Chapitre 8

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Amaury se demandait ce qui clochait chez lui. À peine le petit déjeuner terminé, il espérait que Neven ne se décide jamais à partir. Il voulait que les jours durent des mois et qu’ils n’arrivent jamais à Montaux. Car alors cela signifierait qu’ils partiraient chacun de leur côté. Et à cette pensée, le cœur d’Amaury se serrait. C’était étrange, il ne connaissait pas Neven depuis longtemps, à peine quelques jours, mais il avait déjà l’impression qu’il faisait partie intégrante de sa vie. Il n’avait raconté autant de détails sur son passé à personne, même pas à son frère ou à Aléna. Comme la fois où il s’était enfui du cours de son précepteur pour suivre Roland jusqu’au Sabot et observer de loin les débris des combats. Ou comme la fois où il avait surpris sa mère avec un autre homme. Tant de choses qu’il ne voulait pas s’avouer mais qu’il avait confiées à Neven. Pour la première fois depuis longtemps, il se sentait compris et écouté. 

Il sentit une main posée sur son épaule et il sursauta. Neven se tenait debout à ses côtés et semblait attendre une réponse à une question que Amaury n’avait pas entendu.

« Tu peux répéter, pardon j’étais dans la lune. »

« Je te disais qu’on allait bientôt lever le camp. J’espère arriver à la frontière avec Montaux demain dans la soirée. » 

« Si tôt ? » se surprit à demander Amaury. 

« Je ne suis… nous ne sommes pas en sécurité en Basse-Plaine. » rappela Neven en soupirant. « Moi aussi je préférerais rester ici dans la vallée. Mais nous devons rejoindre Montaux au plus vite pour plus de sécurité. »

Amaury acquiesça sans conviction et attrapa les rênes de son hongre alezan. A ses côtés, Neven était déjà en selle et l’attendait, prêt à partir.

« Amaury tout va bien ? » demanda-t-il « Tu sembles perdu depuis ce matin. »

Amaury le rassura d’un signe de la tête. Il ne voulait pas expliquer ce qui se passait. Lui-même n’en savait pas grand-chose. Il se sentait étrange tout simplement et visiblement un peu perdu.

Ils quittèrent l’orée de la forêt pour suivre un petit chemin de terre qui débouchait sur la frontière avec Montaux. Le chemin consistait simplement en quelques hautes herbes sèches aplaties par les voyageurs passés avant eux et il s’enfonçait dans un fouillis de ronces et d’épines. L’herbe était sèche et l’air était chaud. La Basse n’était pas réputée pour un été clément et bientôt Amaury se sentit étouffé dans sa tunique. A côté de lui, Neven n’en menait pas large. En quittant la forêt de Derdre, ils quittaient également l’ombre que projetaient les hauts pins.

« Nous devons faire une pause. » murmura Neven. Les chevaux peinaient à poser un pied devant l’autre et les cavaliers n’en menaient pas plus large. 

Ils se trouvaient au sommet d’une colline. Le paysage devenait de moins en moins plat, ils avaient quitté la vallée. Amaury descendit de sa monture pour la descente, très vite imité par Neven. Ils ne devaient pas alourdir les chevaux déjà fatigués par la longue marche matinale. Le chemin serpentait dans la descente et des cailloux roulaient sous leurs pieds. Du haut de leur promontoire, la vue était magnifique. Le ciel bleu et sans nuage éclairait la vallée en contrebas. Des champs de fleurs et de bouquets parfumés peuplaient cette vision paradisiaque. Amaury désigna du doigt un petit ruisseau qui se trouvait caché parmi les plantes sauvages. Le lieu parfait pour se reposer. Ils continuèrent la descente doucement par peur de se briser un membre et ce fut en silence qu’ils débarquèrent dans la vallée. Pas une ferme, pas un être vivant, le silence était brisé par les champs des oiseaux et le bourdonnement des abeilles. 

Aucun des deux n’osa briser le silence de ce moment. Amaury se sentait bien, mieux qu’il ne l’avait jamais été. Et il aurait remercier les cieux d’avoir rendu la Basse intraversable aux heures les plus chaudes de la journée: cela lui permettait de prolonger le voyage. 

