Chapitre 5

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Les journées s'écoulent au rythme des instructions dispensées par Irwin. L'entrainement est intense et Marcus prend conscience que le manque d'activités physiques ne joue pas en sa faveur. Cependant, les soirées lui sont agréables et la compagnie de ses camarades de turbin l'empêche de se morfondre et d'inonder son esprit de pensées irrationnelles.

Le vendredi en fin d'après-midi, Irwin convoque le groupe dans son bureau pour une annonce particulière.

— Les gars, c'était notre dernier jour d'entrainement. Lundi matin, l'hélico vous emmènera au camp de base pour rejoindre votre tour d'observation pour les six mois à venir.

— Déjà ? s'exclame Marcus, un brin de panique dans la voix.

Ellies, Jackson et Jimmy pouffent de rire face à sa couardise.

— Un de vos collègues a attrapé une saloperie, reprend Irwin. On doit le rapatrier au plus tôt et avancer la relève. Mais le mauvais temps annoncé pour ce week-end nous empêche de partir maintenant.

— C'est qui ? demande Jimmy.

Irwin, gêné, baisse les yeux en soupirant bruyamment.

— Carl... et il est mal en point... annonce-t-il, le regard grave.

— Qu'est-ce qu'il a ? questionne Ellies.

— Apparemment, il s'est blessé en chassant et la plaie s'est infectée... c'est Michael qui l'a trouvé inanimé dans la forêt, à plusieurs kilomètres de sa tour... c'est tout ce qu'on sait pour le moment.

Les trois gaillards échangent un regard alarmé avant qu'Irwin reprenne :

— Vous en faites pas, il va s'en sortir, dit-il avec un sourire crispé sur le visage. Prenez le temps du week-end pour bien vous reposer et préparer vos affaires. On décolle à six heures tapante lundi matin. Si vous êtes en retard, on part sans vous, c'est bien compris ?

Son ton soudainement incisif surprend Marcus qui acquiesce en silence, suivi par ses camarades.

En quittant l'office, les quatre hommes marchent en direction du lodge sans prononcer un mot. La nouvelle semble beaucoup affecter ses camarades, mais la curiosité étant plus forte, Marcus ne peut s'empêcher de les questionner.

— Vous le connaissez bien, Carl ?

Ellies tourne la tête vers lui, un sourire caché derrière sa barbe broussailleuse.

— C'est un peu notre père à tous. À l'époque, c'est lui qui nous formait en binôme pendant un mois dans la tour numéro neuf. Un mec en or, pédagogue, avec un grand cœur, toujours à l'écoute. Il connait si bien la forêt que certains ont lancé la rumeur qu'il y serait né.

— Vous vous rappelez la cascade ? lance Jackson.

— Un bout de paradis sur terre, répond Jimmy, les yeux humides.

— Qu'est-ce que c'est ? demande Marcus.

— À l'ouest de la tour neuf, celle que tu vas occuper, il y a une immense chute d'eau rocailleuse. C'est l'endroit préféré de Carl, raconte Ellies. L'eau est si claire que tu peux voir les saumons et les écrevisses nager.

— Carl adore s'y baigner et passer des heures à méditer, assis sur les rochers, reprend Jimmy.

Prenant conscience de l'importance du personnage, Marcus tente de rassurer ses amis.

— Ç'a l'air d'être un chic type. Ne vous en faites pas, il va s'en tirer.

— J'en suis pas si sûr... lâche Jimmy, un sanglot dans la voix.

— Il ne faut pas dire ça, enfin ! l'invective Marcus.

— Il doit avoir pas loin de cent ans..., reprend Jimmy. Y a peu de chance qu'il s'en remette cette fois...

— Cent ans ? se surprend Marcus. Il ne devrait pas être à la retraite ?

— Il y a quelque mois, il est tombé en glissant sur un rocher au bord de la cascade, explique Ellies. Il n'a jamais réussi à remarcher correctement. Il y a deux ans, un serpent s'est glissé dans ses toilettes et lui a bouffé le cul. Personne n'a rien remarqué avant qu'il se mette à chier du sang. Il refusait même de voir le doc, il disait que ça allait passer. C'est Irwin en personne qui s'est rendu sur place pour le forcer à prendre ses médocs, il est même resté avec lui pendant trois semaines. Il y a cinq ans, il a pris un élan pour un lapin. Il a failli mourir piétiné. Des histoires comme celles-là, je peux t'en raconter des centaines !

