Chapitre 6

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 — Il faut que je passe voir un ami en ville, ça te dit de venir ? demanda Luc.

 Théo, allongé en travers de son lit, acquiesça. Ils avaient passé la matinée à comater ensemble. Ou plutôt, Théo comatait en chantonnant (il réfléchissait à des morceaux à faire à la basse), pendant que Luc remplissait des documents pour la fac et organisait ses papiers personnels.

 Luc se retourna vers lui en lui tendant un paquet de feuilles.

 — Tiens, pose ça sur ma table de chevet.

 Théo se redressa pour s’exécuter et Luc avait déjà reporté son attention sur son téléphone dans son autre main.

 — Allez, let’s go.

 — C’est vers où ? Je voulais aller voir un truc en ville.

 — Flemme de faire un détour, si c’est pas sur le chemin c’est mort.

 — J’irai tout seul si ça t’embête, proposa Théo.

 — Tu m’accompagnes pour partir faire un truc tout seul ?

 — Bah non mais…

 — Bon tu viens ? s’impatienta Luc sur le pas de la porte.

 Théo soupira en se levant. Il sortit son portable de sa poche, hanté par le dernier message de Camélia.

 Théo – 10/08 – 16h23

 T’as sûrement raison…

 Camélia – 10/08 – 16h26

 1 je te connais… 2 ce mec est particulier

 Théo – 10/08 – 16h27

 Tu le connais pas madame la voyante

 Camélia – 10/08 – 16h28

 Je l’ai vu l’autre jour je te signale

 Théo – 10/08 – 16h30

 Tu l’as vu sur même pas une journée et vous vous êtes à peine parlé

 — T’es collé à ton téléphone, remarqua Luc.

 — Ma cousine.

 — Tu peux la voir pour lui parler… Là, t’es avec moi, tu lui répondras plus tard.

 Ils montèrent dans la voiture. Théo ne sut pas comment formuler sa pensée alors il se tut mais c’était l’hôpital qui se foutait de la charité.

Camélia – 10/08 – 16h33

 Instinct de meuf et pas besoin de parler longtemps à un égocentrique qui pète plus haut que son cul pour savoir que c’en est un

 Théo – 10/08 – 16h39

 T’y vas fort avec le peu que t’as

 Camélia – 10/08 – 16h46

 Et toi je sais pas ce que tu fous avec lui alors que t’as Clara

 Il ne répondit pas, il n’avait pas la réponse. L’alcool ou la déception ou les deux, probablement.

 Le coup de grâce, ce fut le message de Clara qui s’afficha en notification. Celui-là, il ne l’attendait vraiment pas. Il n’avait pas réessayé de la contacter.

Clara – 10/08 – 16h51

 En tout cas, pas ouf le camp, on est mieux à Montpellier

 Luc se gara à ce moment-là donc il n’ouvrit pas la notification, la laissant pour plus tard.

 — Je vais passer au parc, je te rejoins après ? demanda Théo.

 — C’est nul, autant que tu viennes direct, il peut attendre ton parc.

 — Mais ça te change rien.

 Luc eut l’air ennuyé mais n’insista pas.

 — Fais ce que tu veux.

 Ce n’était pas dit de bon cœur.

 — Tu veux que je vienne avec toi et que je te donne de l’attention, mais toi par contre t’as le droit d’en avoir rien à faire. T’envisages pas d’avenir de couple mais tu te comportes comme si on était un couple établi et que je te devais des choses… Tu sais quoi ? Tu m’emmerdes. Je me débrouillerai pour rentrer, salut.

 Théo voulut partir, pour un bon effet dramatique.

 Mais Luc lui retint le bras.

 — Désolé, je fais pas exprès, il faut me le dire tu sais.

 — Comme si ça allait changer quelque chose…

 — Mais oui !

 Théo soupira et consentit à le suivre.

 — Je suis désolé bébé, dit Luc en passant un bras autour de ses épaules. Parfois, je ne me rends pas compte des choses. Je fais des efforts.

 Théo hocha la tête. Son portable vibra à nouveau dans sa poche mais il ne le sortit pas.

 Ils étaient presque à destination quand son portable vibra 4 à 5 fois d’affilée, passant difficilement inaperçu.

 Luc claqua de la langue.

 — Monsieur est sollicité.