Une fois qu’il fut assis au bord du ruisseau, les pieds dans l’eau, Amaury posa la question qu’il avait sur les lèvres depuis sa rencontre avec Neven.

« Pourquoi ton mariage a-t-il été annulé ? » 

Neven se retourna pour lui faire face et le regarda fixement dans les yeux pendant un court instant. Puis il baissa les yeux et son regard s’assombrit.

« Un temps de guerre n’est pas un temps pour un mariage. »

Amaury savait que son ami ne lui disait pas tout mais il n’osa pas insister. 

Étonnamment, ce fut Neven qui relança le sujet quelques minutes plus tard alors que seul le bruit des oiseaux se faisait entendre. 

« Élodie de Moissau n’était simplement pas faite pour moi je pense. J’ai encore honte d’avoir annulé ce mariage. Mon père a dû trouver une excuse, il a prétexté la guerre et les attaques des brigands. En réalité c’était moi le problème. Je ne suis pas prêt à me marier. Pas avec une femme. »

Amaury mit longtemps à comprendre ce qu’il sous-entendait. Neven aimait les hommes. Neven pouvait l'aimer. Il secoua la tête à cette pensée, quelque chose ne devait décidément pas tourner rond chez lui. 

« Ça te pose un problème ? » demanda doucement Neven après de longues minutes de silence.

« Par rapport à quoi ? »

« Le fait que j’aime les hommes. » 

Amaury ne trouva pas de réponse. Que pouvait-il bien dire? Il n’y avait pas de bonne réponse à cette question. Et aucun mot ne pouvait expliquer ce qui ressentait à l’intérieur, cette confusion, cette joie, cette vague d’émotion qu’il ressentait depuis qu’il était avec Neven. 

C’est à ce moment qu’il décida de l’embrasser.

Le temps semblait s'être arrêté. Amaury ne pouvait penser à rien d'autre qu'à leurs lèvres unies dans un sourire sincère. Une douce chaleur lui parcourut le corps et il frissonna. À ce moment, il n'y avait rien d'autre qui comptait pour le jeune homme, il oublia son frère ou sa mission. Seul leur baiser comptait. Et le sourire de Neven sur ses lèvres. Et sa main qui vint chatouiller ses mèches blondes. Le brun l'entraîna sur l'herbe mouillée, au milieu des fleurs et il se retrouva au-dessus d'Amaury les deux mains encadrant son visage. Ils se regardèrent un instant puis Amaury releva la tête pour venir chercher un second baiser. Cette fois-ci, il y mit toutes ses émotions, sa colère envers son frère et contre la guerre, sa joie de se trouver là avec Neven. Amaury n'était plus perdu, il comprenait les choses pour la première fois. Il était tombé amoureux du fils du haut-conseiller de la Basse. Sa main vint se poser sur la joue du brun et ce dernier répondit en intensifiant la pression sur ses lèvres. Lorsque les deux jeunes hommes reprirent enfin leur souffle, Neven se redressa et Amaury en profita pour l'observer: son beau visage ambré, ses pommettes hautes et ses yeux noirs qui semblaient lire en lui. Neven retomba à ses côtés et Amaury plaça sa tête dans le cou de son compagnon. Le temps semblait s'être arrêté. Leur mains se trouvèrent dans l'herbe mouillée et ils s'accrochèrent l'un à l'autre comme si leur vie en dépendait. Amaury comprenait qui il était et il apprenait à s'aimer. Lui qui s'était tant comparé à son frère, à ses actions, à ses voyages, à ses valeurs, à son courage. Il comprenait enfin du courage pour accepter qui on est et pour s'aimer. 

" Merci" murmura-t-il la tête toujours lovée dans le cou de Neven.

Neven se redressa sur un coude et ses yeux brillèrent, il déposa ses lèvres sur celle d'Amaury, cette fois-ci en y mettant toute la douceur et l'amour que ce dernier méritait. 

" Ne me remercie pas encore." murmura-t-il malicieusement. Il attrapa la taille fine du jeune blond et l'entraîna avec lui dans le ruisseau.

