Chapitre 17

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Talinn

Je n'étais pas exactement emballé par ces histoires d'alliances. D'un autre côté, je n'étais pas non plus enjoué à l'idée de courber l'échine devant Grimm, qui respectait la science à peu près autant qu'il respectait Zilla. Mais de fait, devoir délaisser ses habitudes de pillards en plus de se retrouver en communauté hostile, laisse présager le malaise parmi nos intrépides guerriers. Zilla a tâché de briefer la bande à coups de tatanes. « Pas de vague, on est là pour discuter, pas pour allumer des feux. »

Pour les feux, je ne sais pas, mais pour ce qui est de l'électricité, je la sens déjà planer dans l'air. Nous nous sommes engouffrés dans les artères de la ville en ruines peu avant le coucher du soleil. J'avais dans l'idée de pouvoir visiter leur immense char que l'on discernait au loin depuis la colline. Et globalement, le jour aide à mieux voir à quoi on a à faire.

Nous sommes une quinzaine à avoir fait le déplacement, certains préféraient rester sur la défensive et faire feu de camp à part en restant aux camions. Difficile de les blâmer à la vue du comité d'accueil : des visages effrayés, des expressions de dégoût, des yeux de haine. Peut-être aurions-nous dû arriver de nuit, finalement. Je les comprends, pourtant. Après toutes ces générations d'incarnation guerrière et féroce au commandement des Rafales, notre réputation de pillards barbares et violents nous colle à la peau. Et à ce qu'il paraît, nombre de rescapés de nos raids ont trouvé refuge parmi ces Vautours. Il faudra plus qu'un soir pour enterrer la hache de guerre.

Allons-nous seulement l'enterrer ? Il est question de regrouper nos forces et nos ressources pour un long et difficile voyage. Pas de s'apprécier mutuellement et de faire des bébés ensemble. Qu'ils gardent leur rancœur à distance et nous confinerons notre barbarie.

Alors même que je me résignais à ce statu quo, je le regrette lorsque notre cohorte échoue au niveau du terrain vague envahi par l'imposante forteresse à voiles. Incroyable assemblage de bric et de broc, de containers rouillés, d'armatures métalliques tordues et ressoudées selon une physique improbable. Comment ce tank peut-il seulement rouler ?

Les introductions sont froides, mais cordiales avec ce qu'elles nomment « le conseil des matrones ». Pour laisser les nouveaux chefs, Zilla, Fen, Wolf et Anon – le remplaçant de Grimm –parler entre eux, on me présente à une personne d'intérêt en ma qualité de géologue, météorologue et physicien touche-à-tout : Eden, un petit brun de femme ronde et souriante, au nez retroussé de fierté et au visage encadré dans un carré brun, mais aussi sali de traces de cambouis et de crasse. Ce n'est pas parce que ce sont des femmes qu'elles ont davantage le loisir de se pomponner.

Eden est l'une des ingénieures qui s'occupe de faire rouler ce monstre-char bigarré. Avec elle, nous faisons le tour du circuit d'eau qui l'achemine du large récupérateur d'eau de pluie, au réservoir, puis aux parties communes. Je me familiarise aussi avec le réseau électrique et leurs batteries maison. Fasciné, je l'encombre de mes questions, la relance pour des compléments d'information et partage bien sûr mes expériences et mes conseils. Loin de s'en offusquer, Eden semble même flattée de rencontrer quelqu'un qui s'intéresse à son travail. Elle troque rapidement sa méfiance initiale en comprenant que je ne suis pas un pillard sanguinaire, juste un écumeur curieux qui s'est arrangé pour survivre. Le courant finit par passer – sans mauvais jeux de mots – alors que nous discutons devant le commutateur générateur fioul / panneaux solaires.

Nous montons ensuite sur le pont où leur navigateur, un certain Paril, me présente les différents mats et les systèmes de cordes et de poulies pour orienter les voiles. Je lui fais remarquer que cela ressemble comme deux gouttes d'eau aux systèmes des voiliers, ces bateaux qui naviguaient dans l'ancien temps, avant l'invention du moteur. Paril me confirme qu'ils se sont effectivement inspirés de ces références, déterrées dans de poussiéreux ouvrages.

— Vous vous intéressez aux livres, vous aussi ?

— Pas vraiment, c'est Hector qui adore farfouiller les ruines à la recherche de ces trucs pleins de pages et qui nous déniche les passages intéressants.

— Hector ?

— Notre médecin, répond Eden. Je vais te le présenter. Je suis sûre que vous aurez plein de choses à vous raconter. C'est un érudit, comme toi.

