Pas ce soir, il y a les Goonies à la tv

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Le bus de 17h33 la dépose en haut de la rue. Il fait déjà nuit. Si ça n’avait tenu qu’à elle, elle ne serait pas rentrée mais sur terre, elle n’a aucun autre endroit où aller. Elle trouve ça triste quand elle y pense donc elle n’y pense pas souvent. S’arrête à cette friterie sans client pour y acheter ces frites trop grasses qu’elle déteste. Le gars lui dit « ça fera quatre-vingts francs ». Elle trouve ça cher pour quelque chose qu’elle ne mangera pas mais elle paie quand même. Remonte la rue. Introduit sa clé dans la serrure. Prévient son petit chien et son petit chat qu’elle est rentrée. Lui font bon accueil. Elle est contente, s’abaisse pour les caresser. Va jeter les frites à la poubelle. S’assied dans le canapé avec son chien devant la télé éteinte. Pense à sa journée. Pense à son chien qui doit trouver les siennes bien longues. Pense à plein de choses qui l’emmènent dans un monde obscur où les jeunes filles sont seules le soir dans des maisons trop grandes pour elles et qu’à l’extérieur il y aurait tant de choses à faire pour sauver le monde. Pense qu’elle a encore tellement à apprendre avant d’essayer. Qu’elle devrait sortir le week—end. Voir du monde. Et qu’elle n’en fera rien de toute façon, elle le pense aussi. Pense à ses parents qui n'étaient même pas ses parents, quand elle recevait deux carrés de chocolat le soir devant la télévision. Se lève pour aller chercher deux carrés de chocolat et faire chauffer la bouilloire pour un café ou un thé citron, elle hésite. Allume la télévision qui diffuse un film qu’elle détestera toute sa vie, après, mais elle ne le sait pas encore donc n’y pense pas. La bouilloire qu’elle avait oubliée siffle. Pense qu’elle ne peut pas penser à tout. Se lève. Quelqu’un sonne à la porte.

Cogne à la porte.

Quelqu’un est là.

Qui cogne à la porte. Sonne. Cogne. Sonne… Le petit chien aboie, se cache sous le canapé. Le petit chien sait tout.

Elle ouvre. Il est très grand. Il la pousse. Elle tombe. Il la relève. Lui arrache une mèche de cheveux. La pousse plus loin. La relève. La repousse. Ça ne s’arrête plus. Il frappe. Frappe. Sur elle et sur des objets qui se brisent. Elle se demande lesquels. Il crie et il transpire. Le petit chien pleure sous le canapé. Le film continue comme si de rien n’était. Il frappe. La traite de déchet de spermatozoïde. Lui arrache encore des cheveux, lui dit qu’elle n’est rien, qu’elle n’a jamais compté pour personne. Elle pense aux spermatozoïdes de son père et à la course folle qu’ils ont dû faire vingt ans auparavant. Pense « tout ça pour ça... » et qu’elle n’aurait pas dû rentrer ce soir. Mais il y avait son petit chien et à son petit chat qui l'attendaient. Le petit chien pleure sous le canapé. Le film. Les cheveux. Les cheveux trainés dans la maison. Elle pleure. Sûrement. Elle aimerait savoir si elle pleure vraiment mais tout va trop vite.

Le chien.

Le film.

Les cheveux.

Et puis subitement c’est fini.

Il lui rappelle qu’elle est dans sa maison et qu’il a tous les droits. Lui rappelle que sans eux, elle ne serait pas là. Qu’il n’y a aucune place sur terre pour les déchets de spermatozoïde. Et qu’elle n’a plus intérêt à le mettre en colère. Lui rappelle qu’il est de sa famille et que la famille, c’est sacré.

Et il part.

Il part comme il est venu et elle se met à caresser son petit chien et à détester le film.

Pense que demain, ils voudront qu'elle demande pardon et qu’un jour, elle dira les choses sans s'excuser.

Pense qu’aucune femme ne mérite d’avoir mal parce qu’elle est une femme et qu’aucune famille qui accepte ça n’en mérite le nom.

Le petit chien sort de sa cachette. Dans l'air une odeur de café et un grand silence.

Elle pense au mot "respect". S'endort dans le canapé avec le petit chien.

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