Les cheveux dégoulinant sur son visage et son cou, Neven souriait d'un sourire éclatant qui donna envie à Amaury de se jeter dans ses bras. Des gouttes de lumière se trouvaient dans ses yeux brillants.

" Désolé je n'ai pas pu m'en empêcher." sourit-il. "Tu avais bien besoin d'une douche après le voyage." 

Amaury l'aspergea d'eau et plongea sa tête dans le ruisseau. L'eau fraîche sur son visage lui fit réaliser pleinement que ce qu'il vivait n'était pas un rêve. 

Lorsqu'il sortit la tête de l'eau, Neven l'attendait, le sourire aux lèvres. 

" Qu'as tu prévu encore comme mauvais coup ?" demanda-t-il en reculant.

" Rien promis. Tu es beau les cheveux détachés." remarqua-t-il doucement. 

Amaury se rendit compte que son ruban noir s'était détaché et était surement tombé dans l'eau. Mouillés, ses cheveux blonds tombaient sur ses épaules et devant son visage. Neven tendit le bras pour repousser une des longues mèches blondes derrière l'oreille d'Amaury.  

" Merci à toi aussi." murmura-t-il.

Les yeux levés vers le ciel, Amaury regardait les étoiles. Cela faisait longtemps qu’il ne s’était pas posé pour les regarder. Que l’on vive en Haute ou en Basse, les étoiles restent les mêmes. Et il pouvait voir un peu de chez lui dans le ciel. Il sentait le cœur de Neven battre doucement à ses côtés, les deux jeunes hommes s’étaient endormis l’un contre l’autre. Amaury pensait à ce qu’il s’était passé la veille, ils s’étaient embrassés. Un sourire se forma sur ses lèvres: ils s’étaient embrassés.

Lorsqu’il ouvrit les yeux une nouvelle fois, il faisait jour et les étoiles avaient disparues. La douce chaleur du corps de Neven avait elle aussi disparue. Amaury se redressa en sursaut pour regarder les alentours. Ou avait-il pu disparaître ? Était il parti sans lui ? 

Une main se posa sur sa tête et ébouriffa ses cheveux blonds.

« Détend toi, je suis là » murmura la voix grave de Neven dans son oreille.

Amaury se retourna pour lui donner un coup dans les genoux mais le fils du haut-conseiller avait déjà fuit vers les chevaux.

« Il faudrait que nous partions maintenant, si nous voulons atteindre Montaux avant ce soir. » annonça Neven.

Amaury ne voulait pas quitter la vallée. Ici ils étaient seuls, au milieu des montagnes et de étoiles. Mais Neven devait être mis en sécurité, et si pour cela ils devaient partir à Ile-Rive alors il le suivrait.

Il se leva et épousseta sa tunique, salie par le sol poussiéreux où il avait dormi. Finalement, il observa pour la dernière fois la vallée aux fleurs. Tout semblait magique. 

« Nous reviendrons » promis Neven en s’approchant à ses côté. « Lorsque tout sera fini, je te promet que nous reviendrons. »

Amaury acquiesça doucement. Il voulait y croire mais parfois le destin brise certaines promesses.

Ils quittèrent la vallée en silence. Et pourtant, Amaury aurait voulu dire tant de choses, des mots qui ne passèrent pas ses lèvres. Il se demandait ce que leur histoire allait devenir ? Leur histoire à eux, ensemble. Les relations entre hommes n'étaient pas interdites sur la Plaine mais peu osait la montrer en public. 

Alors qu'ils suivait une route de terre au travers des collines parsemées d'arbres, Amaury osa enfin poser sa question:

" Que va-t-il advenir de nous quand nous atteindrons Ile-Rive ?" 

" Qu'est ce que tu souhaiterais ?" demanda Neven en se tournant vers lui.

" Je sais que nous ne nous connaissons pas depuis très longtemps. Mais j'aimerais essayer, j'aimerais apprendre à te connaitre suffisamment pour faire partie de ta vie." 

Le sourire que Neven lui renvoya le traversa comme une vague de chaleur. 

" J'aimerais essayer moi aussi." murmura-t-il.

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