17. Le jardinier

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En plein nettoyage de la vaisselle, elle me tourne le dos quand je la rejoins dans la cuisine. Quelle attitude adopter ? Amicale, j’envoie une blague en espérant la faire rire ? Ce n’est pas le moment. Indifférence, comme à mon habitude ? Ça n’arrangera pas les choses, bien au contraire. Avancer à pas de loup et l’enlacer ? Pas mal, si j’ai envie de me prendre un vent. L’interpeller pour lui demander des explications ? Mouais.

— Carly ?

Silence pesant. Dois-je regagner le gîte ou attendre qu’elle termine sa tâche ?

La dernière tasse posée sur l’évier, elle se retourne avec un sourire contrit.

— Je te présente mes excuses pour ma réaction. J’ai vraiment beaucoup de travail, se croit-elle obligée de préciser en s’essuyant avec un sèche-mains.

— Dis-moi ce que je peux faire pour t’aider.

— Passer la tondeuse, remplir un contrat de location sortant, et un autre entrant ? Repassage de draps pour les nouveaux arrivants…

— Si je dors avec toi, tu pourras leur donner ceux que je n’ai pas utilisés. J’ai passé la nuit sur le canapé.

— Lukas ! Tu oublies mes enfants !

— Ce sont des adolescents, Carly, m’agacé-je, plus des bébés.

— Je n’ai ramené aucun homme à la maison depuis… avoue-t-elle en baissant la tête. Et je ne leur ai surtout pas parlé de toi.

— Ce n’est pas bien difficile à rectifier, suggéré-je, avec sérieux.

— Non, refuse-t-elle, catégorique. Va remettre ton polo, s’il te plait !

— Pourquoi ? Mon torse nu te donne des idées ? risqué-je en m’enfuyant pour éviter la serviette qu’elle triturait et qu’elle me jette.

Le temps que je récupère mon vêtement, elle a disparu. Je l’appelle, en vain, et finis par la retrouver dans le jardin, près du cabanon. Elle se bat avec le cadenas jusqu’à ce qu’il cède et fait glisser les portes grinçantes avant de se réfugier à intérieur. Peu attiré par les bestioles qui se planquent à coup sur là-dedans, je préfère attendre à l’extérieur ma Carly qui revient vite en poussant la tondeuse. Un second tour dans l’abri lui permet de ramener un bidon d’essence dont elle vide le contenu dans le réservoir de l’engin.

— Tu veux toujours m’aider ? s’assure-t-elle, une pointe de défi dans la voix.

Je suis conscient du manque de conviction de ma réponse, ce serait pour quelqu’un d’autre, elle aurait été fermement négative.

— Moui…

Elle sourit, contente.

— Je vais te chercher une casquette et je te montre comment l’utiliser.

J’attends qu’elle s’éloigne et maugrée en jetant des coups d’œil assassins à la machine. Qu’est-ce qui t’a pris de venir ici, mec ? Je soupire et cherche une excuse pour me défiler. Je n’y arriverai jamais, il fait beaucoup trop chaud ! Je suis déjà en nage alors que je ne bouge pas.

Ma belle revient, cache mes cheveux d’un couvre-chef jaune canari, m’admire tandis qu'un sourire s'étend jusqu'à ses oreilles, puis dépose un éphémère baiser sur mes lèvres. L’utilisation de la bécane s’avère sommes toutes plutôt facile. Je peste contre les températures quand je débute mon nouveau job, sous la surveillance de la logeuse.

Rassurée quant à mes aptitudes, elle retourne dans sa maison et vaque à ses occupations.

Le labeur est difficile, la sueur coule dans mes yeux, mon sang bouillonne et résonne dans mes tempes tandis que mon polo trempé pèse sur mes épaules. Carly m’observe souvent à travers les fenêtres. Elle m’a fortement déconseillé d’exposer ma peau au soleil et m’apporte régulièrement une serviette pour m'éponger ainsi qu'une bouteille d’eau. Pourtant, je refuse de lui céder ma place quand elle me propose de terminer le travail. Je lui ai fait une promesse, je compte bien la tenir.

J’ai tondu le devant de la maison, le côté des gîtes, j’en suis à l’arrière. La machine me traîne le long d’un abri ou attend une machine à laver, des étendages et pinces. Je manque m’étrangler avec des fils accrochés à deux poteaux verts, qui servent sûrement à étendre les draps. En face, un portique supporte deux balançoires qui remuent au gré des rares courants d’air. Un bac à sable en forme de coquillage restera fermé tant qu’aucun gamin ne viendra pas brailler devant. Il ne me reste plus qu’à passer près du pignon où se trouve la cabane de jardin pour mettre fin à mon calvaire. Par chance, aucun arbre ou plante fleurie n’a entravé ma lente progression.

L’herbe du jardin coupée dans les moindres endroits, Carly m’envoie me doucher et m’habiller pour le déjeuner.

Je me hâte de retourner dans sa cuisine où elle a déjà préparé la vaisselle et me demande de dresser la table sur la terrasse. Elle m’y rejoint avec une salade de tomates et une bouteille d’eau glacée qu’elle dépose sur la toile cirée avant de s’installer en face de moi. Déçu, je rapproche assiette et couverts puis déplace ma chaise et m’assieds à côté d’elle. Elle ne me repousse pas et fait le service.

— Bon appétit, souhaite-t-elle avec le sourire et un regard amical alors qu’elle remplit nos verres.Un plat de pâtes gratine au four. Ça te va ? Tu dois avoir faim après tes efforts dans le jardin, ricane-t-elle en s’emparant de sa fourchette.

— C’est vrai, maintenant que tu le dis, je suis affamé ! plaisanté-je à mon tour. Ces dernières heures ont été pour le moins riches en endurance et en émotions, je poursuis avec un clin d’œil amusé.

