Chapitre 5 

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Le lendemain et les jours qui suivaient étaient réservés à l'auberge du Chaudron dans le vieux quartier du Bac et à Monsieur Saucevinarde. Le vieil homme ne savait rien des activités de la jeune Aléna et ne s'y intéressait aucunement. Ce que faisait la jeune fille durant son jour de libre n'était pas un de ses problèmes. Ce qui en était un, par contre, c'était le manque certain d'approvisionnement venant de Rèsine, la ville commerçante au Sud de Stagj. C'était de là que venait la majorité du blé et des céréales que l'on trouvait dans la Région de la Basse. Mais aujourd'hui, le seul convoi hebdomadaire qui approvisionnait la ville n'était pas passé.

" C'est la faute à la guerre." entendait-on dans les rues.

C'était l'avis de beaucoup et en particulier de monsieur Saucevinarde qui ne pouvait pas maintenir à flot la foule d'habitués de l'auberge. 

Aléna qui y comprenait un peu mieux depuis qu'elle habitait chez Madame Figue savait que Rèsine avait été réquisitionnée par Château-Bas pour fournir du blé aux soldats. Mais normalement, cela n'avait jamais empêché à Stagj d'être alimentée en céréales. 

L'effervescence qui se déversait dans les rues devient bien vite de la colère contre Château-Bas et cette guerre. Les habitants de Stagj étaient bien trop éloignés pour se rendre compte réellement de ce que cette guerre signifiait. 

" Aujourd'hui y'a plus de blé et demain ce sera quoi ? Plus d'eau ?" s'écria-on.

" Que fait sir Mayeult de tout ça ? Et que fais Theobalt Livraux ?" 

La colère et le bruit montait dans l'auberge et Aléna se fit discrète, retenant  dans sa mémoire les moindres conversations pour les rapporter durant la soirée à Madame Figue. Elle se faufilait près des tables pour apporter soupe et bières en essayant de placer des visages sur les mots prononcés. 

Depuis quelques mois, la guerre était devenue le principal sujet de conversation dans l'auberge. Même l'annonce des fiançailles de Neven Livraux ne provoquait plus l'excitation tant espérée par la capitale. Aléna se demanda comment sir Mayeult allait bien pouvoir régler la situation qui s'empirait de jours en jours. 

Alors que le soleil descendait dans le ciel et qu'il fut bientôt temps pour la jeune fille de repartir, elle fut retenue dans l'auberge par la voix de monsieur Saucevinarde. " Il se passe des choses vraiment étranges ici, essaie de ne pas raconter d'histoires sur ce qu'il se passe à l'auberge. Je tiens à ma réputation." Aléna frissonna. S'il découvrait les rapports détaillés qu'elle fournissait chaque soir, il s'en arracherait les cheveux et la mettrait à la porte. 

" Bien sûr, vous pouvez compter sur moi. " répondit la jeune fille.

La semaine se déroula dans la même ambiance de colère et le bas-conseiller de la ville ne semblait pas en faire beaucoup affaires. Et pourtant, enfermé dans sa demeure, il réfléchissait activement à une solution pour calmer les esprits. Sir Mayeult était un homme de grande taille dont le statut lui permettait de s'habiller plus richement que les habitants de Stagj et surtout, à la copie des gens de Château-Bas, avec des habits de couleur.

Pour la première fois depuis son arrivée dans la ville, Aléna avait été conviée dans la riche demeure du bas-conseiller à l'est de la ville. Enfin, Madame Figue avait été invitée mais la jeune fille avait tellement insistée pour l'accompagner que la vieille femme n'avait pas pu refuser sa proposition. Cela faisait désormais plusieurs mois que la jeune Aléna vivait chez la vieille guérisseuse et entre son travail à l’auberge et les cours de botanique, elle n’avait pas le temps de s’ennuyer. La saison chaude arrivait à sa fin et Aléna s'offra une petite pèlerine de laine grise pour mettre sur ses épaules le soir lorsqu’elle rentrait chez la vieille. Ses leçons avançaient à grand pas et bientôt, elle pu reconnaître tous les champignons et les plantes du grand livre de dessins de Madame Figue. C’est d’ailleurs à cela qu’elle pensait, lorsqu’elle arriva au quartier des Écus, devant la grande demeure de sir Mayeult.

