22. Interrogatoire

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Ils ont fini par gagner. Difficilement, mais ils ont réussi. Le premier but a réveillé les verts et tout s’est enchaîné.

Les deux équipes ont déserté le terrain et les bleus sont en train d’exprimer leur joie dans les vestiaires.

Alors que nous attendons côte à côte devant la voiture, Thomas se racle la gorge et regarde ses pieds quand il me demande :

— Comment vous êtes-vous rencontré, maman et toi ?

La question ne me dérange pas en soit. Elle me met mal à l’aise parce que je sais qu’une autre suivra, puis une autre encore et que la dernière ne me plaira pas.

— Lors d’un salon sur l’hôtellerie, le tourisme à Montpellier. Mais tu dois déjà le savoir, non ? je réponds d’un ton un peu trop sec.

— Non. Le petit déjeuner était bon ? hésite-t-il, en m’épiant du coin de l’œil.

J’étouffe un rire de surprise et me tourne vers le curieux avec un sourire complice.

— Il avait un petit quelque chose de drôle.

Jusqu’où ira son indiscrétion ? Va-t-il oser ? J’insiste un peu, pour voir :

— Pourquoi ?

— Tu semblais affamé dans la voiture, avoue-t-il, amusé et un peu plus détendu.

Je ne trouve rien à répondre. Nous observons en silence un jeune qui nettoie ses chaussures au robinet, bientôt rejoint par ses potes. Je ne vois que le profil de Thomas, pourtant, je ne suis pas dupe, il veut savoir. Il mord ses lèvres avant de se lancer, sans quitter les gamins du regard :

— Vous sortiez déjà ensemble en France ?

Pris au dépourvu, je respire profondément et tourne sept fois ma langue dans ma bouche avant de répondre. Que lui dirait Carly ? De se mêler de ses oignons !

Pas vraiment, avoué-je, alors que j’espère ne pas avoir gaffé.

C’est vrai, on passait notre temps à se prendre la tête. Et elle a passé la dernière soirée avec Mickaël !

Le gamin a compris que je n’en dirai pas plus et me fait face pour plonger ses yeux dans les miens.

— C’est sérieux, ma mère et toi ?

Cette fois, je grimace et ne prends aucun risque :

— Écoute, tu en parleras avec elle, ça vaudra mieux.

Mon téléphone me sauve la mise quand il vibre dans ma poche et que la sonnerie retentit. J’adresse un clin d’œil accompagné d’un sourire contrit à l’adolescent et décroche.

— Tu as réglé le problème, Angie ?

— Évidemment ! J’ignore ce que tu prépares, Lukas. Tanja Wells cherche à te joindre. Il parait que tu l’as contactée mais que tu ne réponds pas à tes messages.

— Fais-la patienter. Je l’appellerai à mon retour, la rassuré-je.

— Je ne suis pas ta secrétaire, Lukas !

— Ah, renseigne-toi sur ses disponibilités pour les mois qui viennent, avril, en particulier, précisé-je encore en ignorant volontairement sa remarque agacée.

— Qu’est-ce-que tu fabriques, Lukas ?

— À lundi, Angie.

Je raccroche sans lui laisser la moindre chance de débuter un interrogatoire. J’éteins l’appareil lorsque son numéro s’affiche à nouveau et me dirige, bras grands ouverts vers Cyril qui sort du bâtiment, douché et changé, pour le féliciter.

— Bravo champion ! acclamé-je en tapant la paume de sa main levée. C’était un super match, vous les avez eus ! Tu as une sacrée endurance, tu m’as bluffé.

Il sourit et désigne d’un geste large, les autres joueurs, éparpillés.

— C’est grâce aux entrainements et à toute l’équipe, assure-t-il avec fierté, à notre coach aussi.

Pendant le retour, nous parlons musique. Les deux frères me font découvrir les rappeurs français qu’ils écoutent. Tiakola, SDM ou Green Montana. Je m’abstiens de tout avis, et exprime ma préférence pour le rap américain.

Treize heures sont passées quand je coupe le moteur devant la maison. Carly nous accueille chaleureusement d’une étreinte et d’une bise. Sur la joue. Mais moi, j’ai en plus droit un clin d’œil auquel je réponds par un sourire radieux avant qu’elle ne s’enfuie à l’intérieur, derrière ses enfants. Sa pudeur m’amuse, surtout après l’enquête menée par son fils.

La table est déjà dréssée. Pour quatre. Je suis accepté par la famille. J’ai l’impression de faire partie de cette famille. Mon cœur se gonfle… de gratitude, bonheur ?

Ému, j’entre à mon tour et rejoins ma poupée dans la cuisine. Elle remplie un verre de Scotch, me le tend et m’invite à trinquer à la victoire de l’équipe :

— Cyril m’a dit qu’ils ont gagné. Leurs entrainements sont intensifs, mais ils paient. Tu as passé un bon moment ?

— C’était génial ! m’exclamé-je. La montée de stress, les encouragements, l’ambiance ! Je me suis régalé.

Dois-je lui révéler la curiosité dont a fait preuve son ainé ? Joue la transparence, mec, conseille la voix de John.

— Thomas a posé des questions. À propos de toi et moi.

— Il m’en a posé aussi, avoue-t-elle d’une voix enjôleuse, avec un sourire amusée, le regard taquin. Que lui as-tu dit ?

Je ne me ferai pas avoir cette fois :

— Et toi ? renvoyé-je avec défiance.

— Je lui ai dit que nous sommes amis, avoue-t-elle avec conviction. Ils n’ont pas besoin d’en savoir plus.

Aïe. L’illusion de faire partie de cette famille aura été bien éphémère.

— Carly, ils ne sont pas dupes. Ton fils m’a demandé comment j’ai trouvé le petit déjeuner ! Je comprends que tu veuilles à tout prix les protéger, mais ils seront bientôt adultes.

— Tu veux que je leur dise quoi ? Oui, on couche ensemble ? Désolée, je suis partisante de la discrétion.

J’abdique. Ce sont ses enfants. Pas les miens.

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