Chapitre 1

4 minutes de lecture

Office des gardes forestier, ville de Kake, Alaska, dimanche 9 septembre 2012

— Bonjour, je suis Marcus Greenwood, j'ai appelé pour le poste.

— Ah oui, je me rappelle ! L'écrivain New-Yorkais, passionné de nature, hein ? Je suis Irwin McDonagh, capitaine des gardes forestier de la région Wrangell-Petersburg. Bienvenue en Alaska !

Les deux hommes échangent une poignée de main vigoureuse, tant et si bien que Marcus réprime un gémissement de douleur en réponse à la poigne d'Irwin. Un homme d'une trentaine d'années aux cheveux roux très courts et à la moustache touffue. Bien que son patronyme en dise long, ses grands yeux verts trahissent encore plus ses origines Irlandaises, tout comme son mètre quatre-vingt-dix bien tassé et ses cent dix kilos.

— Merci, répond timidement Marcus.

— Venez dans mon bureau, on va discuter tranquillement.

Les deux hommes passent derrière le comptoir de l'office et pénètrent dans une petite pièce isolée d'un simple rideau de perles multicolores. L'endroit est sommaire : un vieux bureau en métal gris, flanqué de trois chaises identiques en similicuir marron, trône au centre, une vulgaire ampoule pend d'une douille au plafond et un trophée poussiéreux, de ce qui ressemble à un brochet naturalisé, est accroché sur l'un des murs en lambris ternis.

— Installez-vous, propose Irwin en indiquant une chaise.

— Merci.

— Vous n'étiez pas censé arriver hier ?

— Si, mais mon vol a été retardé et j'ai oublié le chargeur de mon téléphone, je n'ai pas pu vous prévenir...

— Ce n'est pas grave, rien ne presse. De toute façon, il ne vous sera d'aucune utilité ici, l'Alaska est un territoire vierge de toute forme de télécommunications modernes.

— Oh ! Dans ce cas, comment faites-vous pour garder le contact avec vos hommes ?

— Par radio à ondes courtes.

Marcus caresse son smartphone à travers la poche de son pantalon pour se rassurer de sa présence.

— Tout va bien, Marcus ? l'interrompt Irwin.

— Oui ! Pardon, je suis un peu surpris qu'avec les milliards de dollars que le gouvernement a investi ces dernières années dans les infrastructures de communication, vous n'ayez pas de meilleure option que la radio.

— Ça se comprend pour un bleu, mais sachez que la forêt nationale de Tongass s'étale sur soixante-neuf mille kilomètres carrés, soit près de sept millions d'hectares. Vous vous imaginez bien que produire et acheminer de l'électricité vers des antennes télécom serait un défi, autant sur le plan de l'ingénierie que financier. Le seul relais de Kake permet de couvrir soixante-dix pourcents du territoire. D'ailleurs, votre future poste d'observation est situé à la frontière avec la zone blanche.

— Vous voulez dire que j'ai le job ?

Irwin lui sourit, affalé dans son fauteuil.

— Malgré un salaire plutôt généreux, les candidats se font de plus en plus rares et j'ai besoin de quelqu'un de consciencieux qui sait faire marcher sa matière grise. Une fois sur place, vous serez en totale autarcie, livré à vous-même et il faudrait huit heures aux secours pour vous rejoindre. Vous me semblez suffisamment intelligent. Cependant, seuls les tests détermineront si vous êtes capable à cette tâche, mais je suis sûr que vous allez vous en sortir. Et cela vous laissera du temps pour travailler sur vos livres et chasser vos démons.

Marcus l'observe, interloqué par ses propos, mais au moment de se justifier, il se ravise.

— Merci, Irwin, répond-il en se pinçant les lèvres.

— De rien. Vous devriez aller vous reposer. Lundi, on attaque les bases de la surveillance et de la survie. Vous avez du pain sur la planche si vous voulez nous rejoindre, lance-t-il avec un clin d'œil.

— D'accord, vous savez où je peux loger ?

— Si ça vous dit, les gars sont au Keen' Kwaan Lodge. On s'y rejoint tous pour diner à vingt heures. Vous êtes évidemment le bienvenu.

Pris de court, Marcus tente d'éluder l'invitation, mais finit par accepter. Irwin le gratifie d'un sourire bienveillant avant de lui donner une tape amicale dans le dos.

— Bonsoir, je voudrais une chambre.

La tenancière analyse Marcus des pieds à la tête comme s'il était le premier être humain à pénétrer dans son établissement. Le stéréotype personnifié de l'américaine moyenne : la cinquantaine, de longs cheveux blonds décolorés et filasses, des yeux marrons beaucoup trop maquillés, des proportions à la limite de l'obésité, le tout engoncé dans un ensemble jogging léopard.

— Salut, beau gosse, t'es avec les autres forestiers, c'est ça ? lâche-t-elle entre deux mastications de chewing-gum.

— Euh... oui... répond Marcus, gêné par ses bruits de bouche.

— J'en ai vu défiler en vingt ans, mais jamais un aussi mignon que toi.

La phrase aurait pu s'avérer flatteuse, mais la créature se penche soudain sur le comptoir, dévoilant son opulente poitrine sous le nez de Marcus qui remarque aussitôt des miettes et des restes de nourriture agglutinés dans son décolleté.

— Merci, hum... vous reste-t-il une chambre de libre ?

Avec un dédain à peine dissimulé, la femme se redresse en soupirant et attrape une clé sur le tableau dans son dos.

— La numéro huit, au premier, lance-t-elle en lui indiquant les escaliers d'un hochement de tête.

Marcus la remercie d'un bref sourire gêné et ramasse sa valise. Alors qu'il s'éloigne du guichet, il sent le regard de la quinquagénaire lui dévorer le postérieur. Mal à l'aise, Marcus fait mine de ne rien remarquer et grimpe à l'étage au pas de course.

Une fois la porte de sa chambre verrouillée derrière lui, Marcus lâche son bagage et se laisse glisser au sol en soupirant. Fébrilement, il sort son smartphone de la poche de son jean et le regarde avec déception, puis le jette à travers la pièce.

— J'suis vraiment trop con !

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