 Le ton n’était pas avenant et Théo se tendit. Il sortit son portable pour jeter un œil aux notifications. C’était Clara.

Clara – 10/08 – 17h14

 Je rentre samedi matin

 Clara – 10/08 – 17h14

 Ruines ?

 Clara – 10/08 – 17h15

 Ah non, tu travailles.

 Clara – 10/08 – 17h16

 Dis-moi quand tu termines et je viendrais te chercher alors

 Clara – 10/08 – 17h16

 Le calme des ruines ça me manque

 — C’est qui ?

 — Une pote.

 — Mon cul oui, pourquoi tu souris comme ça alors ?

 Théo releva doucement le regard vers Luc. Il sentit une colère peu familière remonter du fond de ses entrailles, s’envelopper autour de ses organes, imposer une pensée : je ne le sens pas et je ne sais vraiment pas ce que je fais avec lui, il est beau mais c’est tout ce qu’il a.

 — Tu sais quoi, Luc ? Tu m’emmerdes fort, je sais pas pourquoi on est ensemble et je pense qu’on va nulle part, donc autant arrêter là. Tu cherches des trucs que je ne peux pas te donner et je cherche des trucs que tu ne peux pas me donner. Amuse-toi bien chez ton pote, ça tombe bien on y est, et moi je vais à mon parc, salut.

 — Mais qu’est-ce qu’il t’arrive ? Sérieux, c’est qui cette pote qui t’envoie des messages qui te retournent le cerveau comme ça ? Ça va très bien entre nous, non ?

 — Ils m’ont surtout remis le cerveau à l’endroit ! Et c’est la meuf que j’aime. Allez, tschüss !

 Finalement, il y eut droit à son départ dramatique. Luc resta sur place, abasourdi.

 — What the fuck, l’entendit-il répondre.

 Théo s’empressa de répondre à Clara en courant presque jusqu’au parc.

Théo – 10/08 – 17h20

 Même avec moi c’est calme les ruines maintenant ?

 Théo – 10/08 – 17h20

 Evidemment, c’est oui !

 « Ça me manque », est-ce que ça voulait dire « tu me manques » ?

***

 Théo avait l’impression que ça faisait une éternité qu’il n’avait pas vu Thomas. Ça ne faisait qu’une semaine. C’était quand même plus que la durée de son premier couple. Il était dégoûté.

 C’était mercredi soir et Thomas avait rappliqué aussitôt qu’il avait reçu le message de Théo lui demandant de venir passer la soirée et la nuit chez lui. C’était agréable d’avoir un pote toujours motivé à venir.

 — Faut qu’on discute de plein de trucs, l’accueillit Théo.

 — Ouhla, déjà bonjour mon gars. En tout cas, t’as l’air plus en forme que l’autre jour, c’est l’effet Luc ?

 Théo grimaça.

 — M’en parle pas.

 — Ah merde, ça va pas ? Quand je l’ai vu l’autre soir on aurait dit que tout allait bien.

 — Pour lui peut-être. Il avait trouvé un mec bien gentil…

Je suis en train de remettre toute la faute sur lui, remarqua-t-il, alors que je ne voulais déjà pas que ça existe à la base.

 Thomas s’installa dans le canapé du salon. Il était ici chez lui.

 — Raconte-moi tout.

 — Luc est intéressant mais égocentrique au possible, j’ai rompu avec lui hier.

 — Attends, mec, Luc est égocentrique mais Clara ne l’est pas pour toi ?

 — Clara, je l’aime.

 L’information monta à leurs deux cerveaux et Théo rougit alors que Thomas riait.

 — Ok, je note. Et Luc a fait quoi pour que t’oses rompre ?

 Théo soupira et lui rapporta leur sortie.

 — Je vois… Tu le vis comment ?

 — Pas très bien. Je m’en veux en fait d’être sorti avec lui alors que… ben Clara quoi…

 — Mec, Clara se gêne pas pour coucher avec des mecs pendant ce temps.

 — On n’est pas en couple, elle fait ce qu’elle veut, contra Théo. C’est moi que ça dérange d’être sorti avec Luc. J’ai trahi mes propres sentiments.

 — Tu te prends trop la tête.

 — Honnêtement, j’en ai marre qu’on me dise ça, grogna Théo.

 Thomas lui offrit un sourire désolé et il reprit :

 — Clara a fini par répondre à mes messages. Et Camélia aussi.

