14. Espoir
Un bruit de portière me réveille en sursaut. Je me redresse, quitte avec empressement le canapé sur lequel j’avais fini par m’endormir et me jette sur la porte d’entrée.
Thomas referme le portail derrière le Ti Cross ! Je consulte ma montre. Cinq heures cinquante huit. Ils commencent rudement tôt les jeunes d’ici !
Dans sa précipitation à me fuir hier, Carly ne m’a pas précisé d’horaires pour les rejoindre et je les ai ratés. Je récupère une chaise dans la cuisine et l’emmène jusqu’au perron déjà ensoleillé avant de la déposer dans l’embrasure de la porte ouverte, encore abritée par une légère avancée. Face à la maison de Carly pour que son retour ne m’échappe pas. J’ai hâte de la revoir. Ma courte nuit passée à tourner en rond comme un lion en cage ne m’a même pas permis d’élaborer une stratégie pour réparer mes erreurs. J’espère que la colère de madame sera un peu apaisée et que nous pourrons discuter.
Son autre fils apparait subitement sur la terrasse de sa maison, téléphone sous les yeux. Il pose et prend un selfie avant de pianoter sur l’appareil et de rire. Satisfait, il descend les deux marches, récupère un ballon coincé contre le mur et entame plusieurs séries de jongles. Plutôt doué, le gamin !
— Bonjour ! crié-je à son attention en me précipitant dans sa direction.
Comme prévu, il se croyait et seul, et grâce à l’effet de surprise, il laisse échapper la boule qui roule doucement jusqu’à moi. Je la récupère avec adresse mais m’abstiens de répéter le même exercice que lui. Je n’ai jamais beaucoup pratiqué de sport, si ce n’est avec les femmes. Cette image me fait sourire, et je conserve ce visage quand Cyril, je crois que c’est son prénom, me rejoint et me tend la main.
— Maman est partie déposer Thomas au lycée. Elle ne devrait plus tarder, m’apprend-t-il alors qu’il jette son sac sur son dos et fait tinter ses clés dans sa main.
— Vous n’allez pas dans le même établissement ?
— Nop. Il prépare un bac pro commerce, et moi je suis au collège, explique-t-il. Bon, j’y vais, à plus.
Je regagne mon gîte. Pour passer le temps, je récupère au pied du canapé, le livre emprunté la veille, sur lequel je me suis endormi, un roman d’amour. J’espérais y glaner quelques conseils, mais peu habitué à la littérature, la lassitude, puis la fatigue m’ont vite rattrapé. Incapable de me concentrer, j'envoie un message à mon bro. Aucune réponse.
Enfin, le Ti Cross s’arrête devant la propriété. Je me précipite pour venir en aide à Carly qui ouvre déjà le passage. Elle ne m’a pas encore vu.
La voiture entre, nos regards se croisent quand elle passe devant moi et elle m’observe encore dans le rétroviseur tandis qu’elle se gare. Je m’empresse de cadenasser l’accès à la propriété pour la rejoindre.
Nous nous retrouvons au milieu du jardin. Nous nous jaugeons en silence, indécis. Alors que je me penche à sa hauteur pour l’embrasser, elle me retient, les doigts sur ma poitrine. Le contact, même à travers mon polo, suffit à m’envoyer une décharge, tandis que son refus me serre le cœur.
Pourtant, son sourire et la délicatesse du ton qu’elle emploie atténuent ma frustration :
— Non, Lukas.
— Je sais. Je visais tes joues, avoué-je avec à la fois douceur et déception, en baissant la tête. Je ne savais pas à quelle heure venir pour le petit déjeuner.
Elle m’invite à la suivre et à pénétrer dans un petit bureau où le mobilier a été choisi en fonction de son prix et de sa simplicité, au détriment de la qualité et du confort. Une porte de saloon nous propulse dans une pièce de vie aux dimensions correctes, et typique de la classe moyenne avec ses meubles fabriqués à la chaine.
Carly ne me laisse pas le temps de décortiquer la décoration :
— La cuisine et le café sont ici, m’informe-t-elle alors qu’elle s’engage sous une courte alcôve, d’où s’échappent encore des odeurs de pain grillé.
