Chapitre 4
Théo avait passé la journée seul devant YouTube et avec la basse récupérée au grand-père de Clara, parce que ses amis étaient étrangement tous occupés. Ils étaient surtout tous au travail ou tous en vacances avec leurs parents. Il aurait pu aller courir le matin mais il avait eu la flemme sans Thomas pour l’accompagner.
Et Clara travaillait aussi le mardi, mais elle avait accepté de le rejoindre aux ruines le soir, donc il s’habillait pour la première fois de la journée afin de s’y rendre.
Elle était déjà là quand il arriva plein de sueur à cause de la chaleur étouffante.
— Alors, tu as prévu un sandwich de bonhomme ?
Il sourit et sortit fièrement son sandwich jambon beurre de son sac.
— Oui, madame.
Il s’installa à ses côtés, peinant à trouver un angle confortable sur les rochers saillants.
— Tu as refait de la basse ?
— Yep, ça m’avait manqué en fait. Et puis, qui sait, les filles aiment peut-être plus la basse que la guitare, la taquina-t-il.
Elle leva les yeux au ciel. Il changea de sujet.
— Bon, tu ne m’as pas dit, ils vont bien tes parents ?
Le tremblement de ses mains ne lui échappa pas mais il ne sut quoi en faire.
— Vous vous êtes disputés ?
— Non… Il n’y a juste pas grand-chose à en dire, dit-elle d’une petite voix.
— Ton père est toujours climatosceptique ?
— Ferme la bouche quand tu mâches, grogna-t-elle. Et, oui, rien à faire, j’ai abandonné de toute façon. Je vais en licence de biologie pour faire un master en écologie, ça lui fera les pieds, tiens. Tu fais quoi à la rentrée, toi ?
Théo n’était pas dupe, ça l’arrangeait bien de reporter la discussion sur lui, mais il n’insista pas.
— Licence de droit.
Clara faillit s’étouffer avec sa bouchée et se prit une quinte de toux.
— Droit ? demanda-t-elle, les larmes aux yeux.
— Je sais que c’est pas la tasse de thé de tout le monde mais ça sert à rien de se mettre dans ces états-là, voyons, se moqua-t-il.
— Mais qu’est-ce que tu vas foutre en droit !
Ce n’était pas une question mais une accusation. Il haussa les épaules.
— Étudier le droit, je suppose.
— Te fous pas de moi. Sans dec’, qu’est-ce que tu fous de ta vie ? T’as jamais voulu faire la même chose que tes parents.
A nouveau, Théo haussa les épaules.
— J’avais peut-être tort, ça assure une bonne carrière le droit.
—Théophile Théodore Théobald, arrête de te foutre de moi, tu n’en as rien à faire de ces histoires de carrière.
Elle l’appelait toujours comme ça quand elle était énervée contre lui, vestige de leur première rencontre où elle avait essayé de trouver son prénom complet. Pas de bol, c’était juste Théo.
— Moi, c’est toujours Théo.
Elle ne rit pas.
— Pourquoi pas dans la musique ?
Il soupira.
— Clara, tu as vu comme je stresse pour un rien… J’ai besoin de quelque chose de stable. Et puis, comme ça peut-être que je comprendrais mieux mes parents…
Il vit la fumée sortir de ses oreilles et il se demanda s’il n’aurait pas mieux fait de se taire. Mais Clara ne perdait pas son calme, elle préférait cracher des éclats de glace que des flammes.
— Tu te fous bien de moi, et de toi-même. Tu sais très bien que ce n’est pas si instable que tu le dis. Et on sait tous les deux très bien que si t’avais eu des parents présents tu serais beaucoup plus confiant et que t’aurais pas besoin de leur courir après. Tu t’en fous bien de les comprendre, c’est pas de ça que t’as besoin. Me sors plus de mensonge pareil, moi je me casse, parler avec des gens qui se voilent la face, ça ne m’intéresse pas. Comme si ça t’intéressait le droit… T’as prévu de t’auto-pourrir la vie ?
