6. Informations
Je n’ai pas une minute à perdre. Si cracher le morceau m’a permis d’évacuer ce poids qui m’écrasait, l’impatience a pris le relai pour annihiler ma tranquillité.
À peine enfermé dans mon bureau, j’apostrophe Dannie, ma secrétaire, en quête urgente d’un carnet où détailler mes projets.
— Bonjour Monsieur Sullivan, babille la jolie donzelle blonde. Je suis heureuse de vous revoir ici.
Un sourire rouge vermeil illumine ses lèvres pulpeuses et ses dents d’un blanc éclatant. Alléchant, mais… je n’ai pas le temps. Je la congédie d’un revers de main et lui rappelle ma requête d’un ton pressé, sans oublier d’admirer le balancement de ses hanches quand elle se détourne et s’apprête à sortir.
Pensif, j’examine sans le voir le stylo de feu mon père, un MONTBLANC RAMSES II, LE GRAND en laque bleue lapis-lazuli et or bicolore. L’origine de notre casino remonte à notre grand-père qui le fit construire avec ses gondoles pour éblouir notre grand-mère. J’ôte le capuchon et me penche vers la première page du calepin. Par où commencer ? Je décide d’écrire tout d’abord les idées qui me viennent. Je ferai le tri plus tard, quand mon euphorie sera un peu retombée.
Je me prends alors l’évidence en pleine face, Carly et moi ne nous connaissons pas. Elle a deux enfants dont le père est mort. Les pauvres, je les plains, mais ils ont encore leur mère, eux. Bref, elle vit en Guadeloupe et s’occupe de ses gîtes. Elle a aussi deux amies. Et Mickaël ! Je l’avais oublié, lui. Serais-je vraiment au courant s'il entretenait une relation suivie avec Carly ? Je m’empare de mon téléphone et compose le numéro de John :
— Assure-toi auprès de Sybille que sa copine et Mickey ne sont pas en train de vivre une idylle.
— Tu es sérieux, Lukas ? Sous quel prétexte je lui demanderais ça ? s’écrie mon fry.
Je vais bientôt avoir rongé tous mes ongles, ça en devient même douloureux. Je dois savoir. Il est indispensable que j’en apprenne un peu plus si je veux lui faire plaisir :
— Si elle a un autre type dans sa vie, elle refusera. Il me faut plus d’infos pour m’organiser.
— Je vais voir ce que je peux faire, accepte-t-il, mais je n’appellerai pas Sybille pour ça ! Qu’est-ce que tu veux découvrir?
— Tout, le nombre de ses enfants, leur âge et les activités qu’ils pratiquent, ce qu’ils mangent, les films qu’ils regardent.
— Engage un détective privé, mec, tu gagneras ton temps, poursuit mon interlocuteur, exaspéré.
— Justement, non. Ce sera trop long, et j’en ai besoin pour hier. Je veux connaitre jusqu’à la couleur de ses draps ! j’ajoute avant de raccrocher sans lui offrir l’occasion de répliquer.
L’attente est longue, interminable. J’ouvre un dossier. Trop compliqué, je le referme. La pochette bleue attire mon regard. Je consulte la liasse de feuilles qui la remplie. Trop épais. Mes yeux parcourent la liste de mails sans qu’aucun ne provoque mon intérêt.
L’intégralité de mes ongles a succombé à l’attaque de mes dents, ne reste plus que la peau de mes doigts à ronger. J’allume une cigarette et me lève pour arpenter la pièce d’un pas vif avant de me diriger vers le bar, à l’angle face à la baie vitrée. Merde ! John l’a fait vider aussi ! Il n’y a laissé que les bouteilles d’eau et sodas hyper sucrés.
Agacé, je retourne à mon bureau et appuie sur un bouton de l’interphone. La voix mielleuse de Dannie répond aussitôt :
— Monsieur Sullivan ?
— Appeler le room-service pour moi et demander leur de monter une bouteille de Scotch.
— Monsieur Sullivan… hésite la femme.
J’aboie, déjà au courant de la suite :
— Quoi ???
— Monsieur Lathdock a été catégorique. Aucun alcool ne doit franchir ces portes.
— Sinon quoi ??? je vocifère en relâchant la touche de l’appareil pour me précipiter sur la porte de séparation.
Je l’ouvre d’un coup sec avant de me jeter sur sa table de travail et de m’y appuyer, mains à plat.
— Je suis votre patron et je vous laisse le choix. Soit vous faites livrer cette bouteille, soit vous êtes virée. Suis-je assez clair ???
— Oui, Monsieur Sullivan.
Partiellement apaisé, j’abandonne la secrétaire déconfite et reviens sur mes pas, devant les vitres où j’ai l’impression de dominer le monde. D’habitude, car je ne vois même pas la vue extraordinaire qui s’étale devant moi.
John porte un coup sur le panneau de bois à l’entrée tandis que son pass déverrouille l’accès à mon espace de travail.
— J’ai une solution à ton problème, commence-t-il. Mais je vais avoir besoin de ton téléphone.
Le serveur choisit ce moment pour se présenter, la bouteille de Scotch en évidence sur son plateau en argent.
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