 — Awn, il a retrouvé les femmes de sa vie, sourit Thomas.

 Théo fit mine de lui mettre une claque derrière la tête mais il était trop content de retrouver son meilleur ami et de rattraper ensemble ce qu’il s’était passé en une semaine.

 — Aussi, j’ai été pris à la fac de musicologie de Lyon ! Et je peux dire merci à Clara pour ça.

 — Mais tu avais pas demandé ça pourtant ?

 — Ouais mais Clara m’a remis dans le droit chemin si on peut dire ça…

 — Du coup tu seras dans le campus d’à côté ? Mec…

 — Tu penses à ce que je pense ? demanda Théo, les yeux pétillants.

 — Mec… Oh ça va être une dinguerie, la coloc des T, oh je suis trop content !

 — Tout ça grâce au papy de Clara qui a des contacts.

 — Ouh un papy avec le bras long, j’aime ça, plaisanta Thomas avec un mouvement de sourcils suggestif.

 — Bon j’ai toujours pas validé par contre, ni refusé pour le droit.

 — Et t’attends quoi ? Qu’on le fasse à ta place ? Bouge pas, je vais chercher ton ordi, tu vas faire ça tout de suite, je t’ai à l’œil.

 Théo sourit et regarda Thomas s’élancer vers les escaliers. Il ne pouvait pas se plaindre de ses potes quand il avait Thomas. La coloc des T… Il avait hâte.

 Thomas réapparut, son PC dans les mains.

 — T’en as parlé à tes parents ?

 — Ouais… Ils ont rien dit.

 — Tant mieux ?

 Théo haussa les épaules et récupéra le PC.

 — T’avais commencé à chercher un appart’ ?

 — J’ai de la famille sur Lyon qui est sur le coup. Je leur envoie un message pour leur dire que je cherche une coloc.

 Une fois que Théo eut refusé sa place à la fac de droit et accepté celle en musicologie, c’est avec un grand sourire jusqu’aux oreilles qu’ils jouèrent à la Switch toute la soirée.

 Toute la soirée mais pas trop longtemps car…

 — T’es prêt pour la course de vendredi ? demanda Thomas en éteignant la console.

 — Hum… J’ai posé une journée de congé, si c’est ce que tu demandes.

 — Théo… menaça Thomas. La coach va pas être contente.

 — Il fait trop chaud pour s’entraîner aussi…

 — Comme si ça te dérangeait… Avoue que t’as trop la tête ailleurs avec Clara.

 Théo ne répondit pas mais la rougeur de ses joues le fit pour lui.

***

 Alors qu’il attendait Thomas qui devait l’emmener au lieu de la course nocturne, Théo ouvrit une énième fois la conversation qu’il avait avec Clara.

 Théo – 12/08 – 20h02

 Toujours ok pour les ruines demain ? Je finis à 19h

 Clara – 12/08 – 20h05

 Oui, toujours bon

 Clara – 12/08 – 20h06

 Tu veux que je vienne te chercher ?

 Théo – 12/08 – 20h06

 Si ça te va

 Clara – 12/08 – 20h07

 Ok, je serai là

 Théo – 12/08 – 20h07

 Cooool, à demain ??

***

 Théo trépignait d’impatience. Ça aurait pu être son anniversaire qu’il n’aurait pas été si excité. Est-ce que c’était normal de ressentir ça ?

 Il épia son portable toute la journée, au cas où. On lui proposa une soirée le soir-même qu’il refusa.

 Enfin, à 19 heures pétantes, il reçut un message de Clara.

Clara – 13/08 – 19h00

 Je suis devant l’épicerie, comme d’hab

 Il bondit hors du siège de la caisse, appela son patron dans l’arrière-boutique et se précipita dehors dès qu’il eut son aval.

 Aussitôt qu’il ouvrit la porte, Clara, contre le mur de l’épicerie, tourna la tête et croisa son regard. Les lunettes de soleil sur la tête, maintenant ses cheveux qu’elle avait laissés libres, son chapeau à la main, ses taches de rousseur sur le nez, une combishort parfaitement ajustée, elle était belle. Mais un peu pâle, les yeux un peu plus ternes.

 — On y va ? demanda-t-elle.

 Théo sortit de sa contemplation en clignant des yeux.

 — Yep. Alors, ce camp ?

 — Trop vieille pour ces conneries.