Elle n’attendit pas de réponse. Elle partit, son sandwich pas fini à la main, le laissant sonné. Il regarda sa silhouette s’éloigner d’une démarche décidée.
Elle n’avait pas tort.
Ce n’est que le lendemain qu’il réussit à prendre sur lui pour lui envoyer un message.
Théo – 20/07 – 11h51
T’as raison, désolé
Clara – 20/07 – 11h59
Désolé de ? T’as le chic pour utiliser le mot quand il sert à rien mais ne pas être capable de le sortir quand on en a besoin, toi
Il ne savait pas s’il devait se réjouir parce que Clara s’ouvrait enfin assez pour lui parler pour de vrai, ou s’il devait se lamenter car elle ne se réfrénait plus avec lui.
Théo – 20/07 – 12h00
T’as raison, c’est tout
On peut en parler ?
Clara – 20/07 – 12h02
Du fait que j’ai toujours raison ou de ce que tu comptes faire l’année prochaine ?
Théo – 20/07 – 12h03
Du fait que tu ne peux plus te passer de moi ??
Il était fier de lui mais grimaça quand sa réponse se fit attendre. Après tout, c’était lui qui avait besoin d’elle, pas l’inverse.
Théo – 20/07 – 12h05
De l’année pro…
Clara – 20/07 – 12h06
Bah oui, vas-y ?
Théo – 20/07 – 12h08
Enfin je sais pas trop quoi dire
Clara – 20/07 – 12h08
…
Clara – 20/07 – 12h09
Et une fac de musique ? Je te vois pas faire autre chose.
Théo – 20/07 – 12h10
Mais pour faire quoi derrière…
Clara – 20/07 – 12h11
Ce que tu as toujours voulu faire ?
Théo – 20/07 – 12h12
Trop tard pour les inscriptions…
Clara – 20/07 – 12h13
Tu te fous de qui encore ? Y a les phases complémentaires. Et j’ai le meilleur papy du monde. Je lui en parle.
Théo – 20/07 – 12h14
Je l’aime bien ton papy mais je vois pas ce qu’il va bien pouvoir faire
Clara – 20/07 – 12h15
Apprends à la fermer, merci
Clara – 20/07 – 12h16
Je te tiens au courant
Théo – 20/07 – 12h17
Merci j’imagine…
Il ne savait pas quoi en attendre, ni ce que Clara attendait de lui, ni ce qu’il attendait de lui-même. Le droit, c’était une voie solide. Pourtant, ce n’était pas pour rien qu’il n’avait toujours pas validé définitivement son vœu… La musique, il avait tiré un trait dessus, ça avait arrêté d’être une option quatre ans auparavant. Se voyait-il réellement exercer dans la musique ? Etait-il assez talentueux ? Le voulait-il assez ?
La sonnette de l’épicerie lui permit de penser à autre chose.
***
Les filles qui le draguaient à l’épicerie quasiment tous les jours ne parvenaient pas à lui faire oublier l’absence de nouvelles de la part de Clara. Il avait tenté de lui envoyer des messages, elle le laissait en vue ou lui répondait « plus tard » et il n’avait aucune idée de pourquoi. Il avait voulu lui proposer de se voir la veille, sur son jour de repos du jeudi, mais ses amis voulaient le voir et elle aurait sûrement refusé… Chaque fois que des cheveux blonds entraient dans son champ de vision, il ne pouvait s’empêcher d’espérer que c’était elle qui venait le voir à l’épicerie. Ce n’était pas le cas. Par contre, il eut le plaisir d’accueillir Thomas qui venait faire un tour avec un de ses amis que Théo n’avait jamais vu. Mignon, cet ami. Les filles quittèrent rapidement l’épicerie quand ils commencèrent à discuter. De toute façon, Théo n’était pas intéressé, il ne les connaissait même pas et elles étaient trop bruyantes.
