12. Analyse et aveux
Je suis émerveillé, ébloui. Elle est encore plus belle que dans mes souvenirs. Son attitude exprime quelque chose de différent. Méfiance ? Avec une pointe de défi ?
Je tressaille quand la voix de John me parvient. Il me ramène à la réalité alors que deux ados se tiennent devant moi.
— Salut, moi c’est Thomas, se présente le plus grand. Lui, c’est Cyril, ajoute-t-il, l’index pointé vers son frère.
Les enfants de Carly, très semblables aux photos.
— Lukas, je balbutie en répondant rapidement à leur poignée de main, avant de reporter mon attention sur leur mère.
Elle franchit le perron et me gratifie d’un froid bonsoir avant d’étreindre sa copine, venue à sa rencontre. Elle tend un cabas elle à Sybille et lui recommande de mettre les glaces au congélateur sans tarder. Les gosses de l’Ourse déposent une bise sur ses joues avant de filer dans leurs chambres, accompagnés de leurs potes. Elle les imite en embrassant John, puis passe devant moi pour déposer son sac à main dans le salon.
Je ne me sens vraiment pas à ma place, indésirable. Transparent. Des suées m’étouffent tandis qu’une boule comprime mon ventre.
— Tu nous sers un apéro, Sybille ? Je sens que je vais en avoir besoin, soupire-t-elle, déjà de retour.
— Ce sera Pastis pour tout le monde, je n’ai rien d’autre, prévient notre hôtesse.
Je la regarde remplir les verres sans rien voir, jusqu’à ce que John s’empare de ma main pour y déposer ma boisson. Nous trinquons. À je ne sais trop quoi, ah si, à notre santé, puis Sybille nous invite à prendre place autour de la terrasse où quelqu’un à laisser l’assiette de saucisson. Carly me fait face et m’ignore complètement. Elle demande à mon Bro s’il a fait bon voyage, combien de temps il a prévu de rester, s’il aime la plage… Conversation futile, comparée à celle que je lui ai promise. Il faudrait que je sois seul avec elle. Comment m’y prendre ? Je ne sais même pas ce que je dois lui dire !
Sybille et John quittent la pièce. Je prends une profonde inspiration tandis que mon vis-à-vis baisse la tête et enroule une mèche de cheveux autour de son index.
— Carly…
L’heure des révélations a sonné. Elle reste immobile. Si on oublie le tremblement nerveux provoqué par le mouvement de ses pieds, sous la table. Ses doigts reposent sur le plateau qu’elle ne quitte pas des yeux. Enfin, elle fait mine d’être absorbée par quelque chose sur sa gauche, puis sur sa droite.
Son mépris est terrible, horrible, elle me fait comprendre que je la dérange, que mes explications ne l’intéressent pas, et qu’elle me supporte uniquement pour faire plaisir à sa copine.
— Regarde-moi, s’il-te-plait.
Le dédain qu’exprime son visage et son soupir résigné n’ont rien d’engageant quand elle accède à ma requête.
— Je suis désolé, pour mon comportement, pour ma fuite.
— C’est tout ? répond-elle, blasée, avant de me présenter à nouveau le haut de son crâne.
Détends-toi et explique-lui simplement, me conseille la voix tranquille de notre gouvernante. OK, je vais essayer.
J’expire longuement et me lance :
— Je n’ai plus pensé qu’à toi à partir du moment où je t’ai vue, la toute première fois. Sur la terrasse de la villa.
Elle ne bouge pas. J’ose espérer qu’elle m’écoute.
— Je crois que je suis tombé amoureux de toi, ce soir là. C’était terrifiant. J’ai essayé, j’ai voulu résister, mais…
— Pourquoi ? demande-t-elle subitement en se redressant.
— À cause de mon passé, de cette peur viscérale de perdre les gens que j’aime. Mais aussi pour ce que je suis, je réponds d’une voix hésitante et implorante, un homme populaire, riche et à la tête d’un empire. Tout ce que tu détestes. Mon attitude te faisait souffrir, je le voyais, et ça me faisait mal aussi, au point que je ne pouvais pas m’empêcher de revenir vers toi. Je voulais te prendre dans mes bras, t’apaiser, te redonner le sourire que tu avais perdu par ma faute. Je voulais effacer ta douleur et t’entendre rire, comme dans le supermarché. Carly, j’aimerais tant renouveler ces supers moments passés avec toi, à manger des frites ou un cornet de glace, ils me laissent un souvenir amer parce que je crains qu’ils ne reproduisent jamais.
Ses jambes s’agitent encore et provoquent le tremblement de tout son corps.
Pourtant, je poursuis, persuadé qu’elle écoute toujours, au fil des sentiments et émotions qui m’assaillent à l’évocation de ces souvenirs :
— Et la soirée chez les Madma. Tu t’en souviens ?
— Comment voudrais-tu que je l’oublie ? répond-elle, d’une voix acerbe, accompagnée d’un regard accusateur, avant de reprendre sa position.
— Carly, regarde-moi, j’implore en posant mes doigts sur ses mains toujours jointes. Merci, ajouté-je alors que nos regards se retrouvent. Tu m’as rendu fou, ce soir là. Te regarder me brûlait les yeux, te sentir si près me rendait fébrile et quand tu as pris le micro, j’étais si fier. Je n’ai pas pu te résister. On ne pouvait pas se quitter comme ça. Je voulais qu’ils sachent tous…
Cette révélation me coupe le souffle mais elle provoque l’intérêt de la femme qui me fait face puisqu’elle daigne enfin poser d’elle-même les yeux sur moi. Je marque une pause et l’admire, si belle, malgré son air maussade. Dis-lui, Lukas, montre-lui que tu n’as plus peur de tes sentiments. C’est ce qu’elle attend, tu le vois bien.
Je parle si bas que je chuchote presque :
— Je voulais qu’ils sachent que je t’aimais.
Elle retire ses doigts d’un geste brusque, et ses yeux brillent quand elle se jette contre le dossier de sa chaise.
— Non, Lukas ! Ton comportement dans ce magnifique hôtel au petit matin n’est pas celui d’un homme amoureux, je regrette ! Ton attitude tout au long de la semaine, devrais-je dire.
— Je m’interdisais de t’aimer, car le jour de notre séparation approchait et ça me terrifiait. Je me revoie cette nuit là, la dernière, puis le matin qui a suivi. Cette lettre est le courrier le plus difficile que j’ai eu à rédiger. J’étais torturé à l’idée de te quitter ainsi, et de te pousser dans les bras de... je bégaie. Mais je ne voyais pas d’autre issue pour nous.
Elle secoue la tête, réfute mes aveux. Tant pis, au point où j’en suis, autant aller au bout :
— Puis ma vie devait reprendre, là où je l’avais laissée. Carly, la hélé-je encore, paumes ouvertes et tendues vers elle. Je ne quittais plus mes appartements, au détriment de mon travail, mes associés s’impatientaient, mes clients s’inquiétaient…
J’hésite à lui confesser mon état. Pourtant, emporté par cet élan de révélations, je poursuis :
— Je m’étais réfugié dans l’alcool. Pour t’oublier. Tu apparaissais partout où j’allais, tu hantais mes nuits. Puis John m’a sorti de l’enfer dans lequel je m’enfonçais. Il m’a forcé à admettre que j’ai besoin de toi. Mais je ne sais pas comment me faire pardonner. Je ne sais pas si tu pourras ou voudras bien… de moi.
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