Chapitre 6
Le convoi de céréales arriva le lendemain en provenance de Rèsine accompagné par quatre gardes murailles portant l'épée. Il en était fallu de peu avant que toute la ville de Stagj n'éclate sous les coups et les cris. Sir Mayeult avait donc raison et tout le mouvement urbain devait bientôt s'estomper. En effet, les rumeurs de colère se calmaient et les gens de la ville reprenaient petit à petit leurs activités. Aléna quant à elle se retrouvait de nouveau dans l'effervescence de l'auberge qu'elle appréciait tant. La faible lumière et l'odeur de renfermé étaient devenu son chez elle autant que le vieux grenier de Madame Figue. Elle reconnaissait depuis longtemps tous les habitués de l'auberge et pouvait les nommer facilement. Mais ses pensées n'étaient pas dirigées vers les bières et le bouillon. Elle pensait déjà à ce cours de lecture qui s'approchait à grand pas. L'homme inconnu qui devait lui apprendre lui faisait terriblement peur et elle se demandait comment Madame Figue et lui pouvaient bien être amis. L'auberge était entourée d'une ambiance des plus bruyante et Aléna devait se concentrer pour discerner la moindre conversation cohérente. Elle s'approcha de quelques tables et essaya de capter le moindre mot qu'elle pourrait ensuite rapporter à Madame Figue.
" Le convoi est enfin arrivé , mais qu'à fait Sir Mayeult pour nous aider pendant cette semaine de famine ?"
" Apparemment la guerre se rapproche de Flancdroit et bientôt la ville sera sous siège."
Flancdroit, la ville la plus au nord de la Basse Plaine, si cette ville était prise, alors Chateau-Bas serait la prochaine ville sur la liste. Stagj, cette ville habituellement hors du temps, semblait plus profondément que jamais intégrée dans les problèmes actuels. Aléna était songeuse, elle aurait des choses à raconter à Madame Figue finalement. Mais très vite ses pensées revinrent sur son fameux jour de repos. B
Le jour de repos arriva bien plus rapidement que prévu aux yeux d'Aléna. Elle se réveilla aux aurores et après quelques directives de Madame Figue quant à l'endroit où elle devait se rendre, elle se dirigea vers la vieille bâtisse de l'inconnu. Elle reconnut l'endroit grâce à la minuscule porte en bois qui creusait un renfoncement dans les épais murs de pierre sombres. Incertaine de l'action à suivre, elle frappa quelques coups secs sur la lourde porte et attendit. Après quelques instants, l'homme au visage rouge et fripé vint lui ouvrir.
" Rudrick Hessle" dit-il. Et comme la jeune fille ne réagissait pas il ajouta: " C'est mon nom. Quel est le tien ?"
" Aléna." murmura-t-elle en baissant les yeux. Comme il se trouvait toujours dans l'embrasure de la porte, Hessle invita la jeune fille à entrer d'un geste de la main.
La pièce principale était comme dans le souvenir d'Aléna: sombre et poussiéreuse. Pourtant, elle vit que le vieil homme avait fait un effort en allumant une bougie de pin qui éclairait la pièce tout en diffusant une odeur de forêt qui se mélangeait avec l'odeur de renfermé. Au centre, une grande table en bois à l'instar du grenier de Madame Figue et autour quatre chaises branlantes. Sur cette table se trouvait une collection de gros livres à la couverture de cuir et des parchemins fins et abîmés. Tant d'ouvrages sujet à la lecture terrifia la jeune fille: sera-t-elle capable de lire tout ça ? Au fond de la pièce, un fauteuil et une étagère pleine de livres. Cet homme semblait parfait pour donner des cours de lecture à la jeune fille.
" Alors Aléna, il parait que tu veux apprendre à lire ?"
" Il semblerait…" répondit la jeune fille en laissant ses yeux vagabonder autour de la pièce.
Rudrick Hessle souffla et murmura quelque chose dans la barbe, qu'il avait d'ailleurs broussailleuse.
" Pardon ?" demanda Aléna
" Je me disais que la précédente apprentie était nettement plus bavarde que toi." riposta le vieil homme en se tournant vers les parchemins posés sur sa table.
" Pouvez-vous me parler d'elle ? De celle d'avant… Comment était elle ? Combien de temps était-elle restée avec Madame Figue ? Pourquoi était-elle partie ?"
" Je retire ce que j'ai dit. Tu semble bien curieuse Aléna. Madame Figue ne t'as pas appris à rester discrète ? Enfin bon, ce n'est pas le sujet du jour. Je suis supposé t’apprendre à lire et ce n'est pas une mince affaire." continua Hessle.
" Je sais reconnaître certaines lettres." murmura Aléna qui n'aimait pas qu'on se moque d'elle.
Aléna s'assit sur la chaise qu'il lui désigna et alors commencèrent les leçons de lecture.
