24. La famille

6 minutes de lecture

Le casino, en dehors du bourg, borde la route principale non loin du Club Med. Le bâtiment dispose d’un grand parking où nous peinons à trouver une place.

Des spots savamment installés éclairent une sorte d’œuvre d’art métallique noire maintenue sur la façade de crépi grise, ainsi que les montants en aluminium des accès à l’établissement, peints en rouge vif. Une guirlande de stalagmites blanches pend du toit et illumine la rue de ses scintillements.

Des escaliers extérieurs, écarlates également, mènent à l’étage d’un bar lounge et d’un restaurant. La luminosité en journée doit suffire à éclairer les lieux puisqu’une couronne de vitres teintées entoure le bâtiment.

Dans le hall blanc et gris clair, froid, glacial même, un employé en costume noir sur chemise blanche nous laisse plan et programme, puis nous indique distributeur et ascenseur avant de nous accompagner jusqu’à la salle des machines à sous. Les joueurs se partagent à peu près cent cinquante colonnes, dont les plus modernes sont installées à l’entrée de la salle. Toutes formes un cercle autour d’un bar-snacking central faiblement illuminé. L’ambiance me semble morose malgré le brouhaha des appareils et la musique douce qui peine à se faire entendre. On est à des années lumières de l’atmosphère festive qui règne à Las Vegas.

Une voute en pierre au milieu d’un long mur blanc nous amène dans un couloir sombre, où chaque porte ouvre sur un salon. La superficie du casino ne laisse pas imaginer autant de tables en son antre : roulette, Black Jack, Craps et plusieurs salles de poker.

De retour dans le hall, John et moi empruntons l’ascenseur pour visiter la salle de spectacle, où se produit un chanteur local, au dessus de l’étage restauration. Une belle scène occupe la largeur de l’immeuble et domine une petite piste où s’agitent quelques couples. Le bar, sombre comme celui du rez-de-chaussée, fait face à l’estrade. Je jette un dernier coup d’œil aux danceurs tandis que mon bro s’éloigne déjà.

— Sexy le zouk, remarqué-je à l’intention de mon bro, une fois enfermés dans l’ascenseur, en route pour le premier étage. Il faudra qu’on s’y entraine avec Carly et Sybille.

— Au cas où tu l’aurais oublié, tu repars lundi, souligne John, ses billes de chats marquées par la curiosité. Tu en es où avec elle ? Elle viendra chez nous, ou pas ?

— J’avance. Elle n’a pas encore pris de décision, mais c’est beaucoup mieux qu’avant. On ne se dispute plus.

— Grace à qui ? Elle ou toi ? Elle t’a pardonné parce que tu as tondu ses pelouses ? ricane-t-il alors qu’il m’adresse son regard malicieux et son sourire sadique.

Je m’apprête à le rabrouer, puis me ravise et tape sur la main qu’il tient levée à mon intention. Après tout, c’est mon frère, et ce genre de blague nous faisait rire tous les deux, il n’y a encore pas si longtemps.

Nous débouchons directement en face du bar, un poste d’accueil à notre droite, le restaurant plus loin sur la gauche. Un hôte vient aussitôt à notre rencontre et nous invite à prendre l’apéritif.

— Bonsoir, Kyllian, salué-je en lisant le prénom sur son badge. Sullivan. Lukas Sullivan. PDG du Serenissima, Las Vegas, je me sens obligé de préciser devant l’air ahuri de l’employé.

Je lui tends négligemment ma carte de visite tandis que j’observe déjà les lieux en attendant qu’il nous autorise à faire le tour du propriétaire vite fait. John se charge de lui expliquer l’objet de notre visite.

Rien d’époustouflant. Une ambiance faussement chaleureuse avec un mobilier de bar aux couleurs des Abysses, un comptoir éclairé par de petits spots bleus et un salon trop exposé aux lumières criardes de la salle de restaurant. Des meubles, bien sûr, en accord avec le style rustique de navire raffiné qui ne colle pas au reste de l’établissement. Sauf si les têtes bien pensantes ont cherché à distinguer l’univers du divertissement à celui de la relaxation. L’idée aurait peut-être été meilleure avec un véritable espace de soin de type spa, hammams, massages, ou proche d’une cure thermale.

— Je suis désolé, Messieurs, bafouille Kyllian, effrayé par les lèvres pincées et le regard perçant de John. Le directeur est absent ce soir et je ne suis pas autorisé à vous permettre une visite des lieux.

