10/10/2018

Maman a craqué. On a tous vu la maladie embarquer sa bonne humeur et son envie de vivre. On l’a vue se dégrader au fil des mois. Mais ça ne nous a pas préparé à ce qu’elle parte.

Ça fait une semaine qu’on est passés en mode survie à la maison. Maman a fait ça comme tout bon personnel de santé : elle a récupéré de l’insuline, elle s’est piquée, et elle est partie comme ça. Elle ne nous a laissé qu’un papier avec une écriture saccadée. Je me demande si elle a pleuré.

On avait tous senti qu’elle n’en pouvait plus de simplement survivre, elle n’avait pas envie de devenir un poids pour nous. Elle l’était déjà.

Mais elle ne nous en a même pas parlé, je vois que Papa souffre mais il ne dit rien. Peut-être qu’il essaye encore de me protéger. De quoi ? Il fait comme si je ne voyais rien…

Ça fait 3 ans maintenant que Papa gère tout à la maison et qu’il s’occupe de Maman, pourtant on dirait qu’on n’est plus capable de se gérer maintenant qu’elle n’est plus là. Elle était aussi la seule chose qui nous reliait. Je ne sais pas à quand remonte mon dernier repas. Je n’ai pas faim. Papa non plus.

La psy m’a demandé comment je me sentais par rapport à Maman. J’ai décidé d’arrêter les séances. Ça me demande une énergie que je n’ai pas. Papa n’était pas content mais lui non plus n’a pas la force d’argumenter. J’ai continué d’aller au collège.

On me dit de me concentrer pour le brevet. La directrice a déjà proposé que je puisse redoubler si besoin. Je ne redoublerai pas.

Papa a proposé que j’aille chez Papy et Mamy pendant les vacances. Je ne veux pas le laisser tout seul. Je n’irai pas. Théo ne comprendra pas. Je ne sais pas quand on se reverra, ni si on se reverra. Je veux juste que la douleur passe. Je ne pleure jamais mais j’ai constamment les yeux qui piquent depuis une semaine.

Maman est partie et j’ai l’impression que Papa est parti avec elle. Moi, je suis là sans être là. Christian va faire un discours à l’église tout à l’heure pour l’enterrement. Il m’a proposé de dire quelques mots aussi. J’ai dit non. Maman ne croyait même pas en Dieu. Je n’ai pas envie de lui dire au revoir. Mais ça a déjà été fait il y a des mois de là, quand le diagnostic a été posé et qu’on a su que, plus le temps passerait, moins elle aurait de force et moins elle pourrait s’occuper d’elle-même. Elle ne pouvait rien faire d’autre que rester allongée au lit. Les derniers temps, Papa devait la porter pour qu’elle voit le soleil, allongée dehors, sur les bains de soleil. Quelle vie de merde.

Elle était pâle, elle ressemblait à un vampire. J’aurais préféré garder une meilleure image d’elle. C’est peut-être pour ça qu’elle est partie, pour qu’on ne garde pas une image encore pire. Qui sait à quoi elle aurait ressemblé quelques mois plus tard ? Aucun enfant ne devrait voir sa mère dans cet état… En tout cas, c’est ce que tout le monde nous dit. Les seules personnes au courant de sa maladie passaient leur temps à demander comment ça allait. Je suis contente qu’ils aient arrêté depuis qu’elle est morte. Mais maintenant ils passent leur temps à demander comment, moi, je vais et ça me donne envie de coller des baffes.

Je veux pas avancer. C’était déjà assez difficile avec Maman à mes côtés, je ne veux pas faire l’effort si elle n’est plus là.

Manon vient de m’envoyer un message… Je l’ai effacé. Je ne veux pas lui parler, je veux qu’on me foute la paix. Je vais aller à l’enterrement, Christian vient nous chercher puis il nous redéposera, Papa va aller dormir, je ferai pareil et, après ça, je passerai l’année à travailler pour le brevet, c’est ce que Maman aurait voulu, mais je ne ferai plus d’effort avec les autres. C’est trop d’énergie. Même avec Théo.

Papa m’appelle. C’est l’heure.