26. Déménagement
Carly n’est pas venue me réveiller. Elle ne m’a pas invité non plus à prendre le petit déjeuner, pas plus qu’elle ne me demande d’aide pour charger la voiture en vue de la journée plage.
Les garçons chargent la glacière dans la voiture, le départ est imminent. Deux options s’offrent à moi : me présenter à eux, ou attendre que quelqu’un se rappelle mon existence. Je ne tiendrai pas longtemps, la patience n’a jamais été mon fort.
Et puis quoi ! C’est elle qui m’a laissé en plan, après tout ! Même si son refus de m’accorder sa confiance et le prix qu’elle me fait payer sa rancœur m’agacent profondément, je vais tenter ma chance et les rejoindre.
Ils sont à l’intérieur. C’est grave, je n’ose ni entrer, ni leur signaler ma présence sur leur terrasse !
Si elle s’entête à m’ignorer, elle devra se passer de moi pour sa virée.
Elle sort de sa chambre en trombe et sursaute quand ses yeux se posent sur moi, debout dans l'encadrement de l’entrée. Elle se ressaisit et parcours la distance qui nous sépare en souriant.
— Tu as bien dormi ? demande-t-elle après avoir déposé un baiser sur ma joue.
Pourquoi pas mon front tant qu'elle y est ! Son attitude insouciante et indifférente m’irrite et je le lui faire savoir :
— Non.
Les gamins anéantissent mes derniers espoirs d’amélioration de mon moral quand ils se ramènent à leur tour. Carly et moi n’allons pas pouvoir nous expliquer.
Elle me propose de conduire mais je n’en éprouve aucune envie. La plage et les cris qui me vrilleront les tympans ne me tentent pas, l’oppressante solitude du gîte non plus. Ma mauvaise humeur est partie pour me tenir compagnie la journée entière. Je ne m’en cache pas, au contraire, je l'exhibe en répondant à leurs interpellations par monosyllabes ou du bout des lèvres. Le paysage ne m’intéresse pas, de toute façon, il reste grisâtre malgré le soleil qui chauffe le véhicule. Si personne ne pense utile d’augmenter la climatisation, je vais être obligé de m’en charger.
Finalement, elle et moi, c’était foutu d’avance. Cette relation n’a pas marché la première fois, pourquoi nous serions-nous plus compris cette fois ? Je repars demain et aucun de mes efforts ne lui a suffit. Je ne vois pas ce que je pourrais faire de plus, alors que le préservatif n’était qu’un prétexte. Pourquoi m’a-t-elle posé la question ? Ne pouvait-elle pas le dérouler sur moi ? Dans l’état où elle m’avait mis, je l’aurais laissée faire avec plaisir.
Une bosse secoue la voiture et envoie mon nez cogner la vitre.
— Ils n’ont pas d’argent pour refaire les routes, ici !
*****
Dix heures. Il n’est que dix heures et deux interminables files de véhicules occupent les bas côtés de la route.
— Appelle John pour lui dire que nous sommes arrivés, commande Carlyanne alors qu’elle cherche des yeux la voiture de sa copine.
Il est toujours seulement dix heures et pas une place de disponible ! Les voitures défilent, au ralenti, à l’affût du moindre départ. Qu’est-ce qui fait de cette plage une telle attraction, alors que la municipalité n’a pas l’idée d’abattre quelques arbres pour construire un parking ?
Carly repère le Tucson de l’ourse et s’arrête derrière, en double file.
La grosse voix rauque de Sybille agresse mes oreilles bien avant qu’elle ne se montre, suivie par un John à l’air ravi et un Killian en pleine conversation téléphonique. Leurs embrassades me paraissent toujours aussi absurdes mais je m’y prête, à contrecœur, sous le soleil qui tape et la chaleur qui m’oppresse. Je ne veux pas être à l’origine d’une querelle.
Cette sortie représente une véritable expédition, pire, un déménagement ! Ils déchargent le coffre rempli de tables et chaises pliantes, entre autres sacs garnis de chips, vaisselle jetable et autres ustensiles.
Il fait chaud, trop chaud !
Un étroit chemin, entouré d’une végétation sauvage, taillé à force d’être foulé par les pieds humains, nous mène sur une sorte de place sableuse et fort ombragée. Plusieurs tables entourées d’inconnus occupent l’espace et je suis John jusqu’à notre emplacement où des tréteaux recouverts de planches, à leur tour tapissées d’une nappe en papier blanc nous attendent.
Le bruit que produit l’écume quand elle se jette sur le rivage attire mon attention vers une mer des Caraïbes limpide, aux abords turquoise et transparents, puis plus sombre à quelques mètres. Ce cadre enchanteur me coupe le souffle et je nous imagine, Carly et moi, enlacés dans ce lagon sous le soleil couchant.
Pour l’instant, les rayons de l’astre ravivent mes brûlures, malgré le tee-shirt qui cache mes épaules et la douleur me pousse à abandonner mon tee-shirt sur les grains dorés pour me précipiter dans cette infinité bleue aux reflets scintillants. Je n’ai pas frémi au contact de l’eau, dont la température doit avoisiner les trente degrés. Plus loin, la profondeur devrait m’apporter un peu plus de fraicheur. Serait-ce la Dominique qui se profile au large ? Carly m’a dit qu’on la distingue légèrement par grand beau temps.
Revenu dans le bassin turquoise où végétation et sable se partagent l’espace, les genoux sur le sable, je la cherche du regard. Des gens s’affairent sous les arbres, d’autres se reposent sur des chaises pliantes, et des enfants courent après un ballon. Un type qui ressemble à John approche à grands pas sans me quitter des yeux avant de se jeter sur moi et de m’entrainer sous l’eau.
Je me redresse, il me coule et je serre ses jambes sans reprendre mon souffle. Il se renverse à son tour, s’enfonce puis réapparait avant d’appuyer sur le haut de mon crâne pour m’immerger encore. Je parviens à m’échapper, m’éloigne et l’éclabousse fortement. Il m’imite. Nous batifolons ainsi jusqu’au moment où Léandra, sur le bord, nous fait de grands signes.
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