— Yo, mec ! Qu’est-ce qu’on est bien ici avec la clim, j’en peux plus de la chaleur… T’es libre après ta journée ?
Théo hocha la tête tout en encaissant leurs chips et bières.
— On t’attend, tu veux venir à la maison ? J’te présente Luc, un pote.
Ce dernier le regardait sans ciller. Il était plus grand que Thomas, la peau noire, les cheveux ras. Elégant de surcroît, avec un pantalon à carreaux qui devait lui tenir sacrément chaud.
— Salut, le salua Théo avant de répondre à Thomas : je suis dispo je crois.
— Tu crois ?
Il haussa les épaules. Il ne pouvait s’empêcher d’espérer une réponse de Clara. Il lorgna son portable, toujours rien, alors il reprit :
— Je suis dispo.
Quelques minutes plus tard, ils montaient à bord de la voiture de Thomas.
Thomas fila dans la cuisine après leur avoir ouvert la porte, Théo s’avança vers la télé pour brancher la Switch, Luc s’installa sur le canapé avec son portable.
— Blonde ou brune ? demanda Thomas depuis la cuisine.
— Blonde, répondit Théo.
— Brune, répondit Luc.
Ils se regardèrent un instant, un sourire en coin pour Luc, et Théo retourna à la recherche des manettes.
— Alors, ça allait ta journée Théo ? demanda Thomas en revenant avec des bières.
Il haussa les épaules.
— Normal.
— Pas de nouvelle de Clara ?
Théo grogna en guise de réponse.
— Message reçu, viens donc t’asseoir sur le canap’, les manettes sont là derrière, dit Thomas qui s’était déjà affalé sur le bord.
Luc tapota le canapé à côté de lui et Théo s’y installa.
— Vous vous connaissez comment ?
— Luc était mon voisin avant qu’il déménage avec ses parents pour le lycée. Quelques maisons plus loin, par là-bas, montra Thomas d’un large mouvement du bras qui n’indiquait rien du tout à Théo.
— Avant ça, on passait souvent nos week-ends ensemble.
Théo hocha la tête mais, quand Thomas commença à raconter comment leurs parents s’étaient rencontrés, il lâcha la conversation. Il se demandait ce que Clara faisait en ce moment. Est-ce qu’elle était chez ses grands-parents ? Est-ce qu’elle sortait encore avec des gars de temps en temps ?
— Arrête, Thomas, il t’écoute plus, soupira Luc.
— Hum, pardon, s’excusa Théo.
— Pas grave, c’était pas intéressant pour toi, je comprends, de toute façon c’est plus pareil entre nous, s’exclama Thomas, mélodramatique. Je vais noyer mon chagrin dans le jeu, prenez vos manettes. Allez, plus vite que ça !
Théo se prit au jeu et un sourire sincère finit par prendre place sur ses lèvres.
***
Clara – 23/07 – 19h07
Papy a fait jouer son réseau, tu es sur liste d’attente pour la fac de Lyon (c’est bien là-bas que sera ton meilleur pote ?), la responsable du département de musicologie va te contacter pour un entretien oral de motivation, tu sauras début août si t’es pris
Clara – 23/07 – 19h07
De rien
Elle était comme ça Clara, elle sortait de nulle part après trois jours sans nouvelle sans dire bonjour ou au revoir, elle allait droit au but et elle ne répondait plus pendant les heures qui suivaient.
Théo – 23/07 – 19h12
Wouaaah, merci !!
Plutôt paraître enjoué que montrer le doute. Après tout, elle avait réussi ce qu’il pensait impossible. Maintenant, il avait un entretien à préparer même s’il n’était toujours pas sûr d’avoir de quoi faire de la musique son métier.
