Le lendemain matin, après une courte nuit de sommeil, Aléna fut réveillée aux aurores par des coups sur sa porte. Elle s’habilla précipitamment et remit de l’ordre dans ses lourds cheveux bruns. Élise se trouvait dans l’embrasure de la porte, déjà apprêtée, un panier d’œufs dans les bras. Elle la regarda de haut en bas, et un sourire éclata sur son visage.

« Tu viens de te réveiller n’est ce pas ? » 

« Est-ce si évident que ça… » murmura Aléna en regardant ses pieds.

« Ne t’en fais pas, Katya n’est pas trop portée sur le protocole vestimentaire en cuisine. Tant que tu te laves bien les mains avant de toucher quoi que ce soit. » s’exclama la jeune fille.

Toutes les deux portaient la robe bleu clair, caractéristique des jeunes filles de la demeure du haut-conseiller. 

Aléna suivit Élise jusqu’aux cuisines qui étaient déjà en effervescence si tôt le matin. Elle découvrit dans la grande salle une nouvelle jeune fille qu’elle n’avait pas vue la veille. Elle était très grande et bien plus âgée qu’elle. Ses yeux étaient plutôt clairs et ses cheveux étaient cachés derrière un bonnet de domestique. 

« Aude » se présenta- t-elle simplement en quittant des yeux les fruits qu’elle était en train d’éplucher.

« Aléna » répondit la jeune fille.

Katya la foudroya du regard et Aléna se précipita à côté d’Aude pour l’aider à éplucher la pile de fruits qui devait être déposée sur la table du petit déjeuner des conseillers de la Basse. 

Les ragots dans les cuisines allaient bon train et Aléna écouta attentivement en silence. Malheureusement Élise racontait comment elle avait trouvé une certaine Béa, au côté d’un valet des étages supérieurs. Comme elle, Aude restait silencieuse et restait concentrée sur sa tâche. 

« Depuis quand es-tu arrivée sur la Colline ? » demanda Aléna à sa voisine pour faire la conversation. 

Aude se retourna et sembla réfléchir, puis elle murmura:

« Quelques semaines, peut-être trois, je n’ai pas la notion du temps. » s’esclaffa -t-elle.

« Comment trouves-tu la vie ici depuis que tu es arrivée ? »

« Pas si mal. Je n’ai rien vu d’autre que cette cuisine pour le moment mais Katya n’est pas si terrible. »

Les deux jeunes filles discutèrent tout en s’occupant des fruits et Aléna se sentit tout à fait à sa place dans cette cuisine. Travailler à côté de plantes et de légumes lui avait manqué. Des souvenirs de l’auberge lui reviennent en mémoire, est-ce que les habitués avaient remarqué son absence ? Est ce que Rudrick Hessle supportait la vie seul ? Elle sourit à cette pensée: le vieil homme avait toujours vécu seul, il s’en sortirait.

« Apparemment Neven a été aperçu à Château-Bas. »

Aude et Aléna se retournèrent comme une seule femme.

Elise les vit et éclata de rire face à leur regard étonné.

« Ne me regardez pas comme ça ! Ce ne sont que des rumeurs. » s'exclama-t-elle.

Aléna réalisa que le plan qu’elle avait confectionné avec Amaury avait des failles: comment allait-elle le prévenir de l’endroit où était caché Neven ? Elle n’avait pas la possibilité de quitter la Colline et lui ne pouvait pas y entrer sans passer par le boyau. Elle se sentit coupable de l’avoir abandonné la veille dans l’auberge de la Pierre Rose. Que se passerait-il si quelqu’un venait à découvrir qu’il venait de la Haute ?

Le rire d’Elise la sortit de ses pensées, la jeune fille se moquait de la robe que portait l’un des conseillères la semaine dernière. Elle ne semblait pas se rendre compte du chaos que vivait la Basse. En réalité, personne dans la demeure ne se préoccupait de la guerre ou de la disparition de Neven. Aude à ses côtés murmura:

« Toi qui a des nouvelles de dehors, est ce que les brigands sont toujours là ? »

Sa question surprit la jeune fille, comment avait-elle eu vent des attaques des brigands, enfermée depuis trois semaines aux cuisines ?

