1.
J'étais tellement absorbée par la contemplation de ''La traversée du miroir'' de Philippe Ramette que je sursautai en sentant mon téléphone vibrer dans ma poche.
- Jana ! Désolée soeurette je suis super à la bourre ! Tu es où ?
- Ne t'inquiète pas, j'ai l'habitude, plaisantai-je. Attend-moi devant, j'arrive tout de suite.
Je rangeai mon portable et quittai alors la galerie en saluant la propriétaire.
- Bonne soirée Mme Carroll.
- A toi aussi, ma chérie. Et n'oublie pas l'exposition sur le surréalisme, la semaine prochaine.
- J'y serai, promis, lui dis-je en souriant.
En passant la porte, j'aperçus ma soeur scotchée à son portable, sans aucun doute en train de relire les notes de son dernier manuscrit. Alors que j'étais une prof d'art pour pré-ados, fraîchement diplomée, Mina avait décidé de continuer ses études en littérature hispanique en attendant de trouver sa voie. Quand elle avait publié son recueil de nouvelles fantastiques, j'ai su qu'elle l'avait trouvée et qu'elle était épanouie.
Mais, il y a trois mois, son éditrice lui avait demandé d'écrire une romance. Autrement dit, son pire cauchemar ! Nous avions beau être le double l'une de l'autre, ma chère jumelle et moi ne partagions pas les mêmes opinions sur l'amour. Elle me chariait sur mon côté fleur bleue. Elle devait pourtant avouer que mes conseils de romantique lui avaient bien servi pour son histoire.
- Alors, ça a plu à ton éditrice ?
- Oh purée Jana, tu m'as fait peur ! Elle a adoré l'épisode de la ferme. C'était trop marrant. Encore mieux que la rencontre et la balade sous les étoiles sur fond de musique jazz. Ça a fait son petit effet.
- Et quand est-ce que tu comptes me laisser lire ces scènes qu'on a, je te rappelle, plus ou moins imaginées ensemble ?
- Uniquement quand j'aurai fini d'écrire le livre. Je te promets que tu découvriras le tout en avant-première, me dit-elle en me faisant un clin d'oeil. Au fait, je suis vraiment désolée de ne pas avoir pu assister à l'exposition. Mais la prochaine fois, je te jure que j'arriverai à l'heure.
- Oui, oui je te crois. Alors, raconte moi un peu ce qu'elle a dit au moins, lui demandai-je alors qu'on marchait tranquillement, en direction de notre appartement.
- Elle adore le personnage masculin. Beau, grand, fort, un peu stéréotypé à mon goût, mais bon ! Finalement, ce sont tes idées farfelues de prince charmant qui m'ont aidée à créer ce tendre et mystérieux professeur dont la voix ferait mouiller n'importe quelle petite culotte.
Sa réplique me fit stopper net.
- Qu'est-ce que tu viens de dire ?!
- Hé ! Ne me regarde pas comme ça. Tu connais Edith.
- Je te signale que je n'ai pas d'idées farfelues et que je ne rêve pas du “prince charmant”, m'insurgeais-je lui donnant en coup de coude.
Face au regard moqueur de ma soeur, je répliquai:
-Je ne veux pas un prince comme dans les contes. Je veux juste une personne qui me respecte, me comprenne, qui m'aide à affronter les épreuves de la vie tout comme je l'aiderai. Quelqu'un avec qui j'aurai une alchimie vraie et sincère. Je ne veux pas forcément le désirer sexuellement. Je veux juste l'aimer d'un amour profond, tu vois ?. Je veux...je veux sentir des papillons dans le ventre quand il me regarde avec amour. Je veux avoir la chair de poule quand il me touche avec respect. Je veux pouvoir à peine respirer quand il m'embrasse avec tendresse. Je veux m'enflammer parce que notre lien sera fort et pure. Je...
Vu que les yeux de ma soeur commençaient à sortir de leurs orbites, il était clair que je m'étais peut-être lé-gè-re-ment embalée.
- En gros, tu veux tomber amoureuse pour avoir des crampes d'estomac, de la grippe, de l'asthme et de la fièvre ? J'espère quand même que ton petit-ami imaginaire te soignera, parce que sinon t'es mal barée, ma pauvre !
Je savais qu'elle pensait que j'étais totalement barge. Bon, peut-être que je l'étais. Un peu.
Mais, au plus profond de moi, j'avais la certitude que cette personne existait. Quelque part.
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