Je doute que l'on puisse me qualifier d'érudit alors que j'ai passé plus de temps de ma vie à tenir une arme plutôt qu'un bouquin. Mais je ne m'attarde pas à la contredire, happé par la curiosité de croiser la route de cet autre curieux.

Lorsque nous quittons les entrailles du char à voile, la nuit jeune nous accueille. Un large feu avait été dressé dans son âtre au centre du terrain vague et au moins une cinquantaine de personnes orbitaient autour. Cela faisait longtemps que je n'avais pas assisté à un tel déferlement de diversité autrement que sur les cadavres des villageois que nous pillions. Femmes, vieillards, enfants, handicapés se mêlent dans une sorte de cour des miracles. Sans distinction, sans discrimination, les bougres font la queue devant les larges tablées qui distribuent les repas et reçoivent tous la même part. On est loin de l'uniformité de notre troupe de mâles costauds et ségrégés selon leur utilité au collectif. Je pense que je pourrais me plaire dans cette bande joyeuse et bigarrée.

Je ne peux pas en dire autant de mes camarades. Parqués en agrégat dans un coin du cercle, les Vautours s'appliquent à les contourner et les éviter comme s'ils avaient la peste. Du côté du quatuor de chefs, la mixité est à peine plus présente. À la rigueur, forcée. Zilla disserte vivement avec une femme noire aux cheveux tressés, dont j'ai appris qu'elle s'appelle Bonnie et qu'elle fait partie des matrones. À sa droite, Rana, celle que nous avions capturée, occupe aussi une place privilégiée dans les discussions. En revanche, Delvin, la numéro un du conseil, reste braquée et en retrait. Elle écoute Zilla, mais le toise avec une animosité palpable. Quant à Fen, sa position, bras croisés et barbe rentrée dans le torse, en dit long sur l'enchantement que lui suscite l'entrain de Zilla. Anon se fait discret et Wolf... On aurait dit que Wolf s'amuse à un jeu d'échanges de regards avec la petite brunette que Luth avait capturée hier. La trêve est à peine signée que notre cher Wolf se lance déjà en quête d'amourette ! Il ne perd pas de temps.

Je sens mon bras tiré sur la gauche. Eden pointe du doigt, une silhouette qui vient d'être servie en civet et baies sauvages, ainsi qu'en alcool d'agave que nous avons ramené.

— C'est lui Hector. Allons-nous servir et le rejoindre, m'informe mon hôte.

La file d'attente fond rapidement et nous nous voyons vite garnis de notre pitance. La viande a l'air fraîche et tendre. Eden m'informe qu'elle a été chassée aujourd'hui même. Puis elle m'entraîne dans son sillage jusqu'à la silhouette recroquevillée sur une pierre en face du feu.

— Hector, voici Talinn, il est...

— Pas maintenant, Eden.

L'homme pivote vers la femme fluette. Il aborde une barbe de trois jours, ses cheveux noirs et ras sont emmêlés et ses yeux, de la même teinte, sont cernés et éteints. J'imagine sans mal que s'il est le seul de la colonie à disposer de compétences médicales, il n'a pas du chômer depuis la veille. Il semble capter l'air ennuyé de sa collègue et se départ d'une explication plus enjolivée.

— Excusez-moi, je n'ai pas arrêté à l'hôpital... J'ai besoin de souffler un moment tout seul.

— Bien sûr, je comprends, se ravise Eden. Je voulais juste te le présenter, car c'est un passionné de livres comme toi.

Un de ses sourcils broussailleux se lève et une lueur éclot dans ses yeux ternis.

— Vraiment ? Je n'aurais pas cru qu'il y avait des gens instruits chez les Rafales... Assieds-toi alors.

Je tire une grimace à sa réflexion. D'un autre côté, comment le blâmer de ses aprioris avec la réputation que nous nous sommes bâtie ? Il est certain que je fais figure d'OVNI au sein des Rafales. Eden prend congé et m'abandonne avec le bonhomme fermé, néanmoins intrigant. Je m'installe sur une pierre à ses côtés.

— Même les barbares ont besoin du savoir de l'Ancien Monde pour explorer ces terres désolées, réponds-je.

— En effet. Pardonne-moi ma question sans préliminaires, mais aurais-tu trouvé, au cours de tes pérégrinations, des informations concernant les Alters ?

Mon expression est sûrement interloquée. Je suis positivement certain de n'avoir jamais entendu ce mot alors même qu'il résonne en moi avec familiarité.