Théo – 23/07 – 19h15
Tu veux venir à la plage demain ? Avec mes potes et Camélia
La réponse n’arriva que tard le soir, alors que Théo allait se coucher et qu’il avait abandonné tout espoir, dépité.
Clara – 23/07 – 23h23
Ok
***
C’était un beau dimanche, au soleil qui brillait et aux températures qui étaient devenues habituelles : 35 degrés, un peu de vent. Les lunettes de soleil sur le nez, la serviette sur l’épaule, déjà torse nu, marchant sur le sable brûlant, Théo se sentait le roi du monde. Thomas l’avait emmené, ainsi que Camélia et Clara, les autres s’étaient débrouillés entre eux et étaient déjà sur place. Aucune personne saine d’esprit n’allait à la plage en pleine journée ici, sauf les touristes, mais avoir 18 ans, c’était ne pas être très sain d’esprit.
— Tu mets pas de crème ? demanda Thomas quand Théo commença à s’éloigner vers la mer.
— Je fais un plouf et j’en mets après Papa, lui répondit-il en tirant la langue.
Thomas secoua la tête, imité par Clara qui avait déjà dégainé son tube de crème.
Profitant de la fraîcheur de l’eau, Théo observa avec un sourire Thomas, Clara et Camélia qui discutaient. Il aimait que les personnes les plus importantes à ses yeux s’entendent bien. Il fut rapidement rejoint par ses autres potes et leurs rires se perdirent dans le bruit des vagues.
— Alors Théo, c’est ta meuf la blonde ? finit par demander un des mecs.
— Hein ? Non, non non.
— Toujours pas ? C’est la même que l’autre jour en ville non ?
— Je prends mon temps, finit-il par dire avec un sourire.
— Oh bah ça on l’a vu oui, t’attends quoi en vrai ? Sans dec’ elle va juste te filer entre les doigts.
Il laissa son regard dériver vers Clara et Camélia qui avaient installé leurs serviettes. Thomas se dirigeait vers eux.
— Vous comprenez les gars, ça durera pas avec les études, parodia un autre, moi je veux du long terme, construire, tout ça.
— Va te faire, Alex, grogna Théo.
— Tu sais juste pas comment t’y prendre en fait ?
— Je sais très bien charmer ta sœur en tout cas, le charria-t-il.
Il crut qu’ils allaient le laisser tranquille avec Clara. Mais ils n’en avaient pas fini.
— Eh les tchoins, cria un mec à l’attention de Clara et Camélia, vous venez pas profiter de l’eau ?
Théo fronça les sourcils mais ne le reprit pas. Elles les ignorèrent.
— Tu sais combien de lits ont croisé la route de Clara ?
— Je m’en fous, dit Théo les dents serrés.
— Même celui d’Eric.
— Je m’en fous, répéta Théo.
— Quand même, elle s’embête pas…
— Mais qu’est-ce que ça peut te foutre ? finit-il par s’exaspérer.
Sa bonne humeur envolée, il rejoignit les filles en bougonnant.
— Tu t’amusais pas bien avec tes beaufs de potes ? demanda Clara.
Théo ne répondit pas, l’air contrarié. Il voulait que ses potes grandissent, mais ils appuyaient aussi sur un point qui faisait mal : ça ne lui faisait plaisir de savoir que Clara couchait avec plein de mecs. Il l’aimait. En plus, lui se réservait pour sa future copine et il espérait que ce serait elle. Il se sentait soudainement très con. Qui faisait encore ça ? Est-ce qu’il ne devrait pas se laisser aller lui aussi ? C’était comme ça qu’on profitait de sa jeunesse, non ? Il n’aimait pas cette mentalité.
— Mes potes sont cons, finit-il par dire. Désolé pour ça. Je suis content que vous soyez dans ma vie pour relever le niveau.
Camélia sourit d’un air entendu mais Clara ne cilla pas.
