Chapitre 2
Alors qu'Aléna plissait les yeux à la faible lumière de la bougie pour essayer de déchiffrer le manuscrit sur lequel elle s’acharnait depuis plusieurs semaines, Hessle lui tendit un nouveau parchemin abîmé.
« Je crois qu’il est temps que tu m’analyses ça » lui dit-il.
Aléna attrapa le vieux parchemin et sourit: « il n’y a rien à analyser, c’est une carte. » répondit-elle.
Le vieil homme sourit à son tour, il avait cet air de bienveillance qu’il abordait rarement.
« C’est une carte, oui, mais une carte de quoi ? Lis les inscriptions ci- dessus. »
Aléna se pencha sur la carte et l’approche de la bougie et elle put discerner quelques gribouillis illisibles.
« Là, c’est la Basse et ici la Haute. » désigna Hessle. « Peux-tu me dire les autres régions de la Plaine ? »
« Pour sûr que je les connais ! » s’exclama la jeune fille. « Ici, à l'ouest, c’est Terre-Rouge et à l’est c’est Montaux. »
« Et ici ? »
Le vieil homme se tut quelques instants, il montrait une île au large de la Plaine à l’Est. Cette île qu'Aléna tentait d’éviter à tout prix.
« C’est Buria. » murmura-t-elle.
Mais si Rudrick Hessle s’était aperçu que la jeune fille ne venait pas de la Basse mais de la capitale du royaume de Buria, il n’en laissa rien paraître.
« Très bien, tu connais plus de choses que prévu. Reprends ton manuscrit. »
Le mouvement régulier des chevaux avait plongé Aléna dans un sommeil rempli de souvenirs. Lorsqu’elle se réveilla, elle se trouvait encore dans la forêt de Treseille, elle n’avait dû dormir que quelques instants.
« Tu es enfin réveillée ? »
La voix d’Amaury finit de la sortir du sommeil, elle se tourna vers lui et s'aperçut qu’il avait prit les rênes de son cheval pendant qu’elle s’était endormie.
« Où sommes-nous ? » demanda-t-elle en esquissant un bâillement.
« Nous sommes au milieu de la forêt, la cité de Treseille se situe à quelques milles d’ici. Il nous suffit de continuer vers le nord et nous tomberons dessus. »
Alors que le soleil commençait sa descente vers la terre, les deux voyageurs atteignirent l’extrémité nord de la forêt. Devant eux se dressait, majestueusement, la cité de Treseille. Plusieurs arpents de champs cultivés entouraient une muraille de pierre. Par dessus, on pouvait apercevoir les toits de tuiles des plus hautes bâtisses de la ville. Amaury fit avancer son hongre et se dirigea droit vers la grande porte en fer de la cité. Devant cette dernière se tenaient deux gardes et Aléna pensa immédiatement à Sadde, chez qui elle avait vécu pendant plusieurs mois. Les deux gardes ne leur prêtèrent aucune attention, habitués à voir passer des voyageurs et des marchands dans la cité commerçante de Treseille. C’est ainsi qu’ils perpétrèrent dans la grande ville à l’orée de la forêt. Aléna était émerveillée: les grandes bâtisses de pierre blanche et les toits de tuiles rouges contrastaient avec les vieilles mansardes de Stagj. De plus, les rues pavées étaient propres et lisses et l’on entendait les cliquetis des sabots des chevaux sur les pierres.
Amaury et elle firent avancer leurs chevaux au travers de la foule qui encombrait les rues. Tant de bruits et de murmures, tant de couleur et de lumière. La cité de Treseille était comme nulle autre pareille. Et Aléna du haut de ses treize printemps d’avait rien vu d’identique.
« Il nous faut trouver une auberge où nous reposer. » annonça Amaury en cherchant des yeux le bâtiment à travers les nombreux étals de la place.