 Elle se décolla du mur, mis ses lunettes et son chapeau et se dirigea en direction de sa voiture.

 — J’imagine, vous avez fait quoi ?

 — Des randos, des jeux, des soirées autour du feu.

 — Dit comme ça, ça a l’air super cool.

 — Toi, t’aurais aimé. 100%. Moi, ça m’a saoulée.

 — Donc c’était objectivement bien mais t’es une ermite, c’est ça ? demanda-t-il en rigolant.

 Ils entrèrent dans la voiture.

 — C’est à peu près ça, dit-elle en démarrant le moteur. Mieux vaut être seul que mal accompagné, n’est-ce pas.

 Théo se racla la gorge.

 — Quoi ? demanda-t-elle.

 — Je… J’suis d’accord avec ça.

 — Toi qui aimes trop les gens, tu es d’accord avec le fait d’être seul ?

 A force, elle connaissait la route par cœur, et lui aussi.

 — Disons que… Bon, je suis sorti avec Luc pendant une semaine.

 Elle hocha la tête sans que rien ne transparaisse sur son visage. Pas de « je te l’avais dit », ni de « attends, quoi ? ». Théo commençait à en avoir marre que rien de ce qu’il disait ne fasse réagir ses proches.

 — Même pas une semaine d’ailleurs. Et je suis mieux seul qu’avec lui. Tout comme je crois que je suis mieux seul qu’avec mes potes…

 — Qu’avec certains de tes potes, corrigea-t-elle.

 — Vrai. Je vais faire une hiérarchie des potes, plaisanta-t-il. Je sais pas si je mets Thomas ou toi en premier, fit-il mine de réfléchir.

 — Fais pas genre, on sait tous que Thomas est ton meilleur pote et que tu me considères pas que comme une pote.

 C’était direct et il ne sut pas quoi répondre sur le moment. Une voiture passa. Deux. Le moment était passé.

 — Y avait pas beaucoup de personnes que j’ai trouvé intéressantes au camp, reprit Clara. Et puis, ça tournait toujours autour des mêmes sujets.

 — Lesquels ?

 — L’alcool, le sexe, le lycée.

 — En même temps, c’est ce qui nous préoccupe le plus à notre âge, non ?

 — Mmh.

 — Des lycéens, ça parle forcément du lycée, de sexe et d’alcool, parce que c’est l’âge et que c’est fun.

 — Remember ta soirée avec Camélia ? attaqua Clara.

 — Ouais…

 Il ne précisa pas qu’il pouvait en dire autant de la soirée avec Luc.

 — Mais en moindre mesure et en environnement safe, l’alcool c’est cool.

 Clara claqua de la langue.

 — C’est superficiel.

 — L’alcool ?

 — Et le sexe. De tout façon, l’alcool, c’est juste social. C’est tout sauf un besoin.

 — Tu bois pas, toi ?

 — Peu.

 — Et tu couches pas avec des gens ?

 Elle ne répondit pas tout de suite. Il eut le temps de l’observer regarder la route, sourcils froncés, la lèvre inférieure maltraitée par ses dents.

 — Je plaide coupable.

 — Pourquoi tu le fais ? demanda-t-il.

 C’était elle qui posait les questions d’habitude, ça ne faisait pas trop de mal de changer. Il avait une ouverture, il aurait été bête de ne pas en profiter.

 Elle haussa les épaules.

 — Pour me sentir exister, je crois.

 Il se contenta de cette réponse, médita dessus. Était-il sorti avec Luc pour se sentir exister ?

 Ils arrivèrent au parking en bas des ruines en silence, seule la radio grésillait en arrière-plan. Clara sortit du coffre un sac glacière.

 — Je t’ai fait un sandwich de meuf, sourit-elle.

 — Trop cool, je vais voir ce que ça fait d’être une meuf.

 — Tu vas kiffer. Dommage qu’en tant que meuf on kiffe moins.

 Ils rirent ensemble et se dirigèrent vers le chemin qui montait aux ruines.

 Trente minutes et une chute de Théo plus tard, ils étaient en haut, heureux. Enfin, Théo ne savait pas si Clara l’était, heureuse, mais lui l’était définitivement. C’était ça qu’il voulait pour son été. C’était ça qu’il voulait pour toutes ses vacances. Pour sa vie même. Parler de l’avenir avec Thomas, rire avec Clara, sortir avec ses amis, passer du temps avec Camélia. C’était tout ce dont il avait besoin finalement. Presque.

