Chapitre 2

4 minutes de lecture

Assoupi tout habillé sur le dessus-de-lit à fleurs en polyester mauve, Marcus est réveillé en sursaut par des coups contre la porte.

— Hey ! C'est Irwin ! Linda m'a indiqué votre chambre.

— J'arrive, répond Marcus, l'esprit encore embrumé.

Il se lève en soufflant et ouvre à son interlocuteur.

— Oups... je vois que je vous réveille, s'excuse maladroitement Irwin.

— Ce n'est pas grave, que voulez-vous ?

— Bah, il est vingt-heures.

Marcus cligne des yeux, une expression interloquée sur le visage, lorsque le repas avec ses futurs collègues lui revient en tête.

— Ah oui, c'est vrai, j'avais oublié...

— Pas grave, prenez votre temps. On va boire une bière au bar en vous attendant, lance Irwin avec un clin d'œil.

— Je me rafraîchis et je vous rejoins.

Sitôt la porte refermée, Marcus ne peut s'empêcher de soupirer. D'une nature plutôt asociale, exacerbée par des années passées enfermé chez lui à travailler seul sur ses écrits, l'idée d'un repas en compagnie d'ouvriers extravertis et bourrus ne lui plait guère. Une interrogation lui taraude soudain l'esprit : à quand remonte son dernier dîner entre amis ? Marcus a beau fouiller dans les tréfonds de ses souvenirs, impossible pour lui de mettre une date sur un tel événement.

Secouant la tête pour chasser cette idée qu'il pense sans intérêt, il se dirige vers la salle de bain pour y prendre une douche méritée.

En quittant sa chambre, Marcus perçoit des rires et une discussion animée venant du rez-de-chaussée. Une boule se forme dans son estomac à mesure qu'il descend les quelques marches. Néanmoins, un semblant de soulagement le traverse lorsqu'il remarque que Linda n'est plus derrière la réception. Un jeune homme aux cheveux noirs, tout juste adolescent, la remplace, absorbé par son smartphone.

Lorsque Marcus passe devant le comptoir, il se redresse vivement et l'interpelle.

— Bonsoir, Mr Greenwood. C'est un honneur de vous rencontrer, lance-t-il.

Marcus se tourne vers lui et le dévisage d'incompréhension, tandis que les grands yeux verts du garçon brillent d'admiration.

— Comment savez-vous qui je suis ?

— C'est mon père qui me l'a dit.

— Irwin, pense Marcus, eh bien, c'est un plaisir de te rencontrer, hum ?

— Jebediah, m'sieur ! répond le jeune homme avec entrain.

— Enchanté Jebediah, et merci pour ton soutien.

Marcus s'apprête à s'éloigner lorsqu'il se ravise et se penche vers lui.

— Dis-moi, la dame que tu remplaces, ce n'est pas ta mère ?

— Oh que non, ricane le jeune homme, c'est une amie de mon père. Je lui donne un coup de main de temps en temps pour me faire un peu d'argent de poche.

— D'accord, souffle Marcus avec soulagement.

— Ma mère est morte, rétorque subitement Jebediah.

Marcus se fige.

— Je suis désolé, répond-il, embarrassé.

— Soyez pas, vous ne pouviez pas savoir, le rassure Jebediah avec un large sourire amical.

Marcus le salut en hochant la tête.

En pénétrant dans la salle de restaurant, il remarque qu'hormis Irwin et trois autres hommes attablés ensemble, il n'y a pas d'autres clients. Malgré son aspect vétuste, la pièce est chaleureuse et une délicieuse odeur de plat en sauce flotte dans l'air. Un grand lustre en bois de cerf illumine les murs et le plafond en lambris de résineux, tandis qu'une cheminée monumentale en galets cimentés trône au fond. Un feu crépite dans l'âtre et une multitude de cadres photos de tailles diverses agrémentent la décoration du lieu, tandis qu'un long bar de saloon ancien s'étire sur tout le pan gauche.

D'un pas hésitant, Marcus s'avance vers ses nouveaux collègues tandis que la boule dans son ventre lui semble s'être déplacer jusque dans sa gorge. Irwin se lève pour l'accueillir et l'introduire aux autres.

— Je vous présente Marcus ! C'est encore un gars de la ville, mais je compte sur vous pour l'aider à s'intégrer à l'équipe ! déclare-t-il en lui donnant une tape dans le dos qui manque de le faire tomber à la renverse.

Chacun lui serre la main tour à tour en se présentant avec convivialité : il y a Jimmy, un petit brun typé hispanique que les autres appellent Speedy, en référence à Speedy Gonzales. Ellies, un grand chauve à la barbe drue, encore plus imposant qu'Irwin. Et Jackson, un afro-américain musclé comme un bodybuilder, dont la loquacité et le fort accent du sud en disent long sur ses origines.

Sentant la pression retomber, Marcus tire une chaise pour s'asseoir autour de la table, lorsqu'une charmante jeune femme blonde lui dépose une pinte de bière sous le nez. Alors qu'il tourne la tête pour la remercier, son regard est machinalement attiré par sa voluptueuse poitrine, prête à bondir hors de son chemisier. Décontenancé, tant par les atours de la demoiselle que par son attitude déplacée envers elle, il se tétanise en rougissant, provoquant l'hilarité générale.

Alors que chacun y va de sa boutade pour l'embarrasser davantage, elle intervient :

— Soyez sympa, les gars, laissez-le tranquille.

— C'est le pti nouveau, faut bien qu'on l'asticote un peu, lance Jackson.

— Oui, c'est une tradition de voir rougir les bleus à cause du décolleté de Christie, se marre Ellies en donnant une tape amicale à Marcus.

— T'es pas le premier et t'es sûrement pas le dernier, plaisante Jimmy.

Marcus lève les yeux vers la jeune femme d'un air désolé, mais son délicat sourire l'excuse aussitôt, tandis que son regard amusé lui confirme qu'elle en a vu d'autres.

— Levons nos verres à la santé du bleu, propose Irwin en brandissant sa chope au-dessus de sa tête.

Les autres font de même et Marcus acquiesce, un sourire crispé sur le visage.

— La soirée va être longue, soupire-t-il.

Annotations

Vous aimez lire Raphaël HARY ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0