Chapitre 7
Le lendemain, Aléna s’en fut aux aurores dans le quartier du Bac. Les rues, presque désertes, étaient éclairées par la lumière blanchissante du matin. Elle traversa ainsi le quartier de Franc-Pâle, qu’elle connaissait maintenant comme sa poche, avant d'arriver devant son lieu de travail. L’auberge était encore silencieuse et calme, une ambiance qui contrastait fortement avec le lieu en pleine animation. Lorsqu’elle ouvrit la porte avec un sourd grincement, elle retrouva les tables rangées et propres et elle se demanda si Monsieur Saucevinarde n’avait pas engagé quelqu’un seulement pour son jour de congé. C’était assez inhabituel, sauf quand c’était elle qui fermait l’auberge, de la retrouver dans un si bon état. Elle se dirigea vers les cuisines, où l'attendait le grand chaudron pour la soupe. A la faible lumière du matin, elle commença la préparation du repas qui devait durer tout le long de la journée: la soupe au vin de l’auberge.
Elle travailla ainsi jusqu’au réveil de Monsieur Saucevinarde qui ouvrit la grande porte. Et alors le vrai travail commençait.
Aléna n’avait pas le temps de réfléchir lorsque l’auberge était en ébullition. Ce jour, la grande salle était particulièrement mouvementée car on fêtait l’arrivée de Dame Alienor Suage qui venait de Rèsine. Elle venait discuter des affaires commerciales entre les deux villes et cela entraînait, comme à chaque grande arrivée, une rumeur joyeuse dans la ville.
« Croyez-vous qu’il vont se marier ? »
« Un mariage en ces temps de guerre, on aura tout vu.»
« Neven Livraux se marie déjà et nous sommes en temps de guerre: ça se fait ! »
Aléna se délectait de toutes les discussions qu’elle retenait mots pour mots grâce à des mois d’entraînement. Grâce à l’auberge, elle en apprenait plus sur la Plaine: cet endroit qu’elle ne connaissait que peu.
C’est alors qu’elle le vit. Le jeune étranger. Ou peut-être était-ce un autre mais il ressemblait fortement au premier jeune homme blond qu’elle avait vu à l’auberge. Il était plus jeune et ses cheveux étaient un brin plus long. Mais il se ressemblait définitivement. Aléna s’inquiéta de voir autant de gens de la Haute dans cette auberge et comme Madame Figue l’avait fait remarquer, cela n’annonçait rien de bon. Elle essaya de se rapprocher de la table qu’il occupait afin d’entendre sa discussion avec Renault Cosper, un vieil habitué de l’auberge.
« On ne voit pas souvent des gens comme vous dans no’t ville. »
Cosper s’arrêta de parler et regarda dans sa direction. Son visage s’éclaira et il l’invita à s’approcher de la table d’un geste rapide de la main.
« V’la la p’tite de l’auberge, elle en saura p’tet mieux que moi sur cette histoire. »
Aléna fronça les sourcils, elle sentait bien qu’elle n’aurait pas dû se trouver là, toute cette histoire s’annonçait mal. Le jeune garçon, qui semblait avoir la vingtaine ou peut-être moins, la regarda de ses yeux bleus.
« Avez vous déjà vu quelqu’un de la Haute ici, dans cette ville ? »
Aléna se mordit les joues, devait-elle avouer qu’elle avait déjà vu un étranger, et dans cette même auberge qui plus est. Elle devait décider vite de la démarche à suivre et ce qui lui parut plus sûr c’était de demander d’abord à Madame Figue ce qu’elle en pensait.
« Je ne suis pas sûre… » murmura-t-elle en regardant ses godillots.
« Essayez de vous souvenir. Il est grand, blond. Il me ressemble un peu dit-on. » Le jeune homme semblait désespéré et ses yeux criaient d’infortune.
« Je ne sais pas… peut-être que demain, la mémoire me reviendra. » Aléna essaya de faire dévier la conversation, elle devait à tout prix en parler d’abord avec Madame Figue.
