11. Carly
Je demande à Sybille de me conduire chez Carly, mais bien sûr, elle refuse. Lèvres pincées, sourcils froncés, elle reluque l’écran avec insistance.
— Donne-moi son numéro, Sybille, je dois lui parler.
— Elle a été claire, elle a coupé court à toute discussion, dit-elle, les traits tirés, sévère.
La fumée va bientôt sortir de son crâne tant elle semble réfléchir à toute vitesse.
— Rappelle-la et passe-la-moi, s’il te plait.
Elle pèse le pour et le contre.
— Ma poule, l’interpelle John en saisissant sa main, c’est à lui de réparer tout ça, il est venu pour ça.
— Toi, ferme-la, articule l’ourse polaire, immobile, les yeux rivés à ceux de mon brother. Tu en as déjà assez fait et je n’ai pas encore digéré ton absence de franchise.
Elle reprend son portable et accepte enfin de rappeler son amie. Les salutations des jeunes qui repartent chez eux recouvrent la dizaine de tonalité qui griffe mon cœur.
— Mes gîtes sont full, répond Carly sans préambule, d’une voix ferme.
— Il veut te parler, explique sa copine, alors je propose…
— Rien du tout ! Je n’ai rien à lui dire !
La poitrine de Sybille gonfle quand elle hausse la voix et se penche au dessus de l’appareil déposé au centre de la table :
— Ça suffit ! Tu n’as rien à lui dire, mais il est là. Pour toi. Moi, je n’ai pas de lit pour lui, Léandra non plus. Tu vas donc venir le chercher, parce qu’au pire des cas, tu peux l’installer sur ton canapé, assez confortable pour y passer une nuit et que rien ne t’obligera à lui parler.
— Tu as fait l’école du cirque, Sybille ? Il n’a qu’à se payer l’hôtel !
— Tu rappliques, ou je te le ramène ? gronde encore l’ourse, revenue en force.
John sourit de toutes ses dents de son air sadique tandis que je suis pris pour le dernier des crétins par la femme qui hante mes nuits et sa copine. Je secoue la tête en retenant un fou rire nerveux. Qu’est-ce que je fais là ? Ma notoriété fait de moi un homme convoité, un beau parti, et je suis là, à espérer que cette dame de la classe moyenne veuille bien me parler.
— Tu mets tes enfants dans ta voiture et vous venez manger, poursuit Sybille, avec empressement. Ne discute pas, ils ont cours demain, les miens aussi. Il n’en tient qu’à toi que ça ne s’éternise pas.
Ma chaise racle bruyamment le carrelage quand je me lève, détournant l’attention de Sybille. Je saisis l’appareil, coupe le son et m’éloigne, indifférent à sa propriétaire qui s’est redressée et me foudroie du regard.
— Ne raccroche pas, s’il te plait, imploré-je. J’ai beaucoup réfléchi durant ces derniers mois et je te dois des excuses. J’espère avoir l’occasion de t’expliquer mon comportement. En France. Accepte l’invitation, s’il te plait.
— Repasse-moi Sybille, me dit-elle.
Sa voix dédaigneuse me transperce le cœur, mais j’obtempère. Au moins, elle n’a pas déclaré de non catégorique. Tendu, je conserve une lueur d’espoir et baisse les paupières quand je tends le téléphone à son amie.
Mon cœur tressaute alors que je comprends le reste de la conversation : vos fesses, une bouteille de vin, et des glaces si tu en as.
La maison fait l’angle de la rue, si bien que de la terrasse, je distingue un côté du jardin et le chemin soudain éclairé par les feux d’une camionnette. Sybille regarde par la fenêtre de la cuisine.
— Non, ce n’est pas leur voiture, répond-elle en riant à la curiosité de son amant.
De mon côté, je surveille la circulation sur la route principale qu’on distingue à quelques mètres, à l’affut du moindre mouvement lumineux pointant en notre direction.
Sybille vient de remplir un saladier d’eau et sèche ses mains quand elle me demande de la rejoindre.
— Hey l’invité surprise ! Arrête de te gratter les fesses et viens nous aider.
John découpe un saucisson en rondelles, le sourire aux lèvres. Il est dans son élément. De son côté, l’ourse met du beurre à fondre dans une poêle cabossée et commence à émincer des morceaux de poulet. De la pointe de la lame, elle me désigne la laitue qui trempe dans l’eau.
— La rincer deux fois avant de l’essorer, c’est dans tes cordes ? demande-t-elle froide comme une glace à l’eau.
Agacé par ses sarcasmes, et refusant d’avouer mon incompétence en cuisine, je m’apprête à faire preuve de vulgarité avec mes doigts puis à me réfugier sur la terrasse quand mon brother intervient :
— Tu devrais lui laisser ton couteau et te charger de la salade, conseille-t-il en lui adressant un clin d’œil.
Le portillon du perron s’ouvre alors et une voix masculine, assez jeune nous parvient :
— Salut, Salut !
Je suis pétrifié, face à l’entrée. Plus aucun son ne me parvient, une boule s’est formée dans mon ventre. Ma respiration se saccade, en rythme avec les battements irréguliers de mon cœur. Je déglutis avec peine et aperçois John qui ouvre le haut du réfrigérateur. Enfin Elle apparait. Elle ne m’a pas vu, Elle referme derrière elle. Puis Elle se retourne et s’engage dans ma direction. Ses yeux s’accrochent aux miens, Elle s’arrête.
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