B
Durant plusieurs mois, chaque jour de libre de la jeune fille était passé chez Rudrick Hessle à essayer de déchiffrer de vieux ouvrages. Le premier jour, elle avait appris ses lettres, qu'elle avait ensuite tracé dans la poussière de l'auberge pendant les jours qui suivirent. Puis elle avait appris à les assembler dans des mots et des phrases. Ce ne fut pas une mince affaire, comme Hessle l'avait dit, mais elle était jeune et motivée et elle fit des progrès considérables. Au début, elle ne lisait que des bouts de livre sans aucune importance, des traités du passé qu'elle ne comprenait pas entièrement. Puis le vieil homme lui prêta des ouvrages de botanique et de plantes médicinales qu'Aléna déchiffrait pendant des heures. Elle avait interdiction d'apporter les livres chez Madame Figue, de peur qu'elle ne les abîme alors elle devait attendre des jours avant de savoir la suite de son paragraphe. Elle ne discutait pas souvent avec le vieil homme, de nature plutôt renfermée, mais elle sentait qu'il paraissait moins froid à chaque fois qu'elle venait toquer à sa minuscule porte de bois.
La vie d'Aléna devint bien vite ordonnée et régulière: la majorité du temps, elle s'occupait de l'auberge de Monsieur Saucevinarde et elle écoutait les dernières nouvelles de la ville. Et puis le soir, elle rentrait retrouver Madame Figue, qui lui demandait un rapport détaillé de tout ce qu'elle avait entendu devant le même sempiternelle bol de bouillon de légumes. Seule sa journée passée autour des livres de Rudrick Hessle lui permettait de sortir de sa routine. Elle découvrit qu'elle adorait lire et surtout que les plantes regorgeaient de mystères et d'histoire. C'est d'ailleurs grâce à un des ouvrages de Hessle, qu'elle fut introduite aux plantes mortelles et aux poisons.
Aléna avait déjà entendu parler des poisons bien sûr. Elle avait failli se faire empoisonner dans son enfance, souvenirs qu’elle essayait de cacher dans sa mémoire. Et puis, certains des clients de l’auberge avaient quelques sombres affaires nécessitant des poisons. Mais jamais elle n’aurait imaginé en connaître autant.
« Il te faudra sûrement connaître ce genre de chose » annonça un jour Hessle.
« Mais pourquoi ? Je veux soigner des gens moi, pas les tuer ? »
« Il n’y a qu’une frontière très fine entre soigner et détruire. »
« Madame Figue m’a dit un jour exactement la même chose. » se rappela la jeune fille.
« Cela ne m’étonne pas d’elle. » murmura le vieil homme.
« Quand est ce que vous l’avez connue ? » demanda Aléna curieuse.
« Je l’ai rencontré à Ysse en Terre-Rouge mais nous avons voyagé un peu partout ensemble. »
« Vous avez voyagé en Terre-Rouge ? » demanda la jeune fille.
Le vieil homme avait désormais toute l’attention de de la jeune apprentie. Elle n’avait jamais rencontré quelqu’un de Terre-Rouge et voulait en savoir plus. Mais face à ses nombreuses questions, Hessle se taisait et la forçait à lire son ouvrage sur le muguet à voix haute. Cette plante à l'apparence si innocente était en réalité un véritable poison. Aléna se demanda pourquoi Madame Figue avait demandé à Hessle de lui apprendre l’art des poisons. Elle ne la connaissait pas vraiment après tout.
Le soir venu, elle retourna dans le grenier de Madame Figue. L’odeur des plantes séchées et du traditionnel bouillon lui empoigna les narines et entraîna le grondement de son estomac: elle ne s’était pas rendu compte qu’elle avait autant faim.
« Que faites-vous réellement comme métier ? » demanda la jeune fille à la vieille guérisseuse.
Madame Figue se retourna vers elle et la regarda longuement, semblant chercher la réponse à sa question. Ses longs cheveux blancs avaient poussé et ses extravagantes coiffures se faisaient plus compliquées. Elle avait vieilli et cela se voyait à ses joues qui se creusaient et aux petites ridules autours de ses yeux qui ruisselaient telles le Sabot sur le visage de la vielle femme. Elle regarda longuement Aléna avant de répondre.
« Les guérisseuses ont parfois bien des métiers… » commença-t-elle. « Elles connaissent les plantes et ont les oreilles discrètes. Nous sommes très utiles en temps de guerre vois tu. »
« Je ne comprends pas. »
« Tu comprendras un jour ma petite. Mais c’est un métier utile ça c’est pour sûr. Maintenant vient manger, je peux voir tes yeux affamés d’ici. »
Aléna n’osa pas poser plus de questions. Mais des milliers lui fusèrent dans la tête: qu’était-il arrivé à l’apprentie précédente ? Quel était réellement le rôle de Madame Figue à Château-Bas ? Elle se coucha tôt et s’enroulant encore plus chaudement dans sa couverture, elle fut plongée dans des rêves d’empoisonnement.
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