Ils finirent par tous les rejoindre et Thomas tendit la crème solaire à Théo. Il tenta de demander à Clara de lui en mettre dans le dos mais elle lui tira la langue avant de s’éloigner vers la mer. Ce fut Camélia qui le fit, avant de rejoindre Clara à son tour. Il soupira.
— Vous les faites fuir, dit-il au groupe.
— T’as juste pas assez en toi pour les faire rester.
— Hé, rude !
Il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il avait un peu raison. Il finit par lâcher l’affaire et proposer un jeu de cartes tout en gardant un œil sur les filles au loin. Elles avaient l’air de bien s’entendre, mais il ne pouvait en être sûr. Clara restait stoïque mais elle répondait des phrases complètes à Camélia, c’était un bon signe.
— Elles se connaissaient déjà, non ? lui glissa Thomas.
— Non, j’avais trop peur que Cami me vole Clara au collège, rit Théo.
— Elles vont se faire une joie de te tailler dans ton dos maintenant.
— Tant qu’elles parlent de moi…
Théo agrémenta sa réponse d’un mouvement suggestif de sourcils.
Ils cramaient, littéralement. Mais Théo aimait ça, la sensation du soleil sur sa peau, la sueur qui coulait dans son dos et le long de ses tempes, c’était l’été et ça devait compter. Ils ne tardèrent pas avant de retourner dans l’eau, seul endroit où la chaleur devenait supportable.
Malheureusement, les filles ne parvinrent pas à s’intégrer au groupe. En réalité, elles n’essayèrent même pas. Il regrettait son idée : les mecs se foutaient de lui par rapport aux filles et les filles l’estimaient moins à cause de ses potes. C’était lose-lose. Pourquoi tout le monde ne pouvait-il pas s’entendre et se tolérer ? Il passa la journée à alterner entre jeux, discussions avec son groupe et discussions avec les filles, et parfois Thomas, parce que Thomas était le meilleur.
Lorsqu’ils se retrouvèrent seulement quatre sur la plage, tous les autres chahutant dans l’eau, Thomas prit la parole :
— On ne s’est pas beaucoup vu depuis quelques mois, Camélia, je n’ai pas vraiment trouvé l’occasion de te le dire mais Théo m’a raconté, je suis désolé pour ta mère. Ça a l’air d’aller mieux ?
Camélia sourit en retour.
— C’est sûr que ça n’a pas été facile, même si on savait, on savait que ça allait arriver, et on avait une vague idée de quand… Être bien entourée aide beaucoup. En tout cas pour moi. Je ne vais pas dire que je suis en pleine forme, avoua-t-elle avec un sourire triste, mais je vais bien et je m’en remets doucement. Ce n’est pas comme si on n’avait pas eu le temps de se dire au revoir, alors ça va.
Théo et Thomas acquiescèrent, tous deux avec un sourire.
— J’avais peur d’aborder un sujet trop sensible mais tant mieux alors.
Le regard de Théo passa de Thomas à Camélia, sincèrement heureux de les voir interagir, sincèrement heureux de voir Camélia reprendre goût à la vie. Cependant, il s’aperçut que Clara semblait tendue : son regard était tourné vers la mer mais ses sourcils étaient froncés et ses poings serrés. Il voulut l’interpeller mais, incapable de trouver d’interjection utile, il se tut. Camélia et Thomas continuaient de discuter et les autres potes revenaient vers eux, alors que Théo détaillait toujours Clara qui semblait si loin.
Le soir, une silhouette familière apparut au bout de la plage : un grand noir sec au regard perçant.
— Luc ! s’exclama Thomas en le voyant et en lui faisant signe pour qu’il les repère.
Il le présenta à tout le monde.
— Mon ancien voisin qui avait déménagé, expliqua-t-il.
Luc s’incrusta sans problème dans le groupe et les discussions, comme s’il avait toujours été là.
— Et vous, les filles ? Vous pensez quoi des plantations d’arbres ? demanda Luc quand le sujet commença à s’essouffler du côté des mecs.