« Je n’en sais pas beaucoup, personne n’en a entendu parler depuis quelques jours. »

Elle omit de lui dire que Amaury et elle les avaient combattu sur la route menant à Château-Bas, elle ne voulait pas s’attirer des ennuis. Lorsque le petit déjeuner fut prêt, d’autres domestiques vinrent pour apporter les plateaux dans les étages. Katya laissa pas les jeunes cuisinières se reposer pour autant car elles devaient désormais s’atteler à la confection du déjeuner. Aléna soupira, le calme de la maison de Madame Figue lui manquait.

Les jours passèrent si vite qu'Aléna perdit le fil du temps. Chaque matin, elle se rendait aux aurores aux cuisines. Elle n’avait plus besoin d’Elise pour lui montrer le chemin et parfois même, la jeune nouvelle arrivait avant elle. Katya, Aude, Élise et elle s'attellaient à préparer des soupes, des tourtes, des faisans, des ragoûts tout en échangeant des ragots qui se répétaient et qu'Aléna finit par connaître par cœur. 

Elle n’avait rien appris sur Theobald Livraux, la guerre ou même les brigands et elle s’enfermait petit à petit dans une routine faite d’épluchage et de commérages. Elle n’avait eu aucune nouvelle d’Amaury depuis son arrivée et elle espérait que le jeune homme s’en sortait seul dans les rues de Château-Bas. 

Elle apprit à connaître Aude et Élise et finit par les considérer comme de véritables amies. C’était nouveau pour elle: des amies et elle se sentait entourée par une douce chaleur permanente à leur côté.

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Finalement, un événement inattendu finit par se produire qui changea un peu le cours de leur habitudes. 

Alors qu’elle venait d'arriver en cuisine, elle surprit Élise et Katya en pleine discussions. Les deux femmes s’interrompirent à son approche et après quelques secondes de silence, elles lui firent signe de s’approcher. 

« Apparemment un conseiller vient d’arriver sur la Colline. » murmura Élise.

Comme c’était plutôt courant que la demeure accueille des telles personnalités, Aléna ne comprit pas vraiment l’engouement de cette nouvelle.

 « Un conseiller hautois » précisa Katya.

Les yeux d’Aléna s’agrandirent: un hautois, en temps de guerre ? Que venait-il bien faire là ? Theobald Livraux avait-il trouvé un moyen d'arrêter les combats ? 

« Comment ? » répondit-elle 

Face à cette réaction inattendue, Élisa fut prise d’un grand éclat de rire qu’elle ne put arrêter. 

« Je pense que cette maudite guerre est sur le point de s’arrêter. » sourit Katya.

Elle ne savait pas à quel point elle se trompait.

Aude arriva dans la cuisine le sourire aux lèvres, elle avait dû entendre la nouvelle en arrivant.

L’ambiance dans la cuisine était à la fête, Élise chantonnait en préparant la tartes aux myrtilles et Aude arborait un grand sourire qu’elle ne pouvait réprimer. Seule Aléna paraissait confuse. Que pouvait bien signifier l'arrivée d’un hautois à la capitale ? Et Neven qui était toujours caché, l’avaient-ils tous oublié ? 

A l’heure du déjeuner, tous les plats partirent vers les étages et la petite cuisine put enfin souffler. Les jeunes filles avaient préparé de nombreux plats pour époustoufler l’invité étranger et la matinée avait été épuisante. Aléna s’adossa aux rebords de la grande table en bois au centre de la cuisine et ferma les yeux quelques instants. Elle n’avait jamais été autant fatiguée même lorsqu’elle travaillait de jour à l’auberge et de nuit avec Madame Figue. A côté d'elle, Katya et Élisa paraissaient elles aussi épuisées. 

Finalement elle finit par s'asseoir sur une chaise et espéra que Katya ne lui tiendrait pas rigueur de sa fatigue. La cuisine devint calme, le déjeuner était enfin fini et elles avaient quelques heures de répit avant de devoir préparer le souper. Aléna se demanda comment s’était passé le repas de Theobald Livraux avec le conseiller hautois. Est -ce que Amaury était au courant qu’un de ses compatriotes était à Château-Bas ? 

Ce fut sa dernière pensée avant de s'effondrer sur le sol.