Chapitre 6
Plus tard dans la soirée, à quelques kilomètres de la ville, au bord du lac Boot, Marcus contemple le reflet de la Voie lactée dans l'eau cristalline qui, en l'absence de pollution lumineuse, déchire le ciel de volutes gracieuses et iridescentes. Un spectacle d'autant plus féérique aux yeux de l'écrivain de science-fiction qu'il l'observe pour la première fois de sa vie.
Fils unique d'un père banquier et d'une mère galeriste, Marcus n'a jamais connu que la ville de New York. Malgré l'aisance financière de ses parents, les absences constantes de son père ne leur permettaient pas de voyager en famille. Un manque qu'il tenta de combler dès son plus jeune âge grâce à l'écriture. Souvent seul, il passait beaucoup de temps à dévorer les films de science-fiction et d'horreur qui faisaient foison dans les années 80.
Lorsque la double vie menée par son père éclata dans les tabloïdes de tout le pays, Marcus se retrouva impuissant face à sa mère qui s'enfonçait dans la dépression, jusqu'au jour où la bonne la trouva inanimée dans son lit. Un cocktail d'alcool et de médicament s'avéra fatal pour la jeune femme d'à peine quarante-deux ans.
Marcus se retrouva démuni, car bien que son père subvînt à tous ses besoins, il ne se montra pas plus présent pour lui qu'il ne l'avait été depuis sa naissance. Un manque affectif qui fit naitre en Marcus une agoraphobie incontrôlable qui l'empêcha de vivre une vie d’enfant normal et d’avoir une scolarité classique. En plus d’être enfermé en permanence dans l’appartement de son père avec pour unique compagnie leurs employés de maison, il fut contraint de subir une psychothérapie longue de dix ans durant laquelle plusieurs psychiatres s'étaient relayés, tant son cas semblait les désespérer.
Mais son tempérament combatif l’aida à obtenir une maitrise en littérature de la prestigieuse université Columbia. En plus de plusieurs titres honorifiques en sciences et biologie.
Le 13 février 2003, au journal télévisé, Marcus apprit que son père avait été tué d'une balle dans la tête dans le jacuzzi de son loft. Une sombre histoire de drogues et de jeux d'argent. Une nouvelle qui ne lui tira pas une larme, la haine ayant pris le pas sur la fraternité. Malgré une relation père-fils inexistante et en dépit de sa nouvelle jeune épouse, c'est à Marcus qu'il légua tout ce qu'il possédait.
Un héritage conséquent composé d’une importante somme d’argent, mais aussi de biens immobiliers et actions en tous genres qui mirent Marcus à l’abri du besoin pour le restant de ses jours.
Quelques mois plus tard, il publiait ce qui devint son premier best-seller : Les vents de Venus. Mais malheureusement, les choses s'emballèrent sans qu'il ait le temps d'en prendre conscience. Invité sur toutes les chaines de télévision et interviewé par tous les magazines, cette notoriété fulgurante amena des hordes de fans au pied de son immeuble jour et nuit, scrutant le moindre de ses mouvements. Marcus ne supporta pas cette brusque surmédiatisation et finit par s'enfoncer à nouveau dans la psychose.
Six mois s'écoulèrent après la consécration de son travail avant qu’il n'intente à ses jours. Son agent le trouva à moitié vidé de son sang dans sa baignoire et prévint les secours juste à temps.
Lorsque Marcus reprit connaissance deux jours plus tard, c'est la belle Erin, médecin en cheffe de l'hôpital presbytérien, qui avait veillée sur lui jusqu'alors.
Ce fut un coup de foudre instantané et réciproque et ils se marièrent tout juste huit mois plus tard.
— T'es avec nous, Marcus ? demande Jackson en le poussant du coude.
Marcus secoue la tête pour reprendre ses esprits et cogne sa canette de bière contre celle que Jackson lui tend.
— C’est la première fois que je vois un ciel pareil, s'émerveille-t-il avec émotion.
— Ce ne sera pas le dernier, lance Ellies avec un clin d’œil.
La brusque ignition du feu de camp préparé par Jimmy illumine soudain les majestueux résineux alentour, formant un dôme de lumière dorée autour des quatre amis.
Mais un frêle mouvement dans les buissons attire l’attention de Marcus. Une forme vaporeuse l’observe en silence. Intrigué, il dépose sa canette dans le porte-gobelet de son fauteuil pliant et s’éloigne tandis que ses compagnons s’affairent à préparer la viande à griller.
En pénétrant dans l’épaisse broussaille environnante, Marcus s’égratigne les mains sur les buissons aux épines acérées, mais ne peut s’empêcher de suivre l’apparition qui s’enfonce plus avant dans la forêt. Hypnotisé par cette chimère, Marcus ne remarque pas qu’il n’est déjà plus à portée de voix de ses compagnons lorsque la créature s’immobilise à quelques mètres devant lui.
Déterminé par une force invisible, il tend la main pour la toucher. Mais elle se retourne subitement, dévoilant un visage éthéré et décharné.
— Pourquoi, Marcus ? implore soudain une voix qui résonne dans l’immensité de la forêt.
Marcus la reconnait instantanément et se fige, son souffle s’accélère. Le cœur au bord des lèvres, il observe la forme fantomatique pencher doucement la tête sur le côté lorsqu’elle lève brusquement un bras en tendant un doigt squelettique dans sa direction.
— Tout est ta faute ! hurle-t-elle en écho.
En une fraction de seconde, l’apparition fond sur lui et enserre son cou, le faisant tomber à la renverse. Pétrifié, il tente de prévenir ses compagnons, mais aucun son ne sort de sa bouche. Tandis que le fantôme resserre son emprise, la terre autour de lui se fait de plus en plus meuble et il a l’impression d’être aspiré inexorablement dans le sol.
Soudain, les appels de Jimmy, Ellies et Jackson lui parviennent aux oreilles. Dans une ultime tentative de rédemption, il repousse son assaillant et se relève d’un bond. Mais lorsqu’il se retourne pour lui faire face, il n’observe que la végétation et le pesant silence de la nuit.
— Qu’est-ce que tu fous, Marcus ? l’invective Ellies en pointant une lampe torche dans ses yeux.
Le voyant haletant et pâle comme la lune, il se précipite à sa rencontre.
— Tout va bien, mon pote ? demande-t-il avec inquiétude.
Pris de court, Marcus cherche une explication à leur donner en reprenant péniblement son souffle.
— Ouais, ça va. Je voulais juste pisser, mais j’ai cru voir un animal.
— Tu t'fous d'not gueule ! crache Jimmy. Ça fait plus de deux heures qu’on est à ta recherche et tu veux nous faire croire que t’es juste parti pisser ?
— Calmos, Speedy ! L’important, c’est qu’on l’a retrouvé, lance Jackson.
Ellies attrape soudain le visage de Marcus et l’examine droit dans les yeux.
— Tes pupilles sont dilatées et ton cœur est sur le point d’exploser. Qu’est ce qu’il s’est réellement passé ?
Abasourdi, Marcus les regarde tour à tour avec effarement avant de perdre connaissance et de s’effondrer dans les bras d’Ellies.
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