Tout avait commencé un vingt-quatre décembre, un an jour pour jour après la naissance d'une chose qui n'aurait jamais dû venir au monde...

Ce fût une année de grand froid, ressenti y compris au château... Et contrairement à ce qu'affirmait le conte « la Belle et la Bête », les événements qui ont suivi n'étaient en rien liés à une quelconque rose malencontreusement cueillie !

Juste quelques nuits auparavant, l'air était si glacial que même les senteurs piquantes de l'hiver semblaient devoir geler au vol. Aucune rose ne se serait risquée à pousser par des températures pareilles. Et si je dis AUCUNE, c'est que j'en ai l'absolue certitude : j'aurai senti la moindre tentative de floraison à des lieux à la ronde.

Je ne suis pas une simple « bête », je suis un loup-garou. Notre odorat est parmi les plus affutés au monde, même parmi les créatures de la nuit, celles qui hantent vos cauchemars d'humains aux sens atrophiés par la civilisation.

Vos contes et légendes veillent à camoufler la vérité sous une épaisse couche de mensonges sucrés, qui pourtant m'évoquent l'odeur aigre de la peur, ou celle lourde et musquée de l'envie. Car vous ne vous contentez pas d'avoir le plus souvent peur de nous, vous autres humains... Parfois vous vous permettez d'oser rêver à nous ressembler. Comme si vous pouviez en être dignes, misérables mortels !

Mais nombreux furent ceux qui vinrent roder autour de notre château, avides d'un destin plus élevé que celui auquel leur naissance les confinaient. Parfois des rumeurs s'échappent du strict secret auquel nous nous obligeons, nous autres créatures improbables. Et malheureusement, une rumeur était justement née à cause d'une simple erreur de ma part... Ayant respiré une odeur étrange et délicieuse lors d'une chasse nocturne, je n'avais pu résister à en remonter le flux, comme envouté par ces effluves subtils, mélange de senteurs légèrement fleuries et de notes plus terrestres, minérales et rudes. Aucune de mes proies – et j'en avais chassées plus d'une – ne m'avait laissé une impression aussi forte, ni inspiré un désir aussi puissant.

La trace légère et odorante menait jusqu'aux abords d'une petite maison en pierre, située au cœur de champs de blé glacés dont ne persistaient que les chaumes, vestiges de la récolte de grains mûris par l'été.

La lune était pleine, et baignait le paysage de ses rayons enchanteurs pour nous autres créatures mythiques. La magie circulait dans mes veines, puissante, envoutante, sauvage, réponse obligée et néanmoins jouissive aux ondes qui parcouraient mon corps sous sa forme lupine. J'avançais, nimbé de ma propre odeur qui répondait à l'excitation causée par la lune. Mais ces senteurs animales et musquées m'étaient familières et ne m'empêcheraient pas de distinguer le fumet de ma future victime.

Bientôt, ma chasse m'amènerait à sa conclusion immuable : la traque jusqu'à bondir sur ma proie, le nez enfin totalement saturé par les effluves de sa peur et de son adrénaline.

Suivrait sa mort inéluctable, dans une débauche de parfums violents, âcres et métalliques quand le sang jaillirait. Je la dévorerais avec appétit, mes papilles comblées par le goût de sa chair encore chaude et frémissante, aux saveurs si capiteuses.