Voisinage

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Ma conjointe et moi-même avions emménagé dans notre nouvelle maison, un pavillon jumelé, en tant que nouveaux propriétaires, depuis trois mois. Nouveau quartier, nouvelle rue, nouveaux voisins et donc, nouvelles occasions de s’exercer aux relations sociales et à leurs normes farfelues. Exercices de toute évidence contre-nature. Je les détestais. Conséquence, je les fuyais comme la peste. Non pas que je n’y trouvais jamais la moindre forme de satisfaction, mais je n’en comprenais pas le fonctionnement, ni même les objectifs, et la quasi-totalité de mes tentatives s’avéraient le plus souvent désastreuses. Simplement vaines dans le meilleur des cas.

Pourtant, il arrivait qu’on me trouve agréable, parfois même jovial, notamment les jours où j’étais suffisamment bien luné pour porter le masque d’un type sympathique et serviable, jusqu’à ce que celui-ci tombe, tôt ou tard, et qu’on décèle ma vraie nature.

— Eh ! Thomas, ça va ? me demanda mon voisin célibataire avec qui j’avais rarement discuté, surgi de nulle part, comme un prédateur de son buisson.

« Ça va ? Tu vas bien ? La forme ? » Et toute la clique. Ces questions à elles seules faisaient systématiquement soupirer mon esprit. L’agacer même. Il ne fallait pas être sorti de Saint-Cyr pour comprendre qu’il s’agissait d’éléments-clés dans les introductions de conversations, futiles et inutiles notamment. De façon robotique, tout le monde posait ces questions pour la forme, mais à quel moment, pour le véritable fond ? L’émetteur n’avait pas vraiment envie d’entendre une réponse authentique tout comme le récepteur n’avait aucune envie d’y répondre avec sincérité. Car soit l’un se foutait royalement que ça n’aille pas ou que ça aille, d’ailleurs, soit l’autre ne ressentait pas le besoin ou la nécessité de s’étaler sur ses problèmes personnels. Soit les deux. Sauf exceptions. Alors pourquoi poser la question ? Parce que cela faisait partie de l’interminable liste de codes sociaux à intégrer en vue de générer du lien social. Voilà ce que j’avais compris au cours de mon étude.

Euh, s’il vous plaît ? Dernière question. Mais au fait, pourquoi créer absolument du lien social ? Comment dites-vous ? Pour qu’un maximum de relations avec autrui se passent le mieux possible et en pleine conscience de notre interdépendance au jour le jour ? Ah bon... Et que se passe-t-il lorsqu’on ne ressent ni l’envie ni le besoin de développer du lien social et qu’au contraire, essayer de le faire nous épuise voire nous ravage ? Allô… Youhou ? Y a quelqu’un ?

À questions de hors-moule, réponse du moule : il faut aller consulter, car ce n’est pas norm-al.

— Thomas ? T’es sûr que ça va ? reprit l’envahisseur, ganté et sécateur en main.

— Désolé, j’étais dans mes pensées. Oui, oui, ça va très bien. Et toi ?

Et c’est parti… Délivrez-moi, Seigneur.

— Ça va, je suis en vacances.

Et qu’est-ce que tu veux que ça me foute, au juste ? Biiip… Délai imparti dépassé !

— Ah, cool ! Alors profites-en bien surtout. À la prochaine !

— T’as l’air pressé, dis donc.

Oups… Grillé. Vraiment dommage.

— Je le suis toujours, même quand je n’ai pas de raison de l’être. Hyperactif, tu vois le genre…

Surtout quand j’ai une excellente raison de l’être, en fait.

— Oh, c’est vrai ? Mon père aussi est hyperactif, il n’arrête jamais. Il tient pas en place. Par contre, ma mère, elle, c’est tout l’inverse. T’as été diagnostiqué TDAH quand t’étais gosse, peut-être ?

Pauvre fou, n’ai-je pas été assez clair ?

— Bien plus tard, mais…

— On n’entend plus parler que de ça. TDAH, Dys…

Prends sur soi, respire. Cheeeeeese.

— Ouais, ouais… Bon allez, à la prochaine. Passe une bonne journée.

Température intérieure en baisse. Thermostat HS.

— T’as été diagnostiqué où ?

— Quelque part, répondis-je plus froidement.

Un blanc s’ensuivit. Plutôt de bonne augure. Il suffisait d’un petit plus d’authenticité de ma part dans cette conversation pour la rendre plus agréable.

— Ah… Allez, je te laisse, salut.

Vraiment plus agréable. Victoire.

Un signe de la tête suffira pour mettre un terme au calvaire.

Dès les premiers instants, ma cervelle avait donné le signal d’alarme. Code rouge. Pipelette repérée. Parce que j’avais passé des dizaines d’années à examiner l’esprit humain à la loupe, en quête de réponses me concernant, j’avais développé un regard très aiguisé sur ceux de ma race. Eh oui, tout s’apprend. J’en déterminais rapidement le profil. Et ce type de personnages faisait partie du top 3 de ma black list secrète, tout simplement parce que le masque social ne faisait qu’aggraver la situation, les encourageant dans leur diarrhée verbale, en l’occurrence. Si cela leur faisait manifestement beaucoup de bien de déféquer ainsi dans les oreilles de leurs pairs, pour moi, c’était intolérable. Les relations sociales, c’est comme de la chimie. Certaines molécules réagissent bien ensemble, mais pas toutes. Et dans le cas de ce voisin et moi, l’incompatibilité était avérée. Note : ne pas mélanger sous peine de réaction néfaste.

Par la suite, avant de sortir de chez moi, je regardais par la vitre si sa voiture était garée et s’il y avait le moindre risque d’une rencontre potentielle. Quand j’avais bon espoir que la voie reste libre, je sortais de chez moi, pour déposer mon sac jaune sur le trottoir par exemple, ou pour relever le courrier. Au pas de course. Cela valait mieux pour lui. Et pour moi, le con de nouveau voisin solitaire, fuyant et froid.

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