Yuga, assis sous l’unique arbre de la cour, n’avait pas vu arriver le garnement. Quand il le repéra enfin, il était trop tard.

– Alors, gamine, encore en train de dessiner ?

Le nez dans son carnet, Yuga ne répondit pas, dans le simple but d’agacer la mauvaise graine.

Cela eut exactement l’effet escompté, mais pas pour le mieux.

– Donne-moi ça, ordonna le garnement, se saisissant du carnet. C’est un journal intime de fille ?

Il feuilleta quelques pages du soi-disant journal.

– Oh, les jolis dessins ! se moqua-t-il en arrachant une page.

De la page arrachée, il fit une boulette, qu’il jeta au visage de Yuga.

– Rends-moi ça, ... commença ce dernier.

Puis il réalisa qu’il ne connaissait même pas le nom du garçon qui lui faisait face.

– ­Sinon quoi ? répliqua l’autre, avant de se lancer dans la lecture passionnée du journal.

Yuga serra les dents, prêt à avaler le déshonneur du siècle.

– Cher journal, lut la mauvaise graine. Julius, cet idiot, a failli me casser le nez. Oh, je lui dirai que tu l’as traité d’idiot.

Yuga tenta de reprendre le carnet, mais en vain. Le méchant garçon arracha la page et la fourra dans sa poche.

– Cher journal, poursuit-il, j’ai travaillé au bar laitier pour me faire un peu d’argent de poche. Cher journal, j’ai voulu retourner chez moi dans le marais des démons, mais on m’a interdit de sortir du village. Oh oh, le marais des démons, voilà donc le trou pouilleux d'où tu sors… Donc tu es bien une fille. C’est pas beau, de mentir, hein ?!

– Mais donne ! C’est à moi ! Et je suis pas une fille !

Yuga se releva d’un bond et sauta pour récupérer son bien, mais le garnement, qui était déjà debout, le leva au-dessus de sa tête. Trop petit pour le récupérer et pas assez fort pour bousculer le garnement et le faire tomber, Yuga se résigna à attendre.

Puis une idée lui vint.

Non, il ne pouvait pas faire ça. Mais si le garnement gardait son journal, l’abîmait ou le divulguait à toute l’école, ce serait pire que tout. Alors il se résigna. Il s’assit, ferma les yeux et se concentra de toutes ses forces. Pendant de longues secondes, il crut qu’il avait échoué, mais une boule de feu minuscule et tremblante apparut dans sa main droite.

– Rends-moi ça, répéta-t-il, avec une fausse confiance.

Le vilain garçon ne répondit pas, les yeux fixés sur la flamme.

– Oh… finit-il par marmonner. Comment t’as fait ça ?!

– Tu la veux ? Tiens, prends ! Et estime-toi heureux !

Yuga balança la boule de feu dans sa direction, priant pour que cela suffise à éloigner le garnement. En réalité, c’était le seul sort qu’il connaissait. Heureusement, le poisson mordit à l’hameçon.

Le garçon recula, puis s’enfuit en laissant tomber le carnet, qui s’embrasa au contact du projectile.

– ­Oh non !

Devant les yeux de Yuga, son bien le plus précieux se transforma en un petit tas de cendres. Alors il se promit qu’il n’utiliserait plus jamais la magie.

"""Yuga tragique aujourd'hui, et maladroit. Pardon."""