Ils finirent par tomber par hasard sur une grande maison de pierre grise et au volet vert dont une affiche annonçait: «Auberge des bois ». Amaury descendit de sa monture et tirant par les reines son cheval, il toqua à la porte. L’aubergiste, ou son fils vu son jeune âge, ouvrit la porte et regarda de haut en bas les nouveaux arrivants.
« Vous voulez quoi ? » demanda-t-il d’un ton condescendant.
« Une chambre et une place pour nos chevaux dans vos écuries. » annonça le jeune voyageur. Pendant que Amaury et le fils de l’aubergiste négociaient le prix à payer, Aléna regardait l’intérieur de l’auberge à travers la porte entrouverte.
À part le fait que celle-ci était bien plus grande et lumineuse, elle ressemblait en tous points à l’auberge du Chaudron à Stagj. Les mêmes tables vieillies dans une ambiance de boissons et de soupe. Les mêmes têtes baissées vers leur verre qui discutaient à voix basse. Et surtout, cette même atmosphère de rumeurs et de ragots. Aléna se sentie tout à fait à sa place et ses vieilles habitudes d’espionnage, enseignées par Madame Figue, lui revinrent en mémoire. Une fois les négociations terminées, Amaury et « sa sœur » entrèrent dans le tourbillon des murmures de la salle principale. Contrairement à ce qu'Aléna craignait, les regards ne se tournèrent pas vers eux, les habitants de Treseille étaient sûrement habitués à la présence d’étranger. Pourtant les cheveux blonds d’Amaury auraient dû attirer l’attention, il n’était pas courant de voir des gens aux cheveux pâles au milieu des teints bruns de la Basse.
Le fils de l’aubergiste, qui se prénommait Aloys les conduisit vers l’étage, où se situaient les chambres. Aléna qui avait toujours dormi sur un tas de paille recouvert par une vieille couverture s’étonna de voir une pièce propre avec deux lits simples en bois de hêtres, couvert d’un vieux drap qui avait conservé sa teinte blanche. Il se faisait déjà tard, le soleil étant couché depuis plusieurs heures et Amaury se précipita vers l’un d’un des lit et s’effondra dans la couverture.
« Je n’en pouvais plus de ce voyage. Les traversées à cheval m’épuisent. »
« Tu as dû faire de nombreux voyages… »murmura Aléna en retirant ses bottines de cuir.
« Hum, oui, plutôt. J’ai beaucoup voyagé dans la Haute et puis je suis arrivée jusqu’à Stagj. » dit-il en soupirant. « Ma famille a de l’argent et nous pouvions nous permettre de visiter les villes de la Haute-Plaine. »
« Pourquoi ton frère est-il venu jusqu’à Stagj ? » demanda Aléna.
« Je ne sais pas. Et c’est bien ce qui m’inquiète. Il était distant depuis quelque temps, très souvent loin de la maison… »
« Je me demande pourquoi il avait demandé de l’aide à Madame Figue. Et pourquoi il l’a assassiné… » murmura la jeune fille.
« Je ne l’aurais jamais cru capable d’une chose pareille. Tu as faim ? » demanda-t-il en changeant le sujet.
Aléna se rendit compte qu’elle n’avait pas mangé depuis le début de leur voyage et son estomac gargouilla. A ce bruit, le sourire d’Amaury s’élargit: « descendons manger quelque chose. »
Même à une heure si tardive, la salle principale était remplie de marchands de Treseille et d’étrangers provenant de partout de la région. On pouvait apercevoir dans un recoin de la salle, un groupe d'hommes à la barbe sombre et aux yeux noirs qui provenait sûrement de Douxsac, une ville portuaire au sud du Sabot. Aléna avait beaucoup appris sur La Basse lors de ces leçons avec Rudrick Hessle, à travers les livres les aussi par les nombreuses histoires qu’il lui avait relatées.
Amaury et Aléna descendirent les escaliers qui menaient à la grande salle et s’installèrent à une petite table vide sous une fenêtre aux vitres sales. À peine assis, Aloys s’approcha d’eux avec du pain et un bol de bouillon aux couleurs verdâtres que la jeune fille reconnut comme étant de la soupe de cresson. À leur côté, se trouvait un groupe d’hommes et de de femmes vêtus de longue cape noirs qui recouvraient leurs vêtements.
