Chapitre 9
Aléna suivait le petit groupe avec quelques mètres de distance. Elle ne voulait pas imposer sa présence entre les voyageurs qui se connaissaient déjà depuis longtemps. Tout ce qu'elle pouvait faire, c'était entendre leur voix s'élever entre les arbres parsemée de rires et de chansons. La voix forte d'Agnès menait le chant bien vite rejoint par Clothilde et Adelaïde. Puis survint la voix grave du mari de Doux-sac accompagné par celle un peu plus douce de Louis. Leur harmonie s'élevait entre les arbres de la forêt de Derdre. Ils avaient traversé une bonne partie de la Basse et se trouvaient désormais aux abords de la frontière avec Montaux. Cela devait faire un ou deux jours qu'ils voyageaient ensemble à travers la région mais Aléna n'avait pas essayé de se rapprocher d'eux. Elle ne pouvait oublier tout ce qui lui était arrivé durant ces derniers jours: la mort de Roland et de Aude, sa rencontre avec Theobald Livraux et sa découverte de son passé et puis la disparition d'Amaury. Elle ne pouvait pas penser à autre chose.
Lorsqu'elle se rendit compte que le chant avait cessé, Louis avait déjà ralenti pour se trouver à son niveau. Le jeune garçon de Montaux avait la peau pâle et les yeux d'un vert très profond particulièrement rare en Basse-Plaine.
D'une certaine façon, il lui fit penser à Caspar. Ses yeux s'embrumerent à la pensée de son frère. Cela faisait des années qu'elle n'avait pas pensé à ses frères ou à son passé à Buria. Elle préférait enfermer ces souvenirs au plus profond de son cœur de peur qu'ils la détruisent.
"Tu vas bien ?" demanda Louis une fois à côté d'elle. " Cela fait deux jours que nous voyageons vers Montaux et tu n'as toujours pas prononcé une parole."
" Est ce que c'est Agnès qui t'a demandé de venir me parler ?" demanda Aléna avec un sourire. Elle avait fini par s'habituer à sa solitude mais la présence de Louis lui faisait du bien.
" Oui et non. C'est vrai qu'elle se fait du souci pour toi. Tu nous as rejoints sans explications et tu vas à Montaux complètement au hasard, enfin c'est ce qu'on pense tous. Est ce que tu t'es enfuie de chez toi ? As tu au moins une famille ?"
Les questions de Louis s'enfoncèrent dans son cœur comme un couteau. Bien sur qu'elle avait une famille. Mais comment pouvait-il s'imaginer à quel point sa vie avait été mise en danger dans son enfance.
" Je ne pense pas que tu sois prêt à entendre mon histoire." se moqua -t-elle en se tournant vers Louis.
Ce dernier acquiesce en souriant, il avait compris que le sujet était délicat pour la jeune fille et il n'insista pas. Chacun avait des secrets qu'il fallait mieux garder comme tel.
Mais au lieu de retourner avec les autres, il resta à ses côtés et Aléna lui fut reconnaissante pour sa présence. Ses frères lui manquait, Amaury lui manquait. Mais maintenant, elle devait se focaliser sur sa mission: trouver le fils du haut-conseiller Livraux.
La petite troupe de voyageurs traversèrent la Basse et ses champs. Le voyage passa vite et lentement aux yeux de Aléna. Elle appréciait les entendre rire et écouter leurs discussions sur la Plaine et ses différentes coutumes. Elle en apprenait plus sur les régions et ses habitants grâce aux sœurs et à Louis. La plupart du temps, elle restait silencieuse et personne ne lui tenait rigueur pour son mutisme. Chacun d'entre eux, à leur façon, appréciait la jeune fille et comprenait son silence. Ils partageaient avec elle leurs vivres, leurs couvertures et leurs histoires. En échange, la jeune fille concoctait des tisanes avec les plantes trouvées sur le chemin, des remèdes aux insomnies de Clothilde ou aux maux de ventre d'Agnès. Au fur et à mesure des jours, ils finirent par s'habituer à sa présence discrète et ils essayaient plus de lui poser des questions sur son passé.
Aléna ne pouvait se sortir de sa tête les souvenirs de sa vie à Buria et sa fuite. Maintenant qu'elle avait grandi, elle comprenait enfin les dangers que ses frères avaient courus en l'aidant à s'échapper. Que leur était-il arrivé. Leur père les avait-il punis ? Chacune de ses questions tournaient en boucle dans son esprit et elle ne pouvait s'en détacher. La nuit, elle se réveillait en sursaut avec le visage pâle de Madame Figue dans ses yeux. Sa mort l’obsédait et la faisait pleurer. Aléna pensait être devenue folle, enfermée dans sa colère et ses souvenirs.
Alors qu'elle se trouvait loin de groupe comme à son habitude, Louis fit ralentir sa monture et la sortit de ses sombres pensées.
" Nous sommes arrivés à Montaux."
" Comment ?" murmura la jeune fille en se retournant précipitamment vers le garçon.
" La frontière, nous y sommes."
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