Yuga avait le souffle court. Il ne s’était pas arrêté une seconde pour reprendre sa respiration, et comprenait soudain son erreur. Pourquoi le château était-il si vide, d’ailleurs ? Dans sa fuite, il n’avait croisé personne.

Son regard se posa sur la faille sombre, sur son reflet dans un petit miroir suspendu, puis sur le sang qui tachait sa peau et ses vêtements. Et à nouveau sur la faille. Affaibli comme il l’était, cette traversée aurait pu le tuer. Mais, avec le gamin aux trousses, c’était un risque à prendre.

Alors il traversa la faille. Un tourbillon de couleurs et de lumières l’emporta, mais cette fois, elles étaient ternes, fades et froides.

Et il se retrouva dans le bureau dévasté de M. Archibald, le responsable des finances. Les papiers étaient éparpillés aux quatre vents, un fauteuil renversé écrasait des bris de vaisselle. Tout était calme, trop calme.

Yuga quitta cette pièce étouffante.

Les couloirs du château de Lorule étaient sombres et poussiéreux. Pas un serviteur, pas un mot. Dehors, l’orage se déchaînait, les éclairs lacéraient la toile sombre du ciel comme des flèches enflammées. Dans le grand hall l’attendait un visage familier.

— Yuga ! s’écria la princesse. J’ai tracé le cercle d’invocation, tout est prêt ! Tu as les Sages ?

— Oui, Votre Grâce.

— Qui sont-ils ?

Le conseiller fit apparaître les huit tableaux.

— Célès, prêtresse d’Hylia, Asphar, héritier prétentieux, Orlène, reine des Zoras, Irène, jeune sorcière pleine d’avenir…

Il sourit doucement, un peu admiratif.

— Guly, fils d’un forgeron, Rosso, mineur, et Impa, gouvernante de Son Altesse.

— Et celui-ci ? demanda Hilda, pointant la huitième toile.

— C’est Zelda.

— Qu’est-ce qui t’est arrivé ? Tu es couvert de sang…

— Ce serait trop long à expliquer, mais il y a un gamin qui me suit, un petit rongeur impertinent. Il a failli faire échouer notre plan. Allez vous mettre à l’abri, Votre Grâce, ce sera peut-être dangereux.

Il alla se placer au centre du cercle d’invocation et y déchargea un maximum de magie. Les formes s’illuminèrent, éclairant le visage de celui qui venait d’entrer.

C’était un gamin aux yeux bleus.

— Tu as beaucoup de chance, tu sais, déclara posément Yuga. Contemple ces merveilles ! Une collection remarquable, n’est-ce pas ? À présent, tu vas assister à un spectacle exceptionnel.

La lumière du tracé commença à se glisser jusque dans les tableaux.

— OUVRE GRAND TES YEUX ! Et admire ma sublime illusion… La renaissance de Ganon !

Les lignes s’emballèrent, les sept cadres se mirent à tournoyer, de plus en plus vite, dans un tourbillon d’énergie sombre. Et des ombres jaillit Ganon, le Seigneur du Mal.

C’était un cochon.

Un cochon bleu.

Un cochon bleu ridicule, qui se tenait sur ses pattes arrière. Et, par-dessus tout, un cochon en armure, épaulettes et mini-casque à pointes.

Pour Yuga, le titre de Seigneur du Mal évoquait un guerrier, un sorcier, une épée gigantesque, un regard intense et assez de pouvoir pour plonger le monde dans les ténèbres. Tout, sauf ce pourceau énorme qui le fixait de ses yeux laiteux.

Mais une vive clarté fit apparaître le triangle d’or tant convoité. Dans les reflets du métal, on voyait presque apparaître le salut de Lorule.

— Voici donc la Triforce de la Force… Comme elle est belle ! Viens… Toi et moi ne ferons plus qu’un, et ensemble, nous poursuivrons ma quête de la beauté absolue !!!

Le porc s’éleva dans les airs, puis retomba sur le cercle en une pluie de flammes, et Yuga se retrouva pris dans une sphère d’énergie sombre. Il sentit ses os craquer, sa peau se déchirer. La douleur était telle qu’il perdit connaissance.

Quand il retrouva ses esprits, il avait fusionné avec le cochon. Il rugit, et le fracas fut tel que le dénommé Link tomba au sol. Il s’approcha, décidé à achever le petit Hylien, chaque pas faisant trembler la terre.

Mais une jeune fille s’interposa. Hilda.

La princesse agita son sceptre, et du sol jaillirent des liens d’une magie glacée, immobilisant la version fusionnée de Yuga et Ganon.

Puis elle se tourna lentement vers Link, cligna des yeux encore plus lentement, et se présenta.

— Link, héros du royaume d’Hyrule. Je suis Hilda. Grâce aux pouvoirs des sept Sages, Yuga s’est approprié la puissance de Ganon, l’antique seigneur du mal. Il utilisera sans doute ces pouvoirs pour conquérir ce monde. Et il s’en prendra ensuite à Hyrule.

Derrière elle, le cochon monstrueux grogna.

— J’ai encore bien des choses à te dire, mais pour le moment il me faut tenter de contenir son pouvoir.

Et elle téléporta le gamin hors du château.

"""OK, sept lettres : YUGANON. Ça va être une dinguerie."""