— De quoi s'agit-il ?

— De psychiques. Des gens comme Os.

J'observe un silence le temps de creuser ma cervelle, tandis qu'Hector retourne décortiquer consciencieusement la patte de lapin dans son assiette.

Non, il ne me semble pas avoir déjà trouvé de lecture à ce sujet. J'ignorais même qu'il existait d'autres individus dotés de ces étranges pouvoirs, Os étant le seul qu'il m'ait été donné de rencontrer. Je me souviens, en revanche, d'une diseuse de bonne aventure itinérante croisée quelque temps avant que je ne rejoigne les Rafales. Elle m'avait dit que les êtres psychiques avaient été légion par le passé, qu'ils avaient détruit le monde et l'avaient abandonné dans cet état stérile. Mais j'avais décidé de ne pas croire en ses divagations, car rien de ce qu'elle m'avait prédit n'avait de sens. Elle avait évoqué une prison dans une ville qui ne s'éteint jamais et une peine purgée pour un crime que je n'ai pas commis. Alors qu'en dehors des geôles des tribus esclavagistes que nous avons décimées sur la mer de pétrole, je n'ai jamais vu le moindre système carcéral en ce monde.

— Hélas non, j'admets mon ignorance sur le sujet.

— Ce n'est pas étonnant. J'ai l'impression que ces capacités psychiques sont apparues récemment. Enfin, par récemment, j'entends à l'ère où l'Ancien Monde avait basculé dans le numérique. Cela expliquerait qu'il ne persiste pas grand-chose parmi les vestiges imprimés.

— Nous pourrions peut-être essayer de redémarrer un ordinateur...

Je me souviens de Kaboum, la plus grande ville qu'il m'ait été donné de visiter sur la côte ouest. Ils avaient rallumé plusieurs de ses antiques machines et avaient même formé un groupe de passionnés de techno-archéologie qui s'attelait à décrypter les disques durs que les voyageurs leur rapportaient des ruines. Ils y dénichaient, la plupart du temps, des collections de photographies dont les paysages et les protagonistes n'avaient plus rien en commun avec le monde actuel. À tel point qu'il était difficile d'imaginer que ces clichés avaient capturé l'image du monde ancien.

— Tu saurais faire ça ? demande Hector. Malheureusement, je ne suis pas sûr que cela nous apporterait plus de savoir. J'avais cru comprendre que les anciens utilisaient un réseau immense et dématérialisé pour faire circuler l'information.

— L'internet.

— Exact. S'il existe encore un moyen d'y accéder, quelle mine d'or ce serait...

— Oui, la voie royale pour trouver des renseignements sur les gens comme...

— Os !

Je me retourne brusquement, manquant de renverser mon assiette, pour me retrouver nez à nez avec la silhouette blanchâtre et hétéroclite de notre ancien guide, reconverti en messie. Bien que debout, il me surplombe à peine tant il paraît petit et fragile. Pour autant, sa proximité me glace le sang sans que je puisse déterminer d'où surgit cette crainte. Hector semble partager la même, à la façon dont il a interrompu notre conversation à son arrivée. Cette précaution me semble néanmoins superflue étant donné le don d'omniscience dont on le croit pourvu. J'ai l'impression que les phénomènes irrationnels qui émanent autour de lui ébranlent un peu trop profondément les fondements scientifiques que des hommes comme moi et Hector sont parvenus à se constituer.

— Bonjour Hector, bonjour Talinn, énonce sa voix monotone.

Puis le garçon s'assoit simplement à ma gauche. Un chien s'incruste dans son dos et se couche sagement au sol. Le silence qui s'installe à son irruption ne semble nullement perturber le garçon, Hector, en revanche, s'efforce de combler ce blanc.

— Tu ne vas discuter avec les chefs ? dit-il en désignant le carré qui s'est formé en retrait, un peu plus loin.

Os hausse les épaules.

— Ils m'appelleront s'ils ont besoin de moi.

Puis il croque dans sa viande et en partage la moitié avec le chien à ses pieds. Je cherche de mon côté un nouveau sujet de conversation qui pourrait nous inclure tous les trois, sans succès. Par chance, Hector me devance.

— Et du coup Talinn, je suis curieux de savoir comment quelqu'un d'instruit comme toi s'est retrouvé parmi les Rafales...

— Oh, c'est une longue histoire...

o

Zilla

— Avec ce qu'il reste dans notre citerne, j'avais estimé que nous pourrions parcourir au moins quatre mille kilomètres en tirant modérément sur les générateurs. Maintenant, s'il faut partager...

