Chapitre 24, où je me fais bousculer par la dernière personne que je voulais voir
Yuga était de bonne humeur. Il avait terminé le portrait officiel de la princesse. Il s’engagea dans le couloir de l’aile droite et partit en direction de la chambre d’Hilda.
Et quelque chose le heurta violemment. Sa baguette tomba avec un tintement métallique. Il baissa les yeux pour voir son tableau face contre terre. Du mauvais côté. Et, pour ne rien arranger, un visage qu’il connaissait maintenant.
Devant lui se tenait un gamin des rues, à la bouche large et aux cheveux d’un noir violacé. Quelques taches de rousseur parsemaient ses joues couvertes de poussière.
Devant lui se tenait Lavio.
Yuga grommela quelque chose pour lui-même et ramassa sa baguette. Il en flanqua un petit coup sur la main du jeune garçon, qui avait entrepris de ramasser son tableau.
— Bas les pattes, rongeur !
— Je… je suis désolé !
Le conseiller ramassa son ancien chef-d’œuvre. La toile était tachée, gâchée, irrécupérable. Sur le sol s’étalaient des taches de rouge et de toutes les nuances de violet.
— Gah, regarde ce que tu as fait !
Lavio, en maladroit qu’il était, avait même réussi à maculer de peinture sa tunique violette.
— Je suis désolé.
Il tentait d’éviter le regard du conseiller, mais Yuga posa sa main sur sa joue pour le forcer à tourner la tête.
— Écoute-moi bien, rongeur ! La princesse est peut-être naïve, mais pas moi. Je sais très bien pourquoi tu as approché Sa Grâce. Ne profite pas d’elle.
— Jamais ! Promis, juré, craché !
Lavio cracha dans sa main crasseuse et la tendit à l’artiste, qui n’y prêta même pas attention.
— Je ne crois pas à tes grands mots. Essaie donc de voler la princesse, ou de la poignarder dans le dos, ou de lui faire du mal de quelque manière que ce soit, et je m’assurerai personnellement que tu aies l’éternité pour le regretter.
L’inventeur recula, la peur se lisant sur ses traits.
— Jamais ! répéta-t-il. Je suis un marchand, pas un voleur !
Yuga s’arrêta et se redressa. Il venait de comprendre ce que le marchand avait de si singulier.
— Qui sont tes parents, rongeur ?
— Je ne sais pas, je… je suis orphelin. Pourquoi ?
Il avait dit ces mots poliment, sans amertume et sans chagrin.
La plupart des Loruliens ne grandissaient pas avec leurs deux parents. Les femmes donnaient souvent naissance à un âge très précoce. L’espérance de vie était basse, chaque jour pouvait être le dernier. Hors de la noblesse, il n’était pas rare pour une Lorulienne de tomber enceinte à quinze ou dix-sept ans.
— Pour rien, pour rien. Savoir si c’était une connaissance. Mais de toute manière, je ne connais pas tant de roturiers. Bon, le devoir m’appelle.
Il prit la peinture abîmée avec un air de dégoût et continua son chemin.
Lavio se disait orphelin, mais le doute n’était pas possible. Ses prunelles ne laissaient pas Yuga indifférent. Il ne connaissait qu’une personne avec de tels yeux.
Amanda.
"""Eh ben ! Julius la brute, Kyllan le fumier, et maintenant ce rongeur ! Bonjour la famille ! """
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