Pas de place pour les coïncidences (dans mon existence)
N’ayant aucune envie de passer la soirée dans le restaurant de l’hôtel et encore moins dans ma chambre, je me retrouve face à moi-même le soir dans une petite brasserie du quartier dans laquelle j’ai mes habitudes.
Enfin un moment réconfortant devant ma bière et mes cacahuètes après cette journée de merde…
En ce milieu de semaine, la brasserie n’accueille que quelques hommes d’affaires et deux couples. Bien que ce soit la brasserie typique de centre-ville, j’ai toujours apprécié cet endroit.
Pourtant la décoration est assez classique, quelques photos de paysage de campagne, des poutres en bois apparentes pour donner une image d’authenticité voire de rusticité pour l’urbain qui veut se projeter un court instant au grand air. En revanche, les tables sont assez espacées et les chaises sont confortables. Donc à défaut de grand air, cela me donne un peu d’espace et j’ai l’impression de pouvoir tranquillement échapper à l’asphyxie de la ville.
Pendant que j’engloutis mon burger campagnard accompagné de frites, je revois tout mon discours pour le nouvel investisseur que je rencontre demain matin. J’imagine que s’il est prêt à mettre 400 000 €, le banquier acceptera de prêter les 400 000 € restant. Et comme j’enchaîne avec le client l’après-midi, je peaufine les derniers aspects de nos discussions. Je dois le rassurer sur les contrats avec les partenaires et il faudra que j’imagine le point d’arrivée avec celui en charge du matériel… Et je dois lui annoncer une date de libération des fonds par l’investisseur et le banquier pour pouvoir démarrer. Comme je n’ai abouti ni avec l’un ni avec l’autre pour l’instant, je vais devoir être créatif !
Un vrai travail d’équilibriste !
Aidé par la troisième bière qui me fait office de dessert, mon esprit divague et parcourt à nouveau les dernières quarante-huit heures.
Je suis interrompu par le patron qui me connaît bien et qui vient s’assoir à ma table, son service s’approchant de la fin :
— Alors Chris, ça n’a pas l’air d’être la grande forme ?
— Non, c’est clair, mon immeuble a brûlé…
— Mais non, c’est chez toi ? J’ai vu ça c’est juste à côté ! Et ça va, il n’y a pas de victimes ?
— Non, le policier n’en a pas parlé et heureusement mon appartement n’a pas été touché. Mais je me retrouve pour quelques nuits à l’hôtel qui est dans la rue perpendiculaire.
Il se lève et va chercher la bouteille d’Amaretto et deux verres qu’ils posent au milieu de la table. Je vois qu’il connaît bien l’hôtel dont je parle et partage mon malheur ! Après m’avoir généreusement servi, il lève son verre :
— L’important c’est que tu n’aies rien, à ta santé !
— Merci, mais ce n’est malheureusement pas tout. Il y a pire encore, Jessica m’a largué !
Il s’étrangle en buvant et en reste sans voix. Il connaît à peine Jessica, nous avons dû venir quelques fois mais ce n’est pas le type de restaurant qu’elle préfère.
Mais je vois qu’il partage sincèrement ma peine.
J’en profite pour descendre mon verre d’un trait. J’aime la sensation du liquide qui réchauffe mon œsophage.
Mais l’odeur d’amande de l’alcool me ramène à Jessica qui adorait renifler mon verre dont l’effluve si particulière lui rappelait celle de la colle « Cléopâtre » qu’elle avait étant petite. Elle qui n’aime que les vins blancs du Sud de l’Italie ! C’est le seul digestif qu’elle tolérait que je prenne pour qu’elle replonge en enfance. Une sorte de madeleine de Proust titrée à 28 degrés !
Pour briser le silence qui commence à devenir pesant, j’enchaîne :
— Et en plus, côté boulot, ce n’est pas la joie…
— Je ne sais pas quoi te dire… Toi que j’ai toujours vu comme un battant, défonçant tout sur son passage, je ne comprends pas ce qui t’arrive, toute cette succession de catastrophes ?
Il n’a pas tort. Alors qu’il me ressert copieusement un autre verre, je réalise que parmi tous les événements extraordinaires que je viens de vivre, un détail m’interpelle…
C’est quand même étrange, ça faisait très longtemps que je n’avais pas entendu « allumer le feu » de Johnny et voilà que le soir même un incendie se déclare dans mon immeuble.
Bon je sais bien que ça n’a rien à voir mais quand même, parfois, c’est bizarre la vie.
Et maintenant que j’y repense, c’est vrai qu’il y avait « je suis venu te dire que je m’en vais » dans le hall d’immeuble de bureaux de la zone d’activité, juste avant que Jessica ne me largue.
Allez, j’ai trop bu, je commence à délirer ! Quand on veut trouver des excuses à ses problèmes, on arrive toujours à en trouver ! Mais non, ce qui m’arrive n’est dû qu’à moi et c’est à moi de le régler !
Il est temps d’aller me coucher !
Je trinque une dernière fois avec le patron que je remercie de m’avoir revigoré (à moins que ce ne soit l’amaretto !). Je règle l’addition et repars avec beaucoup d’appréhension à l’idée de passer une première nuit dans cet hôtel.
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