L'amertume de Fen dans ses derniers mots était immanquable. Je comprends sans mal sa réticence à cette collaboration. Fen est un routinier. On ne change pas du jour au lendemain les habitudes ancrées d'un vieux loup des sables.

Par chance, les matrones se montrent étonnamment conciliantes en face. Du moins, la femme aux cheveux tressés vers l'arrière et à la peau d'ébène, du nom de Bonnie. Notre ancienne prisonnière, une grande montagne de muscles qui rivalise avec la masse de Wolf, reste sur la défensive. Tandis que mon adversaire de la matinée s'est carrément parquée en retrait et me darde de ses yeux de haine. Elle a beau être la cheffe, je préfère l'ignorer et me concentrer sur Bonnie qui répond à Fen.

— Nous pouvons nous déplacer grâce au vent la plupart du temps. Nous n'allumons les moteurs et les générateurs qu'en cas de nécessité ou pour franchir un dénivelé. Les jours sans vent, nous pouvons aussi bivouaquer et en profiter pour chasser et cueillir. À moins que vous soyez si pressés d'arriver à la Terre Promise...

— Nous prendrons le temps qu'il faudra. Je ne m'inquiète pas pour le carburant. Nous en trouverons sûrement en chemin. On en trouve toujours, intervins-je.

Derrière moi, la voix bondissante de Delvin fait irruption dans mes oreilles.

— Ah oui ? Et vous ferez comment s'il appartient déjà à des gens ? Vous le volerez ?

— On ne va pas changer notre manière de faire au prétexte que l'on voyage ensemble.

Je crois que mon sourire taquin était de trop. Elle fulmine. Bonnie intervient à nouveau en médiation.

— Si nous devons en recourir au pillage, dit-elle, j'aimerais que l'on se mette tout de suite d'accord pour faire cela avec parcimonie. Pas de morts inutiles, on privilégie la négociation et on laisse aux locaux assez pour leur survie.

Personnellement, je n'ai rien contre. Et je ne pense pas non plus que cela outre mes trois camarades. C'était Grimm le fana des purges radicales. De mon point de vue, la vie d'un abricot en plus ou en moins m'importe peu, tant que l'on grappille suffisamment pour notre pomme.

— Marika n'aurait jamais approuvé ces méthodes ! tempête Delvin.

— Nous avons aussi commis des pillages sous l'égide de Marika. Ne prétends pas l'avoir oublié, Delvin.

— Contre des bandits et des esclavagistes, oui !

Qui parviendra à pacifier leurs conflits de leadership si Bonnie est elle-même embarquée dans le conflit ? C'est Selmek qui se dévoue. La jeune femme, ou le jeune homme – je ne suis pas encore parvenu à le déterminer – jusqu'à présent discret et taciturne, fait cesser leurs chamailleries d'un claquement de langue.

— De toute façon, d'après Os, ça grouille pas de colonies ou de ruines vers l'est. Va falloir la jouer économe et se serrer la ceinture.

— Et qu'est-ce qu'on a comme visuel plus détaillé ? Est-ce qu'il peut établir une carte ? Nous donner une distance ? Déterminer des zones d'intérêts ?

— Pas pour le moment. Il dit qu'il en saura plus au fur et à mesure, mais qu'il ne voit pas aussi loin.

Delvin claque son boc d'alcool sur la pierre et soupire de manière sonore.

— Génial... On part vraiment s'aventurer dans une galère pour des chimères !

L'assemblée l'ignore. Personne n'a envie de tenter le mauvais sort. Pour ma part, j'ai mes raisons de croire Os. Il ne s'est jamais trompé dans ses prédictions. Mais je veux bien croire que les Vautours aient moins de foi en lui après la déconfiture de la veille. La mauvaise humeur de Delvin laisse planer un malaise. Je change de sujet.

— D'où vient toute cette viande ? Elle est incroyablement tendre.

— Chassé aujourd'hui, répond Selmek sans s'encombrer de phrases complètes.

— Par Selmek et Os, principalement, rajoute Bonnie.

— Os ? Qui chasse ?

— Oui enfin, Os indique où se trouvent les proies et Selmek leur tire dessus, précise Delvin avec une mesquinerie imputable à son ivresse naissante.

L'alcool d'agave monte rapidement quand on n'a pas l'habitude. Je dévie mon regard à travers les flammes. Os se tient à l'opposé, aux côtés de Talinn en conversation animée avec un autre gars. Je suis content de voir qu'il y en a au moins un qui s'intègre.

