Business is business
Je suis sur la plus grosse affaire de ma carrière. Un montant à quasiment 8 chiffres ! Nous sommes lundi et il ne me reste que 10 jours pour conclure, aujourd’hui inclus. Je n’ai pas de temps à perdre.
Avant de monter sur l’estrade, je me demande donc encore pourquoi j’ai accepté de témoigner devant des étudiants d’une école de commerce aujourd‘hui ! Heureusement, cela devrait être rapide. Ils ne sont qu’une quarantaine en ce milieu d’après-midi dans le petit amphi pour cette « Masterclass » sur l’entreprenariat.
La responsable de la junior entreprise de l’école lance l’interview un peu hésitante :
— Chris, peux-tu nous rappeler ton parcours en quelques mots ?
— J’ai d’abord fait un BTS en action commerciale et j’ai ensuite démarré comme vendeur dans une boutique de téléphones.
— Et j’ai compris que tu n’étais pas resté vendeur très longtemps ?
— Oui, ma tchatche et mon énergie m’ont permis de vite grimper les échelons. J’ai ensuite rejoint un plus grand groupe comme Directeur Commercial Régional.
J’en vois certains ricaner au premier rang. Je n’ai certainement pas les codes et le vocabulaire approprié à cette école très sélective !
— Et à quel moment, tu as eu envie d’entreprendre ?
— Au bout de deux ans m’est apparue l’idée qui m’a incité à démissionner il y a 3 mois pour me lancer dans l’entreprenariat.
— Idée que tu n’as pas voulue nous révéler tant qu’elle n’est pas protégée si j’ai bien compris. Mais 29 ans ce n’est pas un peu jeune pour entreprendre ?
— Non, je suis convaincu que c’est le bon moment pour moi, j’ai emmagasiné suffisamment d’expérience pour voler de mes propres ailes !
J’imagine que ça fait un peu présomptueux. Pas de vouloir entreprendre à 29 ans, non, certains le font dès le lycée. Plutôt le fait de ne pas vouloir leur dévoiler mon idée. Mais je n’ai pas envie de me la faire piquer par un de ces gosses des beaux quartiers.
Je vois mon intervieweuse paniquer avec ses fiches et je l’aide un peu pour la question suivante.
— Même si je ne peux pas vous dévoiler mon idée, je peux vous dire que ma difficulté maintenant comme tous les entrepreneurs c’est de trouver des fonds. Parce que même si j’ai identifié deux partenaires qui pourraient l’un s’occuper du matériel et l’autre du logiciel, j’ai besoin de financer le développement de la première version de l’application, les premiers stocks et l’adaptation des chaînes de production : 800 000 € !
— Et comment fait-on pour trouver une telle somme quand on n’a pas d’apport personnel ?
— J’ai commencé à approcher un investisseur pour m’apporter des fonds et j’aurai comme tout entrepreneur besoin également de l’appui de ma banque.
— Eh bien Chris, il ne nous reste plus qu’à te souhaiter bonne chance ! Quand penses-tu pouvoir démarrer ton activité ?
— D’ici la fin de ce mois de juin si tout va bien. Je dois réussir à terminer les négociations avec les deux entreprises partenaires, convaincre l’investisseur pour pouvoir sécuriser mon banquier et obtenir les fonds… Et surtout finir de séduire le client pour qu’il signe avec moi !
Je quitte la petite scène sous quelques applaudissements mais mon esprit est déjà focalisé sur la suite. Il me reste10 jours à tenir ! Un sprint infernal et après, pour fêter ce succès, je m’octroie 2 semaines de vacances avec Jessica.
Dans le Uber qui m’amène chez le premier partenaire en charge du matériel, mon regard se perd sur les gratte-ciels gris et sales et je m’imagine sur une plage des Bahamas avec elle… Sur le sable chaud qui m’aide à oublier le simili cuir froid des sièges du véhicule. Humant les embruns et non les vapeurs de pot d’échappement et sous un soleil qui contraste avec le titre « il pleut » de Renaud que diffuse la radio. Elle mérite au moins ça Jessica. Je ne me suis pas beaucoup occupé d’elle ces dernières semaines…
Notre rencontre avait d’ailleurs déjà eu lieu sous un beau soleil. C’était au mois d’avril l’an dernier. Nous nous étions retrouvés en compétition pour un appartement sympa que nous avions visité en même temps. Nous étions une bonne dizaine entassés à écouter l’agent immobilier dans ce 35m2 des beaux quartiers mais j’avais tout de suite flashé sur elle. Ses beaux cheveux bouclés et ses yeux noisette perçants lui donnaient une beauté sauvage. Et les petites fossettes qui se creusaient quand elle souriait m’avaient définitivement fait fondre !
Mais surtout, c’est notre humour décalé qui nous avait rapprochés. Quand le hasard nous avait amené tous les deux en même temps sur le balcon ensoleillé avec l’agent immobilier.
— Le balcon, le clou de cet appartement. Exposé plein Sud ! avait-il démarré.
— Oui et la vue n’est pas si désagréable, dommage qu’il soit si petit, lui avait-elle répondu.
— Il suffit d’être un peu créatif en l’aménageant. Il a beaucoup de potentiel, avait-il répliqué sèchement, agacé par la remarque de Jessica.
— Oui, Monsieur a raison. Vous pouvez opter pour une petite table et deux chaises ou une chaise et deux petites tables, les combinaisons sont nombreuses, tentai-je pour détendre l’atmosphère.
— Mais oui, suis-je bête ! reprit Jessica qui se prenait au jeu, moi qui étais inquiète car j’aimerais une famille avec 3 enfants… Il suffit de mettre des chaises superposées et ça tient largement !
L’agent immobilier partit en grommelant. Bien sûr, aucun de nous deux n’a eu l’appartement mais au moins nous avions passé un bon moment et elle a accepté que je lui offre un verre au café des délices à côté. C’est comme ça que tout a démarré.
Tout cela me paraît bien loin quand je repense à notre dernière nuit passée ensemble et aussi à notre dernière dispute du coup. Après plus d’un an en couple, Jessica veut que nous franchissions un cap et que nous habitions ensemble. Elle m’avait même préparé symboliquement un double de ses clés. Mais comme nous nous sommes engueulés, elle est repartie avec ! Ce n’est pas que je ne veux pas emménager avec elle, c’est que j’aime faire les choses dans l’ordre. Je sécurise le business d’abord et ensuite, nous sommes plus détendus pour notre vie de couple.
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