Chapitre 8

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Lundi 17 septembre 2012.

Après une nuit peu reposante, car très agitée par la violente tempête, Marcus est réveillé en sursaut par un violent coup contre sa porte. Il n’a pas le temps de mettre ses pensées en ordre que la grosse voix d’Irwin s’élève dans le couloir :

— Allez, on se bouge, les marmottes ! vous avez une heure pour vous préparer ! Et tâchez de ne rien oublier, l’hélico n’attendra pas votre pti cul, aussi joli soit-il !

Marcus se redresse tandis que les lourds pas du géant Irwin s’éloignent.

Après un rapide passage par la salle de bain pour s’éveiller le corps et l’esprit, Marcus pose sa valise en cuir marron sur le lit et y repli négligemment ses quelques vêtements. En attrapant un pantalon propre, un carnet, enluminé de cuir vert, s’ouvre en tombant au sol : son journal intime. Les pages de sa vie depuis la mort de sa bien-aimée.

Pendant quelques secondes, Marcus hésite à le ramasser, comme si ce dernier était chauffé à blanc et risquait de lui bruler les doigts. Il se ravise, le récupère et le glisse entre deux pulls en laine, avant de refermer son bagage.

Au moment de quitter la chambre, il remarque son smartphone sur la table de chevet. Après l'avoir fracassé contre le mur quelques jours plus tôt, ce dernier semble totalement hors d’usage avec son écran en miettes et sa coque arrière fendue. Marcus le prend dans le creux de sa main et le regarde en soupirant. Sans un mot, il avance la petite chaise posée devant le bureau et y grimpe pour cacher l’appareil au-dessus de l’armoire.

— Si j’en reviens vivant, je passerais te chercher, dit-il avec une pointe d’amertume avant de quitter la pièce.

Dans le hall, Ellies et Jackson interrompent leur discussion lorsque Marcus apparait.

— Hey, Marcus, lance Jackson avec un grand sourire. Ça va mieux, mon pote ?

— Salut. Ouais, ça va. J’ai juste mal dormi avec ce boucan.

— T’as pas de bouchons d’oreilles ? demande Ellies, visiblement surpris.

— Non… réplique timidement Marcus. Vous, oui ?

— Évidemment, reprend Jackson. C’est indispensable si tu veux dormir en cas de vents forts.

— T’inquiète, j’en ai tout un stock. Je t’en filerais une boite, propose Ellies.

— Merci.

— Les gars ? Il y a un petit contre-temps, coupe Irwin. La tour numéro trois a pris la foudre cette nuit et un incendie s'est déclaré.

— Mince ! Pas de blessés ? reprend Jimmy qui les a rejoints.

— Non, tout le monde est OK. Seulement, la tour est inutilisable pour l'instant. Une équipe doit s'y rendre pour évaluer les dégâts et entamer les réparations.

Irwin se penche vers Marcus et l'attrape par l'épaule pour l'attirer vers lui.

— Tu vas devoir récupérer celle de Carl...

— Ah... OK. Pas de problème.

— Bref, on verra les détails quand tu seras sur place. Allez, ne traînez pas, il ne vous reste plus que trente-cinq minutes !

Irwin donne une tape sur les fesses de Marcus et le précipite vers la salle de restaurant.

Après un rapide encas, le petit groupe se retrouve sur l'embarcadère. Chacun dépose son bagage dans la soute avant de grimper à bord. Tandis que les hélices de l'hydravion se mettent en branle, Irwin retient la porte pour un dernier mot à l'attention de Marcus.

— N’oublie pas de me prévenir par radio dès que tu seras à ton poste. Et si tu as le moindre doute à propos de n’importe quoi : n’hésite pas à me contacter ou à contacter l’un de tes coéquipiers, il en va de ta survie, pigé ?

Marcus hoche la tête. Irwin acquiesce avec un sourire.

— On se revoit dans six mois, lance-t-il en mimant un salut militaire, la main sur le front.

Tous l’imitent alors qu’il referme la porte de l’appareil qui ne perd pas une seconde pour s’élançer sur les eaux calme de Little Gunnuck creek .

Marcus est brusquement pris d’un haut-le-cœur. Ellies, qui s’est assis en face de lui, remarque son malaise.

— T’inquiète pas, Marcus, c’est la phase de décollage qui fait cet effet, annonce-t-il dans son casque en lui lançant un clin d’œil bienveillant.

Jimmy et Jackson échangent un regard puis pouffent de rire avant de taper sur l’épaule de Marcus à tour de rôle. Marcus les remercie de leur sollicitude d’un sourire crispé. « Dans quoi je me suis embarqué ? » soupire-t-il.