 Voilà trois ans qu’il venait au château de Viviourès, trois ans qu’il y passait des soirées seul, trois ans qu’il admirait les ruines qui rendaient si bien avec la lumière du soleil couchant. Mais maintenant que Clara était là avec lui, il en oubliait le château et n’admirait plus qu’elle, sa peau et ses cheveux embellis par les rayons dorés. Et son rire si rare était la plus belle des mélodies. Il aurait voulu en faire une chanson.

***

 Le lendemain, Théo se fit déposer par son père chez les grands-parents de Clara. Ils avaient prévu d’aller cramer au soleil. Il pensait que ça ferait du bien à Clara, elle était si pâle…

 — Tu mangeras à la maison ce soir, fils ? demanda le papy.

 Théo acquiesça, heureux.

 — Amusez-vous bien, les enfants, sourit la mamie depuis le pas de la porte.

 Théo leur fit coucou de la main tandis que Clara manœuvrait pour sortir de la cour.

 Ils retrouvèrent le spot habituel au Petit Travers. Cet été, Théo n’était pas allé aussi souvent à la plage que d’habitude.

 — On n’a même pas fait de pique-nique à la plage. C’est un peu la base de l’été.

 — Quel échec, se moqua Clara.

 — M’en parle pas, fit-il en mimant de défaillir.

 Clara se mit en maillot et prit le temps de mettre de la crème, rappelant à Théo d’en mettre au passage.

 — Regarde cette peau d’homme de Cro-Magnon, répondit-il. J’ai pas besoin de crème moi.

 Il se frappa le torse en se redressant.

 — Homme fort choppe cancer, c’est ça ?

 — Ok, vas-y, passe.

 Elle lui jeta la crème, même s’ils étaient à moins d’un mètre l’un de l’autre et il fit semblant d’être outré. Elle s’essuya les mains sur sa serviette et attrapa son portable pour le prendre en photo en train de mettre sa crème. Il lui tira la langue.

Qu’est-ce qu’elle est belle, pensa-t-il en la regardant marcher jusqu’à la mer. Il allait la suivre quand son portable vibra. Il le récupéra pour trouver des messages de Luc qui lui demandait s’ils pouvaient se voir. Théo soupira. Il n’avait pas prévu que le bougre insisterait, ça aurait été plus simple qu’il disparaisse tout court de sa vie. Clara l’appela de loin, elle était déjà à moitié dans l’eau. Il lui fit signe, répondit rapidement à Luc que c’était terminé et qu’il n'avait pas prévu de rester son pote, et courut rejoindre Clara.

 A leur retour aux serviettes, Théo sortit le paquet de petits beurres et Clara la tablette de chocolat qui ne tarderait pas à fondre.

 Ils passèrent la journée à alterner baignade, bronzage, crème à remettre, grignotage, discussions tantôt sérieuses, tantôt stupides. Une belle journée d’été à suer au soleil pour respirer une fois dans la mer, à courir après les vagues. Le bruit de la mer, des mouettes, des enfants qui crient, des ballons qui atterrissent dans le sable… Et Clara. Théo était si heureux, il avait l’impression que son cœur allait exploser tellement il était plein.

 Plusieurs fois, leurs mains se frôlèrent et son corps tout entier y réagissait. Il était foutu.

 Quand l’air commença à se rafraîchir et le soleil à descendre, ils retournèrent à la voiture et Clara les ramena chez ses grands-parents. Théo accueillit la douche avec soulagement pour se débarrasser du sable qui lui collait à la peau. Quand ils eurent ensuite le ventre bien plein, Théo ne voulut pas rentrer immédiatement et ils se posèrent dans la chambre de Clara. Il y était rarement allé, ils passaient souvent leur temps dans le salon. Sa chambre n’avait pas changé, sa valise traînait dans un coin. Tout donnait l’impression qu’elle n'était là que de passage, pour une semaine, pas plus. C’était étrange.

 — T’as un logement pour Nantes ? demanda Théo.

 Ils s’installèrent en vrac sur le lit.

 — J’avais trouvé un truc en juin déjà, dès que j’ai su que j’étais prise où je voulais. Comme je m’y suis pris tôt, j’ai trouvé un petit studio sympa. Et toi ?