Ok, il gagnait des points. Théo le détailla un peu plus du regard pendant qu’il discutait avec Clara des incendies près de Bordeaux. Il semblait réellement intéressé, paraissait à l’aise comme un poisson dans l’eau, menait la conversation de façon fluide. C’était le rôle de Théo ça d’habitude. Mais il semblait que depuis le début de l’été il ne savait plus faire, ne savait plus qui il était non plus. N’était-ce pas lui avant qui faisait rire tout le groupe ? Pourquoi est-ce que ce n’était plus le cas ? Qu’est-ce qui avait mal tourné ce vendredi 1er juillet qui avait entraîné l’histoire avec sa cousine, la présence de Clara et son éloignement de ses potes ? Parce que c’était de cela qu’il était question : il ne se sentait plus à l’aise au milieu de ses potes. Il se sentait exposé.
— Tu es bien silencieux, mec, fit remarquer Alex.
Théo haussa les épaules en souriant.
— Quelqu’un accapare tellement notre attention à tous que je ne peux qu’écouter avec admiration, rit-il à destination de Luc.
—Est-ce que c’est du flirt ? demanda ce dernier, pas le moins du monde gêné.
Théo se sentit rougir. Depuis quand rougissait-il ? Depuis quand ne trouvait-il rien à redire ? La chaleur devait lui monter à la tête.
— Euh… J’étudie ta personne pour mieux y réussir avec Clara, finit-il par sortir.
Clara eut un rire moqueur et il soupira.
— Apparemment, tu vas avoir besoin d’étudier davantage, je peux aider effectivement, taquina Luc.
— Je vais étudier les approches, répondit Théo avant de se lever pour retourner se baigner.
Il commençait à avoir vraiment chaud et se sentait très maladroit.
Quand il revint de sa rapide baignade, Théo sortit sa guitare de son étui et s’installa. Il était temps qu’il reprenne son rôle de rayon de soleil du groupe.
— Attention, il sort le grand jeu.
— Ferme-là, Alex.
Quelques-uns se levèrent pour aller acheter de quoi grignoter pour faire un pique-nique. Les autres restèrent discuter pendant que Théo grattait quelques accords.
— Je préfère quand tu fais de la basse, lui glissa Clara.
— Moi aussi, sourit-il.
Elle s’était rapprochée, il lui semblait, et il en était bien content.
— Tu le connaissais déjà, Luc ?
— Juste croisé l’autre jour avec Thomas.
Ça faisait longtemps qu’il n’avait pas touché à sa guitare, réalisa-t-il. Ça sonnait moins bien que la basse. Ça ne devrait pas le perturber, il avait fait principalement de la guitare ces dernières années, n’avait pas touché à la basse. Il la retrouvait et, bam! tout changeait. Un peu comme avec Clara finalement : il la retrouvait et, bam! tout changeait.
— Tu l’aimes bien, affirma Clara.
— Hein ?
— Fais pas l’innocent.
Théo dut faire un effort pour se rappeler de quoi ils parlaient. Luc.
— Ah ! Non, enfin je le connais pas quoi. Il y a quelqu’un qui m’intéresse plus, sourit-il d’un air entendu.
— T’as dit que tu me draguais pas l’autre jour.
— J’ai peut-être menti.
Elle rit, pas parce qu’il était drôle mais parce qu’elle se moquait de lui. Il avait l’impression d’être encore ce petit collégien avec elle.
— Regardez donc ces petits tourtereaux, railla Alex. Il y a donc vraiment une personne qui s’intéresse à Clara pour sortir avec et pas juste coucher avec ? Merveilleux. Qu’il est mignon notre petit Théo.
Clara lui offrit un doigt d’honneur.
— Tu peux pas te trouver des potes encore plus cons ? grogna Camélia.