Les cinq longues heures de voyage s’écoulent sans encombre. À l’instar de ses collègues qui profitent de l’attente pour faire une sieste, Marcus est subjugué par la beauté des paysages qui défilent autour d’eux. Un festival ininterrompu de lointaines montagnes aux sommets enneigés, d’une forêt luxuriante aux arbres centenaires majestueux, et de lacs à l’eau pure et cristalline. Il aperçoit même des animaux sauvages et s’extasie auprès d’Ellies devant un troupeau d’orignaux qui traverse une rivière.

— Préparez-vous, l’aire d’atterrissage n’est plus très loin, annonce soudain le pilote.

— Tiens-toi prêt, Marcus. L’atterrissage est pire que le décollage, prévient Jimmy.

En effet, au moment où l’appareil entame sa descente, Marcus sent son estomac lui remonter dans la gorge et échappe de justesse à un vomissement lorsqu’il finit par se poser.Une fois l'appareil accoster à un ponton rudimentaire, le petit groupe se précipite à l’extérieur pour récupèrer son paquetage et les provisions. Ellies sort le dernier paquet de la soute et fait un signe au pilote qui redécolle presqu'aussitôt.

Encore retourné par la manœuvre d'amerrissage, Marcus peine à respirer. Jackson s’approche et lui donne une tape dans le dos.

— Allez, mon vieux ! C’est pas le moment de caner, ironise-t-il avec un brin d’inquiétude dans la voix.

— Ça va… je dois juste… reprendre… mon souffle….

Marcus s’allonge sur le ponton en inspirant bruyamment. Ellies l’observe de loin. Avec Jimmy, ils répartissent équitablement les vivres qu’ils placent dans de grands sacs à dos orange vif. Jackson les rejoint.

— Laissons-lui quelques minutes pour se remettre, dit Ellies.

Après plusieurs minutes, Marcus sent son pouls revenir à la normale. Il prend soudain conscience de la nature qui l’entoure. Au-dessus de sa tête, dans le ciel d’un bleu azur flottent quelques nuages épars. Le vent est bien plus calme et doux qu’à leur départ de Kake quelques heures auparavant. Tout autour du petit lac, la forêt apporte des odeurs de végétation et d’humidité, un parfum de plénitude qui flotte dans l’air tel un sentiment suspendu dans l’instant.

Marcus se redresse et le clapotis de l'eau chahutée par l'hydravion lui parvient aux oreilles. Soudain, un faucon pousse un cri dans le lointain, puis c’est le grondement d’un ours qui se fait entendre au-delà des montagnes. « C’est l’endroit idéal », pense Marcus en esquissant un sourire.

Il se relève et s’approche de ses camarades. Ellies lui tend sa valise ainsi qu’un sac de provisions.

— Ne sois pas trop gourmand, le prochain ravitaillement est dans un mois.

Marcus acquiesce en enfilant le sac sur son dos.

— N’oublie pas de toujours suivre le chemin balisé du numéro de ton poste. On se retrouve demain matin à dix heures pour s’occuper de Carl. Les gars de l'équipe précédente ont fait ce qu’ils ont pu avec les moyens du bord…

Ellies marque une pause, l'air gêné.

— Il est dans le congélateur de ton poste, murmure-t-il soudain.

— Dans le quoi ? s'étonne Marcus avec dégout.

— Chut ! Jimmy n’est pas au courant.

Marcus lance un discret regard dans sa direction et remarque que lui et Jackson sont en grande conversation.

— Et ils sont où, les gars de l'autre équipe ?

— Ils avaient du matériel à ramener. Un hydravion plus grand les a récupérés tôt ce matin. Allez, en route, mon pote.

Ellies attrape son paquetage pour rejoindre ses camarades, Marcus sur ses talons. Devant eux, il remarque plusieurs chemins balisés pas des chiffres sur de petits panneaux métalliques.

— Chaque chemin correspond à un postes de surveillance, il y en a cinq. Jimmy est dans le numéro un. Jackson le cinq. Moi le sept, et toi le neuf. Il nous reste environ deux heures de marche à chacun pour les rejoindre.

Marcus acquiesce.

— Bon, faites bonne route. On se voit demain, annonce Ellies avant de se mettre en marche.

Jackson et Jimmy lancent un clin d’œil à Marcus et s’éloignent à leur tour.

« Je suppose qu’il est trop tard pour faire marche arrière », souffle Marcus en prenant une grande inspiration avant de partir. « Ma nouvelle vie me tend les bras ».

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