2. Rêve
L’esprit d’Ezra entre dans un monde encore trop flou pour qu’il le comprenne dès le premier coup d’œil. Des secousses font trembler son petit corps. Dans son rêve, Ezra flotte dans l’espace. Il ne contrôle rien, comme emporté par des vagues invisibles. Il ouvre grand les yeux et regarde dans toutes les directions.
Dans l’espace tel qu’il l’imagine, une infinité de couleurs virevolte autour de lui, dans une ambiance plutôt électrique. Ezra remarque un astre rond, aux courbures parfaites, qui est attaqué par une pluie d’étoiles filantes en colère. La force de l’impact est incroyable, pourtant, aucun son ne parvient aux grandes oreilles du bébé apeuré. Nager sans but précis augmente son stress. Son cœur bat encore plus vite devant un tel spectacle. Il essaie d’engager son corps de toutes ses forces vers une autre direction, en vain. Les vagues invisibles font ce qu’elles veulent, Ezra est encore trop faible pour lutter. C’est ainsi qu’il quitte la pauvre majesté attaquée pour rejoindre une planète voisine en parfaite santé. Les couleurs qui allaient et venaient de part et d’autres dans l’espace se regroupent aussitôt, à l’image de bancs de poissons, et s’envolent à toute vitesse vers la planète. Elles tournent autour d’elle, et vont si vite qu’Ezra a l’illusion d’un anneau multicolore qui l’encercle, comme on enroule une ceinture autour de la taille.
En moins de temps qu’il n’en faut pour cligner des yeux, l’espace a tout à coup laissé place à un noir complet, comme si quelqu’un venait de couper le courant dans toute une ville. Le rêve a changé, une gravité plus intense pèse sur ses épaules. Ezra se retrouve assis sur ce qui ne sont plus des vagues mais un sol invisible. Le bébé est entouré de vide. Il est très difficile pour lui de supporter une émotion de cette ampleur, soumis à l’incertitude et à la peur. Il n’a pas du tout l’impression de se reposer, au contraire. Ezra attend avec nervosité dans le noir, son corps frissonne. N’y tenant plus, le petit s’apprête à hurler, impatient que ce cauchemar se termine.
C’est alors qu’il aperçoit un objet couché tout près de lui. Son esprit change rapidement d’idée, passant du désespoir à la curiosité. Quel est ce drôle de jouet qui brille ? À mesure qu’il tend les bras avec le sourire, la peur le quitte, laissant un bébé qui a oublié qu’il est dans un rêve. Il ne vole plus maintenant que les vagues invisibles ont disparu. Pour satisfaire sa curiosité, il va devoir marcher. Le miracle se produit. D’instinct, Ezra comprend tout de suite le mécanisme de ses jambes. Il tente de les tendre en s’aidant de ses bras. Après deux chutes consécutives, il finit par se dresser, même s’il continue de se balancer involontairement de droite à gauche. Ezra fait un premier pas, puis un deuxième, avant de retomber sur le sol. Mais il ne faiblit pas ! Il se relève, encore et encore, jusqu’à atteindre l’objet brillant qu’il prend pour un jouet.
Enfin à destination, Ezra contemple une épée. Elle est transparente, mais il ne s’y reflète pas. L’épée est deux fois plus grande que lui et faite d’un verre qui dévoile un bleu familier, avec une attirance particulière pour le blanc. Sans réfléchir, Ezra tend son bras droit vers elle, comparant la couleur de sa peau avec la lame. Elles sont identiques. Il ferme les yeux en forçant exagérément sur ses paupières et se pince les lèvres. Il baisse le bras et tente d’entrer en contact avec l’épée. Il l’effleure, la caresse puis l’empoigne.
Ezra se pétrifie de longues minutes, le temps dont il a besoin pour récupérer suffisamment de courage et affronter une nouvelle fois l’épée du regard. Il ouvre légèrement l’œil droit pour s’assurer que tout va bien. À cet instant, il sent quelque chose de doux, une sorte de liquide glacé, parcourir son bras droit, celui qui tient l’épée. Cette sensation rebondit tel un battement de cœur. Pour la première fois depuis que son rêve a commencé, il entend son rythme cardiaque et celui de l’épée, comme on taperait sur une grosse caisse avec une pédale. En établissant un contact avec l’épée, Ezra l’a ranimée sans le savoir. Une arme mystérieuse, belle et puissante. Ezra esquisse un sourire, léger, mais sincère. Elle lui rend son sourire à travers une faible chaleur qui enveloppe son bras. Ezra sent son pouls s’accélérer. La pédale frappe plus fort et plus rapidement sur la grosse caisse. Tout semble si réel. Il communique avec l’épée, avec comme seule atmosphère leur cœur qui battent à l’unisson. À cet instant, plus rien d’autre que l’épée ne compte pour lui, et ce sentiment est réciproque.
Mais tout a une fin, les rêves aussi.
C’est recroquevillé sur lui-même, sous la torche éteinte dans la grotte, que Kartoon retrouve le bébé devenu enfant, alors que le jour revient à la vie.
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