— Désolée pour le désordre, s’excuse-t-elle en s’emparant de trois mugs oubliés sur une table tachée et pleine de miettes. Nous démarrons la journée très tôt et nous levons au tout dernier moment. La vaisselle, c’est quand je reviens, poursuit-elle avec une moue amusante alors qu’elle dépose les tasses dans l’évier, sous la fenêtre.
Je souris et m’abstiens de toute réponse tandis que je prends place sur un tabouret.
— Un café me suffira. Tu sais, noir, sans sucre.
Ma belle se retourne brusquement, lèvres entrouvertes, toute trace d’humour ayant déserté son visage. Puis tout aussi subitement, elle reprend, non sans laisser échapper un soupir, position face à un placard qu’elle ouvre pour sortir une boite de dosettes. J’ai cru que je l’avais encore fâchée.
Elle me tend une tasse tandis que le liquide coule à nouveau dans un autre récipient.
— Allons sur la terrasse, propose-t-elle.
Installés face à face dans des fauteuils deux places en résine gris dont le dossier n’arrive qu’à la moitié de mon dos, je fais mine d’admirer le paysage, indisposé par son regard insistant.
— J’ai vu ton fils, juste avant qu’il s’en aille, déclaré-je de but en blanc pour briser le silence.
— Cyril ? Tu t’es réveillé aux aurores, toi aussi !
— Je repensais à tout ce que je t’ai dit hier et…
— Tu regrettes déjà ? m’interrompe-t-elle, déçue, le visage attristé.
— Non ! J’étais sincère. Tu as l’air fatiguée, Carly, et j’ose croire que si tu n’as pas dormi, c’est à cause de moi.
Elle éclate de rire. Qu’ai-je dis de dôle ? Quelle attitude adopter ? Le temps de me poser la question, elle a déjà repris son sérieux et m’éclaire de sa voix chantante :
— Personne ne t’a appris à t’exprimer ? Grossièrement, si je traduis ta dernière affirmation, tu voudrais être la source de mon insomnie.
— En quelque sorte, oui, confirmé-je avec hésitation. As-tu repensé à moi, hier soir, cette nuit ? C’était si dur de te voir là, à quelques centimètres, sans pouvoir te prendre dans mes bras, sans goûter à nouveau la chaleur de tes lèvres, sans avoir le droit de sentir ton parfum, de te toucher ?
Elle s’est figée.
— Qu’attends-tu de moi ? je poursuis, démuni face son mutisme. Que dois-je faire pour que tu veuilles encore de moi ?
Penchée vers la table qui nous sépare, les mains jointes si fort que ses articulations blanchissent, elle tressaille. Elle ne rit plus de mes maladresses, sa bouche exprime un mélange de douleur et de tristesse, tandis que ses sourcils arqués dénoncent son tourment. Je ne peux pas lui avoir fait mal à ce point, si ?
Les fesses sur le bord du fauteuil, je me rapproche. Si seulement… Je ne tiens plus. Le cœur en émoi, tous les muscles contractés, je me lève, contourne l’obstacle avec précipitation et m’assieds à ses côtés. Elle me présente son profil et regarde droit devant, alors que ses doigts entrelacés cachent le bas de sa physionomie.
— Carly, regarde-moi, s’il te plait.
Elle reste prostrée. Je saisis ses poignets. Elle résiste alors que sa respiration s’alourdit, se saccade.
— Carly, imploré-je, à bout de souffle tant je manque d’air.
Elle rechigne toujours. J’insiste. Elle gémit quand sa volonté fléchit enfin et qu’elle se tourne vers moi. Ses yeux larmoyants font chavirer mon cœur quand ils rencontrent les miens, ne s’en détachent plus. Je craque. Mes mains entourent son visage. Je plonge vers elle, vers ses lèvres entrouvertes, mêlant nos souffles qui éclatent dans un hoquet. Nos langues se retrouvent, se redécouvrent. Ses doigts glissent dans mes cheveux, caressent mon cou alors que mes bras la serrent, effleurent son dos en rythme avec mes palpitations.
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