23. Coups de soleil
La battle de Lillian terminée, mon bro, Sybille et ses enfants sont partis pour une plage au nord de la Basse-Terre, dans la ville de Deshaies. Ils ont déjeuné dans l’un des restaurants qui bordent le site avant de profiter de l’océan et du soleil.
Carly nous a poussés à les rejoindre, puisqu’elle-même se retrouve coincée par la location de son gîte.
L’ourse s’est quelque peu déridée. J’imagine que ma poupée et elle doivent s’envoyer des messages à longueur de journée et que le fauve connait les moindres détails de mon séjour. Les filles se racontent tout, non ?
Le cadre est splendide, plage de sable doré, mer des Caraïbes calme et d’un bleu paradisiaque. L’après-midi est agréable. Un match de foot prend forme et bien sur, nous sommes recrutés et partagés entre les deux équipes. L’eau me rafraichit à peine quand je tombe suite aux tests des skimboard des jeunes. Mon bro et moi nous amusons comme des gamins, pourtant, je ressens un vide. J’aurais tant voulu que ma poupée nous accompagne, la porter sur mon épaule pour me jeter avec elle au milieu des baigneurs, comme l’a fait Mickey, il y a quelques mois. Sauf que moi, je l’aurais embrassée. Nos regards complices me manquent, la sensualité de sa voix quand elle prononce mon prénom, son ricanement cristallin alors qu’elle vient de me taquiner, son souffle chaud dans mon cou… Mon cœur se brise déjà à la pensée de mon proche départ. Si seulement elle vivait aux States. Si seulement elle ne gérait pas sa société. Tout serait si simple.
Non, je ne remettrai pas à boire. J’ai son séjour chez moi à préparer. Mais avant tout, je dois la convaincre de me rejoindre à Las Vegas.
La route de la Traversée, en pleine forêt tropicale, me parait interminable. Le soleil en déclin m’éblouit, les nombreux cols m’obligent à jongler entre les vitesses. Si j’avais été prévenu, j’aurais pu louer une automatique ! Quant aux virages, ils m’obligent à la plus grande vigilance et accentuent mon mal de tête naissant. La climatisation ne suffit pas à réduire l’insupportable sensation de chaleur qui s’abat sur mes épaules et mon visage.
Nous avons prévu une halte à la cascade aux écrevisses, lieu touristique incontournable sur notre chemin. Certains touristes se sont attardés et je rejoins John, déjà installé dans la baignoire d’eau claire. D’abord réticent, je cède à l’invitation de mon bro et des enfants. La fraicheur de la source apaise mes brûlures solaires et rince ma peau séchée par le sel et le sable.
Fatigué par l’air marin et nos jeux de plein air, mon humeur décline. Mon désir de dîner dans un bon restaurant fait l’unanimité et Sybille se charge de réserver une table pendant que je préviens ma poupée.
Carly nous attend sur la terrasse, devant son ordinateur. Hélas, les martellements dans mon crâne m’empêchent d’apprécier son large sourire à sa juste valeur. Je ne pense plus qu’à me réfugier sous la douche et laisser couler l’eau tout juste froide sur mon corps.
— Tu devrais penser à changer de voiture, conseillé-je en grimaçant. Celle-là avance moins vite qu’un veau.
Elle ne répond pas et se contente de me fixer, sourcils froncés, avant de déposer ses bras sur les épaules de ses fils et de les diriger vers l’entrée de la maison. Je n’ai plus qu’à regagner mon gite, passer par la salle de bain, puis m’allonger un instant en attendant le moment de partir pour le restaurant. Nous y sommes attendus pour vingt heures trente, le premier service complet et le nombre de places requises non disponibles plus tôt.
Carly me réveille quand elle frappe à la porte en m’appelant. Je me précipite pour ouvrir et m’efface pour la laisser entrer, pressé de la prendre enfin dans mes bras. Le visage fermé, elle refuse d’entrer.
— Tu m’expliques le ton agressif et la réflexion à votre retour ? exige-t-elle plus qu’elle ne demande.
Penaud, je lui présente mes excuses et tente de me justifier :
— Je te demande pardon. J’avais ma à la tête et…
— Elle a bon dos, la migraine, Lukas. Ton entourage n’est pas responsable de tes douleurs et je te conseille vivement d’éviter de passer tes nerfs sur les autres. Je ne subirai pas ton arrogance ou ta mauvaise humeur une autre fois.