Aléna ne put s’empêcher de laisser traîner une oreille pendant qu’elle se régalait de son souper.
« Theobald Livraux a bien fait d’organiser le mariage de son fils. Les rumeurs disent qu’à Château-Bas, la foule est remontée contre cette guerre qui n’en finit pas. »
« Les Hautois envoient de plus en plus de cavaliers et nous ne pourrons pas les retenir pour toujours. »
« Comme si un mariage permettait de tout remettre en ordre. »
« Il paraît que cette guerre détruit les cités proches de la frontière. Château-Neuf ne tiendra pas longtemps. »
« Resort tient le coup en tout cas car les soldats Bassois n’ont toujours pas réussi à percer le siège. »
A la mention de Resort, la ville d’origine d’Amaury, Aléna tendit l’oreille pour distinguer les murmures de la table d’à côté.
« Le siège dure depuis des mois, vous croyez que les soldats de Chateau-Neuf réussiront à prendre la cité. Château-Bas a beau crier victoire, nous ne sommes pas plus avancés. »
Aléna retint un cri de douleur quand elle reçut un coup de pied au tibia. Amaury la regarda avec des yeux ronds.
« Arrête d’écouter les conversations des autres. » murmura-t-il.
« Mais il parle de ta ville, Resort. » répondit-elle.
« Je sais bien mais arrête. Si tu veux en apprendre plus je t’expliquerais ce qui se passe à Resort. Mais tu vas nous attirer des ennuis si ces gens découvrent que tu les espionnes. »
Aléna acquiesça. Ils terminèrent en vitesse leur soupe et après un léger remerciement à Aloys qui les débarrassa, ils remontèrent dans leur chambre.
« Connais-tu un peu l’histoire de la Plaine. » demanda Amaury une fois installé dans leur chambre.
« Un peu, mon maître de lecture m’a enseigné les grandes lignes. »
« Tu sais que la guerre du Ruisseau qui opposa les hauts seigneurs aux régions aboutit à leur indépendances ? »
« Oui je sais tout ça. » répondit Aléna en levant les yeux au ciel.
« Ce que tu ne sais sûrement pas c’est que les régions n’attendaient que cette occasion pour se faire la guerre. Sous le joug des hauts-seigneurs, elles étaient obligées de vivre sous un signe de paix mais des tensions existaient depuis longtemps. La Haute et la Basse, séparées par le seul fleuve du Sabot, rêvaient de conquête et d’expansion. Les Hautois, dirigés à l’époque par le haut-conseiller Raoult Destor voulait utiliser l’accès de la Basse aux terres inconnues du sud. »
« Celles derrière les montagnes du Filon ? Mais personne ne sait ce qui s’y trouve. » interrompit la jeune fille.
« C’est bien le principe. Il voulait être le premier à conquérir des terres inconnues. Le problème c’est que ces terres sont dites sacrées pour les gens du Sud de la Basse. Chateau-Bas ne pouvait pas laisser passer cette intrusion. Et puis bien plus tard, le problème s’est enlisé et la maladie de la Peste Verte qui a décimé plus de la moitié de la Haute a créé une atmosphère de chaos chez les Hautois. Le mariage de Raoult Destor avec Filomène de Montaux permit une alliance mais qui n’apaisa pas les tensions avec la Basse. Enfin aujourd’hui, Resort, ville à la frontière avec le Sabot, est la première cible des archers Bassois et je pense que ce siège qui dure depuis des lunes a poussé mon frère à chercher une solution. Même si je pense qu’il a choisi la mauvaise. »
Amaury s’interrompît et laissa le silence s’installer dans la pièce. Aléna réfléchissait, si le frère du jeune Hautois était venu demander de l’aide à Madame Figue ce n’était sûrement pas pour ses talents de guérisseuse. Et la peur commença à s’installer dans son cœur.
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