Mon corps a laissé échapper la sueur de toute une vie en seulement quelques heures, mais curieusement, je vais bien. Si j’omets de penser à mes muscles endoloris. Cette fatigue est seine, loin de la lassitude qui me suit depuis… Cette affliction date de quelques années. Une chose est sure, elle n’était accompagnée d’aucune sensation de fringale.

Ma belle se lève pour aller chercher la suite. La robe qu’elle porte, toute simple, dans les tons saumon, lui sied à merveille. Elle laisse juste deviner la rondeur de ses seins et plus bas, la courbe de ses fesses. Ajoutée au souvenir de nos derniers ébats, cette vision fait resurgir mon désir.

Pas le temps de rêvasser, elle réapparait déjà, un récipient en alu, brûlant, maintenu entre les mains à l’aide d’un gant et d’une manique.

— Ton jardinier t’as-t-il permis d’avancer sur autre chose ce matin ? je m’enquiers, désireux d’être rassuré sur l’aide que j’ai pu lui apporter.

Encore une nouveauté. Depuis quand éprouves-tu cette inquiétude, ce besoin de connaitre ton utilité ?

Bien sur ! me rassure-t-elle tandis qu’elle garnit nos assiettes. Grace à toi, j’ai pu repasser une caisse entière de linge, préparer mes contrats, et nettoyer mon salon. Demain, si tu es toujours d’accord pour m’assister, j’aurai besoin de toi pour préparer le premier gîte. Les vacanciers le quitteront dans la matinée et d’autres en prendront possession en début d’après-midi. Je devais leur donner le troisième, mais… il y a eu un imprévu.

Elle accompagne cette dernière réflexion d’un clin d’œil et de son sourire taquin qui me fait craquer. Nos rapports s’améliorent et ce constat, à lui seul, me redonne confiance et espoir.

— J’irai chercher Cyril à quinze heures. Tu voudras bien rester dans la maison en attendant qu’on revienne ? Vingt minutes, maximum.

J’acquiesce, heureux de provoquer cette confiance là. C’est un bon point, non ?

— Le temps qu’il se change, nous partirons en courses, où Thomas nous rejoindra puisque ses cours s’achèvent à dix-sept heures.

— Ok, ça me va.

C’est comme ça que tu montres ton enthousiasme ? J’ai adoré notre première virée en supermarché et je lui ai avoué souhaiter renouveler l’expérience. Ce n’est pas à Las Vegas que je vais m’y aventurer, qu’irai-je y faire ? Mes employés se chargent de mes besoins, et ils font ça très bien.

— J’ai pensé que dimanche nous pourrions passer la journée à saint François, propose-t-elle avec entrain, si Sybille et John sont d’accord. Et aussi Léandra et sa famille. Ça serait sympa d’être à nouveau tous ensemble, sans ta sœur, en plus. On ira jusqu'à la pointe des châteaux, on pourra monter à la croix, si tu veux, pour que tu y vois les petites îles. Puis on retrouvera les autres à Anse à la gourde.

Elle lève les sourcils, puis sourit, emballée.

— Anse à la gourde ? répété-je avec méfiance.

— C’est une plage, côté Atlantique, où l'eau est chaude et turquoise. On peut y pique-niquer sous les arbres, les barbecues sauvages y sont même autorisés.

— Pique niquer sous les arbres ? Il n'y a pas de sable sur la plage ? Où t’es-tu aventuré, mon pote ?

Elle refuse de m’en dire plus et me demande de la laisser organiser cette virée. Elle m’incite même, après le repas, à m’allonger sur son canapé, devant la TV.

Je commence à ressentir la fatigue de ma nuit presque blanche, doublée d’un travail très physique. Sans parler de cette chaleur humide qui m’assomme. Ma mâchoire va bientôt se déboiter à force de bâillements étirés, prolongés et répétés.

Le fils de Carly me réveille, encore !, quand il jette son sac à dos contre le meuble télé en me saluant de sa voix grave. Je m’étire et m’assieds sur le sofa quand sa mère se montre à son tour.

— Tu as bien dormi ? s’enquiert-elle avec un sourire taquin alors qu’elle prend place à côté de moi.

— Ça m’a fait du bien. Il faut que je me réveille maintenant, j’avoue en frottant mes yeux.

— Tu es prêt ? Nous partirons dès que Cyril se sera rafraîchit. Un café, pour t’aider à refaire surface ? propose mon attentionnée maîtresse, déjà en route pour la cuisine. Sybille et Léandra sont ravies pour dimanche, poursuit-elle. Du coup, c’est nous qui nous chargeons des courses. Sybille et John viendront tout récupérer ce soir, alors je les ai invités à diner, ça ne t’ennuie pas ?

Un véritable moulin à paroles ! Amusé par son engouement, je réprime un rire quand elle réapparait, rayonnante, une tasse à la main. Alors qu’elle la dépose sur la table basse, dans une soucoupe, cette fois, elle remarque mon sourire :

— Qu’est-ce que j’ai dit de drôle ? s’inquiète-t-elle, une mimique boudeuse sur le visage.

Mon cœur gonflé menace de déborder quand penchée, elle tourne la tête vers moi. Nous sommes si près. Je me rapproche de quelques millimètres, hésitant.

— Tu es belle, déclaré-je, la voix chargée d’émotions.

Moi, je ne contrôle plus rien.

Elle m’observe, lèvres entrouvertes. Les miennes avancent encore un peu. Elle ne bouge pas, comme hypnotisée. Son souffle effleure ma peau, il accélère tandis que ma cage thoracique se soulève. Sa respiration saccadée m’enivre. Juste un pouce me sépare de cette bouche brillante qui m’attend.

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