" On toque ?" demanda Aléna en se tournant vers Madame Figue.

" On va pas rester à poireauter ici non plus." riposta la vieille femme en frappant trois grands coups sur la porte en bois de chêne gris.

Un jeune garçon brun aux yeux ternes et fatigués vint leur ouvrir la porte. Aléna apprendra plus tard qu'il ne s'agissait pas d'un serviteur, sir Mayeult n'était pas suffisamment riche, mais du fils du bas-conseiller. Madame Figue ne fit pas attention au garçon et sans le remercier le moins du monde, elle avança vers le fond du couloir d'un pas si assuré qu'Aléna se demanda si elle ne connaissait pas la demeure. Elle passa la porte d'une grande pièce au fond d'un petit couloir et Aléna découvrit Sir Mayeult assit confortablement dans un canapé en cuir. D'un geste de la main, il invita les deux femmes à s'asseoir en face de lui et ne parut pas surpris de la présence de la jeune fille.

" Je vois que tu t'es trouvé une apprentie." commença-t-il en désignant Aléna de la main.

" Je crois que tu ne m'a pas appelé ici pour parler de ma jeune apprentie Fabian. Que se passe-t-il? Pourquoi laisser Stagj dans un tel état?

" C'est plus difficile qu'il n'y paraît... Le convoi que l'on attendait en début de semaine n'a pas été arrêté par manque de provision, mais parce qu'il a été attaqué". 

" Attaqué ? Mais par qui ? Normalement les brigands ne passent pas par la route de Rèsine." 

" C'est bien ce qui m'inquiète. On ne parle pas de brigands à Rèsine mais d'un nouveau groupe, une sorte de secte, qui réquisitionne des convois de nourriture et sème un peu partout la folie dans les villes." 

" Et que recherche-t-elle, cette secte ?" 

" Nous ne savons pas. Et c'est bien le problème, je me demandais si tu en savais davantage." demanda le bas-conseiller.

Aléna, qui n'avait pas prononcé une parole, se gardait bien de rajouter des détails sur la folie qui habitait la ville. En réalité, à part des rumeurs, elle ne savait pas grand-chose. Elle était même surprise que sir Mayeult s'exprime si librement devant elle.

" Je ne sors plus beaucoup de chez moi tu sais." répondit Madame Figue en lissant les plis de sa longue robe grise. " Mais la petite me rapporte ce qu'elle entend. Nous en savons encore moins que toi. Mais de nombreuses rumeurs sur la guerre circulent. Et elles ne sont pas toutes bonne pour toi et Sir Livraux." 

" Je me doute que les gens m'en veulent. Normalement le convoi reviendra dès demain comme d'habitude. J'ai envoyé quelques garde-murailles à Rèsine pour accompagner les chevaux. La paix reviendra peut-être à Stagj." 

" Espérons que tu ais raison." conclut Madame Figue en se levant. Maintenant si cela ne t'ennuie pas j'ai quelques affaires à régler en ville. Je t'enverrais Aléna si nous avons des nouvelles." Sur ces paroles, Madame Figue , suivie par Aléna, sortit de la pièce sans une formule de politesse à l'égard du bas-conseiller. Aléna fit une petite courbette pour le principe avant de passer le pas de la porte ce qui fit sourire Sir Mayeult.

" Aller, suis la, tu ne voudras pas la perdre des yeux crois moi." 

Et c'est sur ces mystérieux mots, qu'Aléna sortit de la demeure du quartier des Ecus et rattrapa Madame Figue qui se dirigeait déjà vers le quartier de la Toile.

D

" Où est ce qu'on va ?" demanda-t-elle en soufflant lorsqu'elle eut enfin rattrapé la vieille femme.

