Théâtre

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J’aime les gens, et pas seulement morts ou loin de moi. Je les aime à ma façon. Paradoxalement, je les déteste souvent pour les mêmes raisons. Les voir se repaître d’inepties virtuelles à longueur de temps, se vautrer dans la rumeur et les critiques, se prendre en photo pour étaler leur vie devant tout un tas de regards malveillants ou intéressés, publier des selfies pour s’offrir une injection de flatterie, coupée aux simagrées… J’exècre le factice, mais je sais désormais lui reconnaître bien des utilités. La principale : jouer avec les apparences pour parvenir à ses fins, toutes confondues.

Le monde humain adore les apparences. Comment ne pas voir du divin dans la création du plus grand théatre connu dans l'univers ? À mes yeux, les règles du jeu demeurent toutefois absurdes et ridicules, mais ce sont les règles. Les « codes » à apprendre. Plus difficile encore, à comprendre. Certains cerveaux similaires au mien, qui n’étaient pas forcément doués au départ voire même particulièrement déficients, sont devenus des maîtres en puissance dans l’art du camouflage. Par un long et fastidieux apprentissage de leurs erreurs et par lecture de très nombreux livres. La psyché humaine, les micro-expressions, les émotions, le langage corporel, soit autant de sujets à explorer pour les handicapés de la relation sociale.

Moi qui n’arrivait même pas à entrer dans une boulangerie pour acheter une baguette de pain sans angoisser ni même à rester dans un bus bondé sans avoir à en sortir en cours de route… Il m’en aura fallu des années pour progresser, dans la souffrance, dans la douleur, à la sueur et au sang de ce front plus froid que jamais. Désormais, je ne fais que peaufiner les imperfections, collectionnant les masques au fil de mes expériences et de mes lieux de travail, essentiellement, puisqu'en dehors, je deviens un ermite, cloîtré chez lui au milieu des livres et de la nature. Oui, Je porte des masques, un peu comme tout le monde au final. Je suis même parvenu à me stabiliser professionnellement, non sans quelques dérapages incontrôlés, sinon quelques sérieuses sorties de route, situations au cours desquelles le vrai moi s’échappe de sa cage. À cœur vaillant, rien n'est impossible. Sourire, opiner du chef pendant les conversations sans intérêt comme un chien de plage arrière, pencher la tête et fixer raisonnablement le regard pour simuler l’intérêt… Tout s’apprend. Ma boîte à outils n’a jamais été aussi riche.

J’ai toujours détesté feindre. Hélas, le constat est sans appel : sans ces imposteurs que j'incarne, je suis condamné. Autrement dit, je n’ai d’autre choix pour survivre au sein du système en place que de montrer celui que je ne suis pas, ou presque pas, cela dépend. Résistance et rigidité n’étaient pas et ne seront jamais la solution, pour qui que ce soit. Seuls les plus forts s’adaptent, seuls les plus forts survivent. Telle est la loi de la nature. « Be water, my friend », comme disait Bruce Lee.  

Comment ne pas penser à tous ces criminels notoires tels que les tueurs et violeurs en série qui ont réussi à se faire passer, aux yeux du plus grand nombre, pour des pères aimants, des voisins serviables et souriants, des employés de l’année, et que sais-je encore, leur véritable nature n’étant révélée qu’au moment de leur arrestation puis de leur procès… Parce qu’ils avaient compris à quel point la manipulation des apparences garantissaient leur liberté, sinon la continuité de leur existence. Et de l’assouvissement de leurs penchants. Que l’on se rassure, cela vaut également pour ceux qui n’ont jamais tué ni violé un seul être sur terre.

Impossible d’être perpétuellement seul. Le système n’est pas conçu de la sorte. Si le partenaire et la parentalité restent en option, travailler ne l’est pas, à moins d’être millionnaire ou d’accepter de finir dans la rue. Travailler signifie le plus souvent avoir des collègues, des clients, des patrons, des patients, entre autres, et donc évoluer dans la relation avec autrui. Et de bonnes relations sont manifestement importantes pour prospérer et pour se fondre dans la masse. Incognito. C’est aussi le meilleur moyen pour s’exercer et affiner chaque technique, chaque stratégie, chaque approche.

Beaucoup fustigent l’hypocrisie, clamant haut et fort qu’il est préférable d’opter pour la franchise, la sincérité, l’authenticité… J’ai longtemps prôné cette hypothèse, parce que je ne savais pas m’adapter. Poser la question à Google : « l’hypocrisie fait-elle partie d’une relation saine ? »

À force de pratique, d'aucuns constateraient que simuler améliore les relations et la sérénité. J’ai fini par le prendre comme un jeu plutôt que comme une corvée insoutenable, jusqu’à considérer ces rôles comme de l’art. L’art d’être un caméléon que personne n’attend au virage, dont personne ne se méfie, à qui l’on confie bien des informations utiles tôt ou tard, au profit de l’un comme au détriment de l’autre ; l’art d’être cet ami qui vous veut du bien, bon collègue ou confident qui peut vous évincer froidement si jamais vous lui faites un coup bas ou si vous nuisez à l’ordre général, éliminé comme un vulgaire moustique. Qui peut aussi réellement vous venir en aide grâce à son intelligence « spéciale. » Au choix. 

Plus intéressant encore, c’est le fait de développer la capacité de voir chez en ses congénères les fausses notes et les incohérences qui trahissent leurs véritables pensées et leur part d’ombre. Et, semble-t-il, nous en avons tous une, tapie quelque part derrière une tape amicale dans le dos, un sourire chaleureux ou encore une invitation à dîner…

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