 — Je cherche une coloc avec Thomas, sa famille qui est dans le coin a trouvé des pistes.

 — Cool, t’as abandonné l’idée stupide du droit donc.

 — Moui…

 — Sois plus convaincu, s’te plaît.

 Il sourit.

 — Merci.

 — Pour quoi ?

 — Pour la fac, et pour être toi.

 — T’es chelou.

 Il tourna son visage vers elle, ils étaient proches. Ses grands yeux bleus l’observaient sans ciller.

 — Tu penses quoi des relations à distance ? demanda-t-il presque en chuchotant.

 Elle fronça les sourcils, ses yeux cherchant d’où il sortait cette question.

 — Je sais pas trop, c’est compliqué. C’est pas pour tout le monde.

 — C’est pour toi ?

 — L’amour n’est pas pour moi actuellement.

 — Et plus tard, il le sera ?

 — Peut-être. Je suis pas voyante.

 — Et s’il y en a pour toi, alors il est pour toi, non ?

 — Théo, ça devient compliqué à suivre, pouffa-t-elle.

 Il sourit, suivant les traits de son visage, ses lèvres étirées et ses yeux plissés.

 — Est-ce que je peux t’embrasser ?

 — Ça correspond pas avec ta volonté de faire les choses bien et de construire quelque chose long terme, fit-elle remarquer.

 — J’ai déjà raté ça en sortant avec Luc, soupira-t-il. Et tu vaux le coup que je bafoue mes principes.

 Clara secoua la tête, l’air de dire « n’importe quoi ». Pourtant, elle se rapprocha. Ils n’étaient plus qu’à quelques centimètres l’un de l’autre. Théo sentait son sang pulser jusque dans ses oreilles. Elle posa sa main sur sa joue fraîchement rasée.

 — Ok.

 — Ok ?

 — Ok.

 Il s’était attendu à plus de résistance. La distance entre eux deux se réduisit et il déposa ses lèvres sur les siennes. Elles avaient le goût des petits beurres qu’ils avaient mangé à la plage, mêlé au sel marin. Clara avait le goût de l’été et menait parfaitement la danse.

***

 Théo avait tout donné. C’était férié, il avait sa journée et il était bien question d’en profiter. Après être rentré de chez Clara la veille, il avait planché sur la journée à venir jusqu’à s’endormir de fatigue. Il allait offrir à Clara la journée de sa vie. Il avait tout donné sur la préparation et il allait tout donner sur cette journée. Pour Clara. Et pour lui-même, pour rattraper toutes ces premières fois qui ne s’étaient pas faites selon sa définition de « bien ».

 Théo – 15/08 – 06h34

 Réveillée ? Ready to go ? C’est ok pour toi de conduire ?

 Clara – 15/08 – 06h43

 Oui, j’arrive d’ici moins d’1h

 Oui, son plan comportait une faille : Clara devait conduire. Ils se rendaient à Avignon. Clara n’y était jamais allée et Théo adorait cette ville. Ils allaient visiter, faire des librairies, il avait réservé un bon restaurant pour le midi, le musée l’après-midi, ça allait être une bête de journée. Normalement. Le problème, dans tous les plans, c’était ce « normalement ».

 Il accueillit Clara chez lui à 8 heures. Ses parents venaient de se réveiller et leur souhaitèrent une bonne journée. Chapeau sur la tête, clés en main, Clara attendait que Théo finisse de mettre ses chaussures.

 Lorsqu’il se releva et rencontra ses yeux, il demanda :

 — Action ou vérité ?

 Elle haussa un sourcil interrogateur et il lui fit signe de répondre.

 — Vérité…

 — T’as dormi combien de temps cette nuit ?

 Elle détourna le regard. De profil, ses cernes étaient davantage marqués. Comment ne les avait-il pas remarqués avant ?

 — Hum, action ? tenta-t-elle.

 — Couche-toi avant 21h30 pendant une semaine à partir de demain.

 — Le problème, c’est pas de me coucher mais de dormir, répondit-elle, cassante.

 — Et si je m’incruste, ça peut aider ? demanda-t-il avec un mouvement de sourcils suggestif.

 Elle sourit en secouant la tête et il ne sut pas si elle ne le prenait pas au sérieux ou si c’était un oui déguisé. Dans le doute, il préféra ne pas insister et ouvrit la porte d’entrée.