Os me regardait déjà. Comme si ses yeux translucides étaient en train d'analyser l'entièreté de mon être. Peut-être était-ce le cas d'ailleurs ? Je le fixe quelques secondes avant qu'il ne baisse les yeux et se lève. Sa silhouette disparaît dans l'obscurité, suivie par le chien sur ses talons.

— Je vais soulager ma vessie. Je reviens.

Je prends congé et pars sur les traces du fuyard, comme happé dans son sillage. Je n'ai toujours pas eu l'occasion de lui parler. Depuis ce monstre paranormal à l'usine automobile, depuis ce combat avec leur ex-cheffe où j'ai senti sa conscience fusionner avec la mienne, depuis la vision de cette femme enceinte... Tant de questions en suspens. Et ce changement, cette évolution ? Quand et comment a-t-il acquis cette consistance ?

Je manque de me perdre dans leur camp vaste et plongé dans l'obscurité, je croise beaucoup de regards effrayés ou inquisiteurs. Les gens s'éloignent, se décalent à mon passage. Je n'ai pourtant pas la carrure d'un Wolf. Il faut croire que ces paumés sont facilement impressionnables. Je finis par retrouver Os, alors qu'il remonte un escalier de métal le long de l'immense char à voile.

— Os, tu t'en vas déjà ?

Il s'arrête sans se retourner. Son chien, lui en revanche, fait volte-face et montre ses crocs.

— Je ne suis pas à mon aise quand il y a trop de monde.

— Tu as changé.

Pas à cause de son mal-être en réunion de plus de dix personnes, celui-là je le conçois aisément. Non, je veux dire... pour tout le reste. Os se retourne et se penche sur la balustrade, c'est presque amusant de le voir me surplomber comme ça. Un peu comme ce matin, du haut de son monticule de débris, tel un prophète du chaos.

— En effet, il semblerait qu'il y avait bel et bien une personnalité et une conscience dans ma coquille. J'apprends à la découvrir.

— Et alors ? Ça te plaît ?

Il tire une grimace et détourne la tête vers son chien qu'il doit trouver sûrement plus amical que ma personne accompagnée de son passif.

— Il y a des bons côtés... et certaines choses rendues plus difficiles.

— Comme quoi ?

Il laisse nonchalamment pendre un bras depuis la rambarde. Je pourrais presque tendre le mien pour le saisir, le toucher... Mais pourquoi je voudrais ça au juste ? Ce n'est plus mon jouet, mon outil... Tire une croix là-dessus, Zi.

— Comme le fait de se demander si j'ai des affinités avec une personne plus qu'avec une autre, si ça m'importe qu'elle m'apprécie ou non...

— Ça s'appelle avoir des émotions.

— Oui. Je n'ai pas encore déterminé si cela faisait partie des points positifs ou négatifs.

Son air éberlué et candide me fascine. J'éclate de rire. J'aimerais tant pouvoir lui ouvrir le crâne et ausculter l'intérieur de sa psyché comme il le fait avec nous. Mais je suppose qu'il est de ces mystères qu'il ne faut pas chercher à éclaircir.

— Merci pour hier, finis-je par dire.

Je repense à la façon dont il m'a aidé contre Marika. J'aurais sans doute pu me débrouiller seul... peut-être pas. J'ignore cependant pourquoi il a cru bon de le faire. Une histoire de destin qui aurait eu d'autres plans pour moi ? Allez savoir. Je rêve du jour où je comprendrais enfin tout cela. Si tant est que je ne meure pas avant.

— Ne le répète pas, s'il te plaît.

Je lève un sourcil surpris. Je peux comprendre qu'il vaille mieux en effet qu'une furie comme Delvin n'en sache rien, je suis juste étonné que cela lui importe.

— Pourquoi l'avoir fait ?

Je ne sais pas à quel genre de réponse je m'attendais, mais à une réponse, à minima. Os n'a-t-il pas toujours réponse à tout ?

— Je l'ignore.

Lui et moi, on se dévisage pendant suffisamment de temps pour que le chien finisse par lâcher un bâillement. Sur ce, Os décide que cette conversation qui ne mène nulle part a sans doute déjà trop duré.

— Je vais me coucher. Bonne nuit Zilla.

Je soupire. Soit, je n'en saurais pas davantage. C'est sans doute mieux ainsi. Il tourne les talons et remonte dans sa cabane flottante. Il est temps pour moi de retrouver mes camarades, ma famille.

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