— Ouuuh la cousine se rebelle, vas-y continue, j’aime ça.
— Mec, arrête t’es cringe, dit Théo d’un air dégoûté.
— Regardez-le prendre la défense de ses femmes.
Les autres ricanèrent et Théo ne sut pas s’il devait lui écraser sa guitare dans la face ou sourire pour éviter des conflits supplémentaires. Il ne fit rien.
— Regardez-le faire son spectacle, répondit Luc à destination d’Alex. Tu te sens agressé par la présence des filles ou quoi ? Vous êtes bien sympas les gars mais vous êtes pas mal lourds aussi.
Théo espéra qu’il voyait toute la gratitude qu’il avait dans ses yeux. Il n’aimait pas se disputer avec ses potes, c’était mieux quand d’autres le faisaient à sa place. Où était Thomas quand il avait besoin de son soutien ? Il y avait un tas informe de mecs devant lui, seul Luc se distinguait et les filles derrière lui. Pourquoi Thomas n’était-il pas à ses côtés quand Alex lui faisait face ? Perdu dans la masse, il le voyait toujours rire aux éclats et enchaîner les blagues, mais jamais prendre position s’il n’était pas seul avec lui, et encore… Théo aimait Thomas, presque comme un frère, il aimait le voir heureux, mais les moments comme celui-ci le remplissaient d’amertume.
— Et toi tu dis rien, lui grogna Clara.
— Je… se tendit-il.
— Laisse, je te connais, soupira-t-elle.
— Dernière fois que j’accepte de venir à un truc avec tes potes, déclara Camélia à côté. Pas un pour rattraper l’autre et tu deviens un lâche complet avec eux. J’aime pas trop ce Théo-là. Viens me voir au lieu de m’inviter à des trucs nuls. Thomas, tu peux me ramener ?
— Je viens avec toi, répondit Clara. Je serai mieux à la maison qu’ici.
Camélia acquiesça et Théo les regarda partir, impuissant.
— T’as définitivement besoin d’aide, sourit Luc. T’es franchement nul là.
— Merci, pile ce que j’avais besoin qu’on me dise là.
— Pas de problème, toujours là pour ça. Et ma proposition tient toujours, ajouta-t-il.
— Je note, soupira Théo. Je vais peut-être y aller aussi.
— Je peux te ramener après si tu veux, c’est sur mon chemin vu que j’habite pas loin de chez Thomas.
— Je croyais que t’étais son voisin au passé, pas que tu l’étais encore.
— Mes grands-parents n’ont jamais déménagé, je suis chez eux jusqu’à la fin de l’été.
Théo acquiesça, consentant au passage à rentrer plus tard. Après tout, Luc était sympa et les filles n’avaient sûrement pas très envie de le voir après qu’il ait échoué à faire ou dire quoi que ce soit, n’est-ce pas ?
Globalement, rien ne s’était passé comme prévu sur cette journée et elle laissa un arrière-goût amer à Théo. Il n’arrivait plus à rire pleinement avec ses potes, sa guitare ne le satisfaisait plus, Clara et Camélia lui en voulaient à nouveau, un mec adorable s’intéressait à lui pile au seul moment où lui était intéressé par quelqu’un d’autre, il était fatigué et ses parents étaient, une fois n’était pas coutume, en déplacement pour des affaires qui avaient lieu sur Paris. C’était le pire dimanche de sa vie, voilà. Bon, peut-être plutôt de son été. C’était suffisant. Il devait profiter de son été à fond avant les études et voilà qu’il ne profitait pas du tout, au contraire. Était-il trop dramatique ? On le lui avait toujours dit.
Prenant son courage à deux mains après avoir bien déprimé dans son coin, il envoya un message à sa cousine pour la voir le mardi et à Clara pour se rejoindre aux ruines le mardi soir. Aucune des deux ne lui répondit. A la place, un pote lui proposa une soirée jeux. Il refusa.
Annotations