Elle marque une pause et m’observe avec sévérité.
— Si tu es prêt, nous partons, poursuit-elle en se détournant. Sinon, dépêche-toi.
Tu es vraiment trop con, mec. Tu as réussi à ruiner tous tes efforts avec juste une réflexion, ricane la voix de mon bro.
Nous trouvons une place où nous garer près de l’église de la ville Sainte-Anne avant de longer la plage où plusieurs bars et restaurants se disputent le front de mer. Le cadre de celui qui nous reçoit, « L’amandier », me plait particulièrement. Les ouvertures de tous côtés permettent à l’établissement une ventilation naturelle non négligeable et des plus agréables. L’établissement tire son nom de l’arbre centenaire qui couvre une partie de la terrasse ou le plancher de sable supporte tables et chaises. La taille de la végétation a été étudiée pour former une épaisse voute au travers de laquelle on reconnait quelques reflets de la lune sur l’eau. En m’approchant, je distingue une minuscule crique formée par les rochers dont les plus proches frôlent mes pieds. Sur le côté droit, les feuilles de quelques cocotiers sifflottent un doux frémissement au gré d’une légère brise. La journée, nul doute que les touristes prennent des photos souvenirs sous ce décor paradisiaque.
La carte promet une cuisine antillaise revisitée et raffinée qui me fait déjà saliver. Je commande sans attendre une bouteille de champagne pour l’apéritif.
Nous parlons hip hop, football et musique avec les enfants, puis je découvre que Killian prend des cours de piano et compose sur son propre clavier, à l’aide de sa sœur qui elle, s’entraine au chant et au théâtre. Quand l’occasion se présente, le fils de Léandra les accompagne à la guitare et ils ont déjà publié quelques improvisations sur Tik Tok et Snapchat. Thomas, qui développe un vif intérêt pour la photographie a d’ailleurs réalisé la couverture de leur profil. Je me promets de prêter une oreille attentive à leur groupe nommé Riviera’s girl & boys. Puisque la discussion tourne autour des loisirs et des passions, j’en profite pour interroger ma poupée, l’air innocent :
— Où en est ton roman ? As-tu pu avancer ?
— Non. Je manque de temps et par conséquent, de motivation. Et ma réponse est toujours la même, je ne veux pas que tu le lises.
— Je n’ai rien dit, je me défends alors que je lève les bras en signe d’innocence.
— Non, mais je te vois venir, m’avertit-elle en faisant les gros yeux malgré son sourire de connivence.
— Au fait, Carly, des nouvelles de Mickaël ? intervient John, tel un cheveu dans la soupe.
Je le fixe avec agressivité, mâchoire serrée, tandis que son regard amusé vacille entre ma belle et moi. L’ourse me dévisage, prête à bondir.
Ma poupée pose ses doigts délicats sur ma main et entrelace nos doigts. Son contact m’apaise. Ma tête se tourne alors vers elle, et mes traits se détendent face à son visage avenant et apaisant.
— En effet, John. Il a prévu de passer ses vacances d’été ici, développe-t-elle d’un ton froid, le regard glacial. Trois semaines. Satisfait ?
— Je suppose qu’il va loger chez toi, insiste mon bro, tandis que ses yeux verts vicieux transpercent Carly.
— Arrête, John, grincé-je d’une voix autoritaire, tu mets tout le monde mal à l’aise.
Il tourne lentement la tête vers moi, puis vers l’assemblée, sans que mon ordre n’ait eu d’effet sur son expression.
— Je pensais que tu serais intéressé par les projets de Carly, Lukas.
— Sybille et moi avons pensé que vous seriez curieux de visiter le casino, suggère ma poupée, désireuse de changer de sujet. Les enfants prendront un dessert, vous pourriez en profiter.
La proposition validée, le cuistot dépose un rapide baiser sur les lèvres de l’ourse tandis que je supplie ma belle du regard. Hélas, toujours réticente aux démonstrations publiques, elle effleure ma joue du bout des doigts et me souhaite de passer un bon moment. Pfff, je suis sur que ses gosses sont plus choqués par sa retenue qu’ils ne le seraient s’ils nous voyaient nous embrasser. Je n’insiste pas et rejoins mon frère qui m’attend déjà à la sortie.
*L’Amandier : le nom, la carte et le cadre du restaurant au bout de la plage de Sainte-Anne ont été modifiés pour les besoins de l’histoire.
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