux besoins du voyage. C'est ainsi que débuta leur petit voyage dans la forêt de Chaux, aux portes de la ville. C'était d'ailleurs à cause de cette forêt que Stagj avait été construite: les anciens racontent que lorsque la ville appartenait encore aux seigneurs de la Plaine, cette forêt leur avait permis de trouver suffisamment de bois et de gibier pour survivre. Mais depuis que les régions étaient devenues indépendantes, beaucoup de contes circulent sur cette forêt. Des monstres l'habiteraient et qu’importe qui y rentrerait, d’en sortirait pas.
Mais Madame Figue ne tenait pas compte de ces radotages de maraîchères et elle s’avançait d’un pas décidé vers la porte de la muraille. Aléna suivait en trottinant cette étrange dame que certains considéraient comme une sorcière de la ville.
Elles arrivèrent aux portes ouest de la cité en quelques longues minutes. Traverser le quartier de la Muraille ne fut pas une mince affaire car il fallait serpenter entre les commerces et les petits étales qui abordaient des milliers de couleurs et à l'odeur alléchante. La vieille muraille en ruine se tenait entre l’extérieur inconnu et la ville aux milles rumeurs et Aléna se trémoussait d’excitation. Cela faisait des mois qu’elle n’était pas sortie de la ville, depuis qu’elle était arrivée en réalité. Mais ce n’était pas comme si elle avait pu observer les alentours. La jeune fille secoua la tête pour chasser les pensées qui lui venaient en masse. Elle ne voulait pas penser à son arrivée à Stagj, elle accéléra le pas et rattrapa Madame Figue qui avait récupéré une grosse branches de bois pour lui servir de cane.
Devant elle, l’étendue imposante de la forêt cachait le soleil de midi. Les grands chênes se dressaient, fiers, vers le ciel et tout à coup, Aléna se souvint des rumeurs sur les esprits des bois. Elle frissonna et fit quelques pas en arrière.
« Ne sois pas bête ! » s’exclama la vieille dame en lui donnant une petite tape sur le sommet du crâne. Je suis avec toi, tu n’as pas à avoir peur. « Maintenant suis moi, nous avons encore beaucoup de chemin à faire. »
Elles arrivèrent à l’orée de la forêt, les branches atteignaient des hauteurs inconcevables et Aléna s’arrêta quelques instants pour souffler. Ces pieds lui faisaient mal et elle avait envie de faire une pause. Et pourtant, madame Figue ne prévoyait pas de s’arrêter et d’un grand pas, elle franchit la fine bordure qui séparait le territoire urbain du monde des légendes.
Sous la canopée, un mince rayon de lumière permettait de se repérer, ce qui n’empêcha pas la jeune fille de trébucher plusieurs fois sur des racines et des branches tombées au sol. Des champignons aux pieds des arbres arboraient des couleurs variées mais Aléna avait interdiction d’en toucher aucun. Alors qu’elles marchaient, Madame Figue brisait continuellement le silence et le chant des oiseaux pour expliquer à la jeune fille les types d’arbres et de fleurs qui se trouvaient sur leur chemin.
Aléna se forçait à mémoriser les moindres détails tout en essayant de repérer la direction qu’elles prenaient. Mais au bout d’un moment, elle aurait été bien incapable de faire demi-tour sans la présence de la vieille femme.
Soudain, elles s’arrêtèrent devant une petite clairière éclairée par le soleil de l’après-midi.
« Maintenant, voyons voir si tu te souviens des leçons que nous avons eu. » annonça Madame Figue en désignant l’espace devant elle.
Aléna s’approcha de la multitude d’herbe et de plantes qui se trouvaient là et essaya de faire marcher sa mémoire.
Très vite, elle reconnut une petite fleur jaune: la Jusquiame, une plante à manipuler avec précaution mais que Madame Figue utilisait quelque fois pour soigner les rages de dents.
La vieille femme approuva d’un signe de tête et invita la jeune fille à continuer ses recherches.
Un peu plus loin, Aléna repéra un petit buisson couvert de fleurs bleu qui dégageait une odeur mentholée: l’hysope, une plante aux propriétés antiseptiques. Puis, elle eut beau se creuser la tête, elle ne reconnut aucune plante que Madame Figue lui avait montrée. Elle revint bredouille vers la vieille femme qui cueillait des petites baies noires.
« Qu’est ce que c’est ? » demanda-t-elle en désignant les fruits.
« De la Belladone ma chère petite. Ces fruits sont toxiques.»
« Mais alors pourquoi vous les cueillez ? »
« Tu comprendras très vite qu’il existe un très mince fossé entre guérir et faire souffrir. »
Aléna fit de gros yeux qui fit s’esclaffer la vieille femme. Elle ne comprenait pas. Madame Figue, une guérisseuse, cueillait des fruits toxiques ?
« Mon métier est très varié et tu en apprendras les rouages. » continua Madame Figue en se redressant. Elle plaça les fruits dans un sachet à part et le referma d’une fine cordelette. Lorsqu’elle se dirigea vers une vieille souche enfoncée dans la forêt pour casser la croûte du déjeuner, Aléna la suivit affamée. Elle ne se posa pas plus de questions sur les métiers étranges que la vieille femme pratiquait. Elle nota seulement dans sa mémoire qu’a l’instar des champignons, les fruits, les fleurs, et même certaines feuilles peuvent nuire à la vie d’un homme.
Lorsque le soleil commença à descendre dans le ciel, Madame Figue et Aléna entreprirent le chemin du retour. Comme à son habitude, la vieille femme guidait le pas en racontant des vieux contes et des histoires sur la capitale Château-Bas. Cette fois-ci, ce fut la naissance de Neven, le fils du conseiller, à laquelle elle avait assisté qui fut le sujet de la conversation.
« Il doit avoir 23 ans aujourd’hui. Bientôt, il prendra la place de son père au conseil et dirigera la région de la Basse. Le pauvre ne vit pas dans une période facile. La guerre avec la Haute ne se terminera pas avant longtemps. »
« Pourquoi la guerre a-t-elle commencé ? » demanda innocemment Aléna.
« C’est une histoire pour un prochain jour. Lorsque tu me raconteras comment tu es arrivée à Stagj. »
Le visage de la jeune fille se rembrunit et elle baissa les yeux vers le bas de sa nouvelle robe verte.
« Je rigolais petite. Pas la peine de me faire cette tête là. Tu as dû vivre des choses difficiles. Peu d’étrangers débarquent à Stagj. » continua Madame Figue en posant sa main sur la tête de la jeune fille.
« Mais alors qui était ce jeune garçon blond à l’auberge ? Celui d’il y a quelques mois ? » interrogea Aléna.
« C’est un mystère auquel nous n’avons pas de réponse. Mais l’arrivée d’un habitant de la Haute à Stagj ne peut annoncer que des mauvaises nouvelles. Maintenant rentrons. »
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