Elle quitta la table sous les yeux tristes du jeune garçon, elle avait honte de lui avoir caché la vérité mais elle ne pouvait manifestement pas tout lui révéler. Le reste de la journée, elle la passa à éviter le regard insistant de l’étranger. Elle vagua a ses occupations dans l’auberge et à la fin de la journée, elle avait presque oublié cette étrange rencontre.
Elle resta plus tard que d’habitude dans l’auberge ce soir-là. Et pourtant, elle mourrait d’envie de raconter son aventure à la vieille guérisseuse. Lorsqu’elle ferma enfin l’auberge, elle se retrouva nez à nez avec le jeune homme. Il l’avait attendu tout ce temps.
« S’il vous plaît, je sais que vous savez quelque chose sur mon frère ? »
« Votre frère ? » la jeune fille ne put cacher sa surprise.
« Je ne sais pas ce qui lui a prit de quitter Pierrelle…murmura-t-il
Pierrelle ,la capitale de la Haute et l’ancienne ville forte de la Plaine lorsque les haut seigneurs régnaient encore. C’était étrange de penser que ces deux étrangers venaient de la capitale. Il était vêtu comme n’importe quel jeune homme de Stagj: un pantalon de toile marron et une pèlerine grise pour se protéger du vent froid de l’automne.
« Je l’ai vu… votre frère. Il était à l'auberge. » Elle avait fini par avouer la vérité.
« Merci, merci pour tout. Savez-vous où il est parti ? »
« Ah ça, je n’en ai aucune idée. Il est parti du jour au lendemain. Il ne parlait pas beaucoup. Du moins pas avec moi. »
« Il a dû partir à Château-Bas. C’est là qu'il voulait aller initialement. » murmura-t-il. Il semblait parler à lui-même mais Aléna ne put s'empêcher de remarquer que Stagj ne se trouvait pas du tout sur le chemin de Château-Bas. La capitale se trouvait bien plus près de la frontière avec la Haute.
« Il devait chercher quelque chose en particulier dans cette ville… Ou quelqu’un »
Ils restèrent silencieux quelques instants puis Aléna se rappela qu’elle devait rentrer chez Madame Figue au plus vite pour lui raconter toute l’histoire. La vieille femme ne serait pas fière d’elle pour avoir révéler au jeune homme la vérité. Mais Aléna ne savait plus quoi faire d’autre.
« Je dois partir… » commença-t-elle en reculant vers la ruelle du quartier du Bac.
« Bien sûr… je comprends… » il commença à s’éloigner lui aussi. Aléna se demanda s’il avait un endroit où dormir ou s’il allait passer la nuit dehors avec les mendiants et les brigands de Stagj. Tant qu’il ne s’aventurait pas dans le quartier de Franc-Pâle.
G
Elle traversa les ruelles sombres de la ville jusqu’à arriver devant la vieille bâtisse de pierre de Madame Figue.
Elle grimpa quatre à quatre les marches de l’escalier pour débouler dans le grenier sombre de la vieille. A l’étage, aucune lumière, ce qui était étrangement inhabituel. Elle chercha à tâtons la bougie posée sur la table et manqua de trébucher sur un objet mou posé au sol. Lorsqu’elle distingua ce que c’était, elle retint un cri d’horreur: le corps de Madame Figue reposait sur le sol. Aléna se força à allumer une bougie et elle s’approcha du visage inerte de la vieille femme. Ses lèvres étaient bleues et ses yeux révulsés comme si elle avait eu des visions d’horreur. Comme il n’y avait aucune trace de sang autour de la défunte, Aléna supposa un empoissonnement. A la belladone probablement à en juger par ses lèvres bleues. L’ingestion de ces baies provoque des troubles cardiaques puis la mort.
Aléna n’avait pas le temps de réfléchir ni de pleurer. Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Elle était si calme que cela lui fit peur. Comment pouvait-elle prendre des décisions si froidement alors que devant elle reposait le corps de celle qui lui avait tout appris pendant plus de cinq mois. Elle devait agir au plus vite mais elle ne savait pas vers qui se tourner.
Alors, en réfléchissant le plus vite possible, elle se décida à aller voir Rudrick Hessle, lui saurait quoi faire.
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