" Chez l'un de mes amis. Je te demanderais de ne pas parler, ni commenter ce que l'on va dire." 

Aléna acquiesça sans comprendre. N’était-ce pas exactement ce qu'elle avait fait chez Sir Mayeult ? Pourquoi cette fois-ci réagirait-elle mal. Elle suivit Madame Figue à travers les ruelles sales du quartier de la Toile, nommé ainsi car il abritait anciennement les meilleurs couturiers de Stagj. Aléna fut distraite par les sons et les odeurs de la ville qui réveillaient en elle un besoin enfantin de jouer. Mais elle ne pouvait pas perdre des yeux la vieille dame dont la canne résonnait sur les quelques cailloux du sol boueux. Soudain, Madame Figue s'arrêta devant une petite maisonnée en pierre grise, presque noire tant la poussière avait recouvert les murs, dont la porte était si basse qu'Aléna se demanda qui pouvait bien rentrer à l'intérieur. Finalement, la porte s'ouvrit sans un bruit, et comme la vieille femme se courbait en deux pour entrer, Aléna suivit en baissant la tête. Elle se trouvait dans une petite pièce sombre et elle mit du temps à habituer ses yeux à l'obscurité. 

" Alors vieille sorcière, qu'est ce qui t'amène ici ? " 

La voix provenait du fond de la pièce où Aléna distinguait la forme d'un vieil homme avachi dans un fauteuil. Il tenait dans ses mains un parchemin abîmé qu'il posa sur la table à côté du fauteuil. 

" Tu ne viens pas par courtoisie je suppose. Alors que veux tu ? " Puis il aperçut la jeune fille, cachée derrière la cape de Madame Figue et son visage s'éclaira. " Ah je comprends mieux maintenant…" s'esclaffa-t-il.

" J'ai besoin que tu apprennes à lire à la petite." dit la vieille femme.

Aléna eut un sursaut qu'elle ne put réfréner. Il était vrai qu'elle ne savait pas lire mais cela ne l'avait jamais empêché auparavant de servir ses clients ou de reconnaître des plantes. Mais elle avait promis à Madame Figue qu'elle n'interviendrait pas alors elle garda la bouche close. Aléna se souvint de son frère Erest qui avait commencé à lui apprendre les rudiments de la lecture et ses yeux se remplirent de larmes. Elle n’avait pas eu le temps de parfaire son éducation et elle se sentit honteuse. 

" Encore ?" dit la voix au fond de la pièce.

Cette fois-ci, Aléna ne peut retenir ses mots: " Comment ça encore ?" s'écria-t-elle.

Le vieil homme se leva et s'approcha de la lumière qui se faufilait sous la porte. Cette fois ci, Aléna put distinguer son visage bouffi, il avait des petit yeux au milieu d'une grosse face ronde et des cheveux d'un blanc si éclatant qu'ils reflétaient la lumière du dehors.

" Alors comme ça, Madame Figue ne t'as rien dit " commença-t-il avant d'être coupé par une Madame Figue furieuse.

" J'ai déjà eu une apprentie avant toi. Et elle savait se taire quand je lui disais au moins." 

Aléna fit la moue. Elle était assez déçue d'apprendre que Madame Figue lui avait caché un secret aussi important. Mais n'avaient-elles pas toutes les deux choisi de garder pour elles une partie de leur histoire. Aussi Aléna comprenait le choix de la vieille femme et en réalité elle n'en était pas si étonnée. 

" C'est d'accord mais il faudra que tu me rendes un service en échange." 

Aléna en avait presque oublié le sujet principal de la discussion: ses cours de lecture. Elle essaya de s'interposer mais Madame Figue la coupa d'un geste de la main. "Nous en reparlerons seuls d'accord. Elle viendra dans 6 jours." 

C'est ainsi qu'à la place des cours de botanique, qui d'ailleurs n'avait plus réellement d'utilité car elle était arrivé au bout du livre de dessin de Madame Figue, Aléna commença les cours de lecture avec un homme dont elle ne connaissait pas encore le nom mais qu'elle apprendrait bien vite.

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