 — Que la journée commence !

 Le sourire prenant toute la place de son visage, il s’installa sur le siège passager et prit aussitôt le contrôle de la radio, lançant Stayin’ Alive des Bee Gees.

 Ça ne suffit pas à éclairer le visage de Clara. Elle paraissait à moitié présente mais Théo s’en fit la promesse : avant la fin de la journée, elle rirait avec lui.

 Il sortit de son sac sa boîte remplie de pancakes. Ils étaient tièdes. Il s’était levé à 6 heures pour avoir le temps de les faire et il en était fier. Ils étaient beaux… et bons, il n’avait pas pu résister à en manger. Se lever aussi tôt lui avait donné faim.

 — Pancakes ? proposa-t-il à Clara en lui en tendant un.

 — Ça manque de topping, fit-elle remarquer.

 — Tu conduis, j’ai fait au mieux. Mais j’ai amené, tatata roulement de tambours, annonça-t-il en farfouillant dans son sac, du chocolat !

 Il leva le bras aussi haut que lui permettait la petite voiture, victorieux, la tablette à la main.

 — Pas mal, lui accorda-t-elle avec un demi sourire.

 Théo occupa le trajet en racontant des bêtises et en chantant beaucoup trop fort. Il s’inquiéta d’ennuyer Clara mais, plus il faisait l’imbécile, plus elle souriait, alors il continua. Il n’en pouvait plus de ses sourcils constamment froncés, elle avait besoin de profiter un peu plus.

 Une fois garés au grand parking d’Avignon, ils n’eurent même pas à attendre la navette qui les amènerait en ville : elle était déjà là. Théo y vit le signe que tout allait bien se passer.

 Une fois dans la ville, Théo lui fit arpenter les rues, passant dans les ruelles pour éviter les troupeaux de touristes qui n’avaient visiblement pas de temps à perdre. Ils firent le pont, le tour du grand parc au-dessus du Musée des Papes et quelques boutiques de souvenirs. Clara prenait des photos lorsqu’il se retournait vers elle et ça voulait dire que tout allait bien, alors tout allait bien. Il aimait l’ambiance de cette ville, ses bâtiments, ses boutiques de souvenirs qui sentaient si bon et le parfum des vacances dans l’air.

 Théo avait dressé la liste des librairies de la ville et ils les firent toutes dans l’heure qui précédait leur réservation au restaurant. Entrer dans les boutiques était un soulagement temporaire pour leurs corps souffrant de la chaleur. Clara passait la main sur les dos des livres pendant que Théo inspectait les décorations et l’ambiance de chaque librairie, flânant plutôt du côté des mangas. Voilà bien longtemps qu’il n’avait pas lu. Il y avait toujours trop de films à regarder pour lire.

 Puis, le restaurant et ses bons sushis. Ça lui fit plaisir de voir Clara avoir de l’appétit. A part les petits beurres, elle alternait les périodes où elle mangeait très peu et celles où tout semblait aller bien.

 Elle ne parlait pas beaucoup ce jour-ci mais Théo s’en contenta, parce qu’il avait le droit de se pencher pour l’embrasser, quand elle le laissait faire. Et ça, ça valait tout l’or du monde.

 L’après-midi, il avait prévu la visite du Musée des Papes. Une dinguerie, lui avait-on dit. Il ne saurait jamais le dire, puisqu’il passa la visite à admirer Clara qui alternait entre concentration et moments d’absence. Il ne s’en inquiéta pas.

 A la fin de la visite, il proposa d’acheter des glaces et de se poser au parc. Clara le laissa gérer, un peu en retrait. Théo sentit son portable vibrer dans sa poche et le consulta dès qu’ils eurent leurs glaces en main.

Alex – 15/08 – 15h58

 Soirée ce soir, ça te dit mec ?

 Alex – 15/08 – 15h59

 Après le feu d’artifice qui sera à ma fenêtre, best spot

 Théo – 15/08 – 16h04

 Déso, je suis de sortie mais profitez bien ! ??

 Alex – 15/08 – 16h04

 Je vois

 Alex – 15/08 – 16h05

 Toujours de sortie sans nous

 Alex – 15/08 – 16h05

 C’est qui cette fois ? Luc ou Clara ?

 Théo – 15/08 – 16h06

 Tu m’en veux tant que ça ?