Dubitatif, Marcus fixe Ellies avec de grands yeux ronds, la bouche entrouverte.

— Il pète les plombs, il a plus toute sa tête, coupe Jackson. Mais impossible de lui faire quitter sa foutue forêt. C'est pas plus mal s'il n'en revient pas.

— Comment tu peux dire ça ? s'insurge soudain Jimmy. Ce mec est un père pour moi ! Bien plus que n'importe qui d'autre ! T'es vraiment qu'une enflure !

— Calmos, Speedy ! Je dis juste que s'il y reste, vaut mieux que ce soit là-bas qu'ici ! Comprendo amigo ? répond Jackson, les sourcils relevés et un sourire en coin.

— Va te faire foutre ! lui crache Jimmy en accélérant le pas.

Ellies donne un coup de poing dans l'épaule de Jackson qui se retourne, un air mauvais sur le visage.

— T'es vraiment trop con ! Tu sais à quel point Carl compte pour lui ! Va t'excuser, vite ! ordonne-t-il de sa voix grave.

— Ouais, t'as raison... répond Jackson en baissant les yeux. Attends-moi, Jimmy ! Chui désolé ! lance-t-il en se mettant à courir.

À une centaine de mètres devant eux, Jackson rattrape Jimmy qui le repousse en l'engueulant.

— Je suis désolé pour Jimmy, lance Marcus.

— T'inquiète pas pour lui, il en a vu d'autres, répond Ellies.

— Que veux-tu dire par là ?

Ellies prend une grande inspiration et se tourne vers Marcus qui le dévisage avec un air naïf. Malgré le fait qu'ils fassent pratiquement la même taille, la carrure mince et frêle de Marcus tranche radicalement avec celle d'Ellies qui l'attrape soudain par les épaules.

— OK. Je vais te le dire, murmure-t-il. Mais si tu racontes à Jimmy que je t'en ai parlé, je te défonce la gueule, compris ?

Marcus écarquille un peu plus les yeux en s'écartant du visage d'Ellies.

— D'accord... balbutie-t-il.

Ellies le relâche et jauge la distance qui les sépare de Jimmy et Jackson, mais ces derniers ne sont déjà plus en vue.

— Jimmy n'est pas orphelin, sa famille est toujours au Mexique.

Ellies baisse la tête en se grattant nerveusement la nuque.

— Il est... pas comme nous. Ses parents ne l'ont pas accepté et ils ont voulu le marier de force. Quand il s'est rebellé, son père a voulu le tuer... il n'a pas eu le choix que de se défendre ! Il l'a étranglé à mort, à mains nues, devant ses frères et sœurs... et sa mère...

— Oh la vache !

— Comme tu dis. Il s'est enfui le jour même. Il a quitté le Mexique et il a réussi à entrer illégalement dans le pays.

— Tu veux dire que c'est un clandestin ?

Ellies lance un regard mauvais à Marcus qui tente de se justifier.

— Non, je ne veux pas dire que...

— Ce n'est pas un clandestin, enfin, il ne l'est plus.

Ellies lève soudain les yeux, contemplant les quelques étoiles éparses dans le ciel de fin de journée.

— Quand Carl a appris ce qui lui était arrivé, il s'est démené pour qu'il obtienne ses papiers. Ç'a pris deux ans, mais il y est parvenu !

Jimmy et Jackson réapparaissent soudain au loin et reviennent vers Marcus et Ellies en se tenant par les épaules.

— Désolé, les gars, s'excuse Jimmy. Je voulais pas faire ma fiotte. Jackson a raison, s'il doit mourir, vaut mieux que ce soit dans la forêt qu'il aime tant.

— On a décidé de lui rendre hommage autour d'un feu de camp, annonce Jackson. On fera griller des saucisses et des patates avec de la bonne bière. Ça vous dit ?

— Et comment ! lance Ellies en les attrapant par la nuque.

Tous les trois se tournent vers Marcus qui les scrute, le regard attendri.

— Avec grand plaisir, mes amis.

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