Je remercie l’employé pour avoir contacté son chef, même si la réponse n’est pas à la hauteur de nos espérances. John est déçu, il aurait aimé fureter dans la cuisine et pourquoi pas, échanger quelques mots avec le chef. À la place, il fixe sans sourciller le malheureux qui se détourne et se dirige vers un couple derrière nous.

— Viens, l’invité-je alors qu’il résiste quand je tire son bras. Les filles ont terminé leur dessert à l’heure qu’il est.

*****

Carly m’oppose un farouche refus quand je lui demande de me laisser conduire, sous prétexte que j’ai bu quelques verres d’alcool en trop. La circulation, fluide à cette heure, nous ramène vite chez elle.

Je m’empresse de récupérer mon ordinateur, puis l’installe dans le bureau, à côté de celui de ma belle. Ses garçons déménagent une console d’une chambre tandis qu’elle s’occupe des boissons. Coca-cola pour les jeunes, Ti’ punch citron vert pour moi et maracudja* pour elle.

— Les cousins viennent d’arriver chez eux, ils seront prêts dans quinze minutes, prévient Thomas alors qu’il pianote sur son Samsung.

— Roméo et Linda sont prêts, ils nous attendent, renchérit Cyril en jonglant entre son téléphone et sa manette. Pierre vient de finir une mission sur GTA, c’est bon aussi, il est dispo.

Qui sont tous ces gens ?

Personne ne pense à nos potes qui doivent nous rejoindre pour une partie de Among Us. Pendant le repas, Marion, l’oursonne, a émit l’idée de prolonger la soirée autour d’un jeu vidéo multi plateformes. Elle se connectera de sa tablette, mon bro de son pc portable, près de l’unité centrale de sa chérie, dont le fils utilisera la console. Tous munis d’écouteurs, représentés par des avatars aux surnoms tous plus ingénieux les uns que les autres, nous devrons remplir des missions en évitant de nous faire tuer par un ou plusieurs saboteurs cachés parmi nous. Dès la découverte d’un cadavre, nous devrons nous défendre de l’accusation ou trouver et écarter l’assassin selon notre rôle. La partie risque d’être fort animée !

— Je ne savais pas que vous avez des parents ici, déclaré-je quand ma belle s’installe enfin sur le siège voisin.

— Sybille, ses enfants et nous sommes si proches et si chers que nous formons une famille. Nous sommes tous cousins, explique-t-elle en souriant alors qu’elle lève son verre pour trinquer.

— Roméo, Linda et l’autre mec font partie de la communauté, eux aussi ?

Elle éclate de rire devant ma mine étonnée. Je réprime une remarque pas très agréable et me contente de hausser les sourcils.

— Absolument ! Sauf Pierre, un joueur dans l’équipe de Cyril. Les deux premiers sont les petits chéris de Léandra. Tu vas les rencontrer ce soir sur le jeu, mais tu les verras demain, m’assure-t-elle avec un clin d’œil en s’appuyant sur mon épaule.

Je tressaille et grimace, mes coups de soleil n’ont pas encore déguerpit. Le visage de ma belle s’assombrit quand elle soulève mon tee-shirt avec délicatesse.

— Lukas ! Pourquoi ne m’as-tu pas demandé une crème pour tes brûlures ? s’indigne-t-elle.

— Parce que je n’ai pas mal, je mens d’un air effronté.

Par chance, les jeunes viennent à mon secours quand ils nous crient de rejoindre la partie. J’enfile mon vêtement à la hâte, enfonce les écouteurs dans mes oreilles et accepte l’invitation affichée à l’écran. Ma poupée me demande alors d’aller m’établir dans la cuisine, pour que je ne vois pas son écran. Cyril a déserté le salon et s’est réfugié dans sa chambre où il braille déjà.

La partie est très animée. L’un des saboteurs, Thomas, rapidement découvert à cause de son incapacité à retenir un petit rire quand il est accusé, est aussitôt éliminé. L’ourse se débat comme un fauve quand elle est soupçonnée, et sa fille réagit avec autant de hargne. Les chiens ne font pas de chat, c’est vérifié. John et son flegme légendaire n’impressionnent personne alors que Carly se défend de sa voix de petite fille qui manque de conviction face à celles des détectives en herbe. Je plaide en sa faveur avec véhémence, malgré mes sérieux doutes, et à mes dépens puisqu’au tour suivant, je suis le premier sur la liste de ses victimes. Désormais sans possibilité de jouer, je la rejoins dans le bureau et enlève son écouteur pour murmurer à son oreille :

— Tu sais que je vais me venger ?


*Maracuja : fruit de la passion.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Ysabel Floake ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0