 Alex – 15/08 – 16h07

 Les potes avant les putes mec

 Théo – 15/08 – 16h07

 J’équilibre mon temps

 Alex – 15/08 – 16h08

 Mon cul ouais

 Alex – 15/08 – 16h08

 La balance penche fais gaffe

 Alex – 15/08 – 16h08

 Mais trkl fais ta vie

 Alex – 15/08 – 16h09

 On voit juste les vrais amis

 Théo – 15/08 – 16h10

 Mec tu peux pas me dire ça à moi…

 Théo – 15h12 – 16h10

 Ou alors revois ta définition d’amitié

 Alex – 15/08 – 16h11

 Nan mais trkl profite bien mec

 Théo – 15/08 – 16h11

 Alex… C’est pas cool

 Son message resta en vue.

 — J’y crois pas… murmura-t-il.

 Sans réaction de la part de Clara, il se tourna vers elle. Elle regardait les maisons autour, l’air absent, peu perturbée par les états d’âme de Théo.

 — Allô la lune, ici la Terre ?

 — Tu m’as parlée ? demanda-t-elle en revenant à elle.

 — Mmh… Pas spécialement, juste t’avais l’air ailleurs.

 — Ah, déso.

 Il n’insista pas.

 Ils ne tardèrent pas à rentrer, pour avoir le temps de passer à l’Esplanade Charles de Gaulle de Montpellier, où devait se tenir un campement médiéval. Une fois que ce serait terminé, ils iraient voir le feu d’artifice de Palavas. C’était un plan qui impliquait de pas mal bouger mais ça valait le coup.

 Clara semblait bougonne sur le trajet du retour et, peu importe l’animation qu’apportait Théo, elle ne déridait pas. Il finit par se calmer, adaptant la musique pour une ambiance plus calme. Elle en avait peut-être juste marre de son agitation.

 — Tu veux de l’eau ? demanda-t-il.

 Ils étaient partis depuis quasiment une heure et il faisait toujours aussi chaud.

 Clara secoua la tête.

 — Tu bois pas beaucoup en fait.

 — Pas soif.

 — Ça va la conduite ? Pas trop fatiguée ?

 — Ça va.

 Théo soupira. Il récupéra son portable : pas de nouvelles de ses autres potes mais des Snaps de Thomas du début de soirée.

Thomas – 15/08 – 18h36

 Dommage que tu sois pas là, tu vas rater une bête de soirée, Zoé s’est donnée pour l’orga cette année

 Thomas – 15/08 – 18h37

 Bon courage avec Clara, je crois en toi

 Ça le fit sourire. Il n’était pas sûr de croire en lui en voyant Clara aussi distante.

 — Tu me le dirais si je t’emmerdais trop, hein ? lui demanda-t-il.

 Elle lui lança un regard en biais.

 — Bah oui, répondit-elle en détournant le regard.

 — Contente de la journée du coup ?

 Elle acquiesça.

 — Sûre ?

 Son claquement de langue le dissuada d’insister. Il ne savait jamais comment se comporter avec elle dans ces moments-là. Tout était simple et roulait comme sur des roulettes, et d’un coup elle s’éloignait et il ne savait pas quoi y faire.

 Il s’appuya contre le repose-tête et la laissa conduire en silence.

 L’animation médiévale de Montpellier n’était pas si intéressante que ça. Ou alors c’était de voir Clara s’assombrir qui impactait le moral de Théo. Elle regardait sans conviction les animations et il finit par proposer d’aller plus tôt à Palavas pour trouver une bonne gâche.

 La morosité lui semblait plus supportable auprès de la mer. Ou peut-être était-ce dû à l’espace et au ciel qui s’assombrissait, gommant les contrastes.

 Dans un élan de courage, il prit la main de Clara dans la sienne, s’attendant presque à ce qu’elle le repousse, mais ce ne fut pas le cas.

 Il se pencha pour lui embrasser la joue, un bisou papillon. Son estomac se souleva quand il vit un sourire étirer ses lèvres.

 Pourtant, quand ils se séparèrent ce soir-là, Clara ne souriait plus. Elle semblait oublier sa présence. Son regard était lointain et il eut besoin d’agiter une main devant ses yeux pour réussir à lui dire au revoir.

 Objectivement, ils avaient passé une assez bonne journée jusqu’à 18 heures, mais il ne restait à Théo qu’un goût de déception collé au palais.

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