29. Esquissé

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Ma chérie me réveille quand elle verse une ligne de crème solaire le long de ma colonne. Ses mains enduites de pommade glissent jusqu’à mes épaules et massent chaque centimètre de ma peau. Je savoure la douceur de ses caresses puis roule sur le côté pour l’entourer de mes bras et la coller à moi. Elle se laisse faire en riant. Sa gorge déployée est un appel aux baisers auquel je ne résiste pas. Je respire d’abord son odeur, mais ma belle se jette sur ma bouche et m’embrasse fiévreusement.

— Pourquoi t’es-tu isolé ? s’inquiète-t-elle soudain en se soustrayant à notre étreinte.

Affalé sur le dos, je soupire.

— Tu as l’art de gâcher des moments tels que celui-ci.

Elle glousse d’un air malicieux puis s’agenouille avant d’entrelacer nos doigts et de m’obliger à me relever.

— Viens, ils nous attendent pour jouer. Tu crameras moins sous les arbres, conclue-t-elle en m’adressant un clin d’œil.

Tous assis autour de la table, ils me charrient à cause de ma sieste puis l’ourse me tend carnet et stylo avant d’expliquer le principe du jeu.

— Nous notons tous notre pseudo sur le folio, pour que ça reste anonyme et éviter les tricheries. Nous tirons chacun une carte, sans la dévoiler. Cyril, tu es le plus jeune, tu lances le dé. Deux. Nous écrivons sur la page suivante le mot numéro deux, puis passons encore à la suivante, où nous allons dessiner ce terme.

— En deux, j’ai un trait noir, annoncé-je, inquiet.

Pourquoi faut-il que le hasard s’acharne sur moi ?

— La chance ! s’écrient-ils tous en chœur.

— Pfff, c’est trop dur, râlent certains.

— Tu choisis ce que tu veux, explique Sybille. Oh ! Marion et Roméo ! On attend que le sablier soit retourné pour dessiner !

Je ne comprends pas le but du jeu. Élire le plus réussi ? Nous allons forcément voter pour notre propre croquis. Sauf si c’est interdit.

Je termine en premier et en surprends quelques uns en train de s’appliquer. Thomas réalise une BD, d’après ce que je vois. Il ne terminera pas.

— Fini ! crié-je en désignant avec fierté le sablier.

Ils grognent. Je jubile. Sybille annonce la suite, alors que je m’apprête à dévoiler mon esquisse.

— On cache l’ébauche et on passe l’album au voisin. On doit désormais écrire ce qu’à voulu représenter celui d’avant.

— On ne dessine pas, cette fois ? s’étonne John.

— Non, on attend le compte à rebours pour regarder le feuillet précédent puis on écrit après ce qu’on a deviné. On va faire le tour de la table comme ça, jusqu’à retrouver son pseudo.

Nous rions beaucoup à chaque étape, la réalisation bien souvent incompréhensible ou le travail nécessaire trop alambiqué pour une feuille si petite ou avec un temps si restreint.

Enfin, Dieu revient entre mes mains.

Un tour de table permet quelques explications, suite aux nombreux râles qui fusent quand nous découvrons les résultats. Accusations de coups bas et de vengeance sont criées par-dessus les justifications d’untel, tandis que machine se lamente parce que son mot était facile et qu’elle aurait dû remporter la partie. Moi, je suis déçu. Je n’avais pourtant pas cherché bien loin. C’est Carly, la première à avoir récupéré mon calepin, qui se trompe dès le départ.

— Lukas, tu avais choisi un ours en peluche, c’est bien ça ?

— Un ours polaire, Carly. C’était simple, non ? J’ai fait une ourse puis des flocons de neige !

— C’est un ours en peluche, Lukas ! Tu as même mis des peluches à côté !

Elle le fait exprès, ce n’est pas possible autrement.

— Ce sont des flocons de neige !

La table entière se tord de rire.

— Tu sais avec quoi tu peux gagner, Lukas ? s’esclaffe Thomas. Un soleil !

Pourquoi n’y ai-je pas pensé ? L’ourse polaire, c’était facile quand même, non ?

Le grizzly fait lever deux jeunes de la glacière pour proposer des boissons.

Le temps passe autour de plusieurs parties. Je n’en remporte aucune, mais les nombreuses taquineries dont je n’ai, par chance, pas l’exclusivité, ont remonté mon moral et amélioré mon humeur.

Il est temps de replier, la nuit tombera vite. Killian monte le volume d’une petite enceinte, passée jusque là inaperçue pour moi. Carly et Sybille organisent les glacières et sacs en se trémoussant sur des titres antillais, en créole. Ma poupée se rapproche sans me quitter des yeux, le balancement de ses hanches assez équivoque et plus subjectif encore quand elle se colle à moi, une main derrière mon cou. Ce type de danse, je sais faire. J’enlace sa taille et réponds à ses frottements. Elle s’échappe, rejoint sa copine, toujours en rythme, puis elles poursuivent toutes les deux la chorégraphie, très proches. Carly, deux femmes, je ne suis pas contre, mais pas celle-là. Les mères de famille auraient-elles oublié la présence de leur progéniture ? Les adolescents chantonnent alors que Léandra et son mari ne semblent pas très à l’aise.

— Les filles, les jeunes sont là, rappelé-je, incertain quant à l’accueil de ma remarque.

Ma femme revient vers moi, toujours en rythme avec la musique, colle ses lèvres sur les miennes avant de me répondre avec un clin d’œil :

— Ce ne sont plus des enfants. N’est-ce pas, Lukas ?

Nous rassemblons tables, chaises, glacières et sacs au bord de la route. Alors que Carly se prépare à traverser, je m’empare de sa main et la ramène sur le rivage où j’ai volontairement laissé ma serviette face à la mer.

— Nous devons les aider, et ils vont nous chercher, nous allons tous chez…

Mon doigt sur sa bouche, soutenu par mon regard que j’espère apaisant, l’invite au calme.

— J’ai prévenu John, qui a prévenu ta copine… Ils emmènent tes enfants, pour nous laisser un peu d’intimité. Nous les rejoindrons plus tard.

— Pas ici, Lukas, des gens circulent…

— Fais-moi confiance. S’il te plait.

Je dépose un tendre baiser sur ses lèvres pour la rassurer et l’incite à s’asseoir près de moi. Mon cœur explose de joie alors qu’elle pose avec délicatesse sa tête sur mon épaule et passe son bras sous le mien.

Le spectacle est splendide ! L’astre déploie ses couleurs sur le ciel dégagé. Son centre, d’un jaune intense, s’étire jusqu’à obtenir des couleurs pastel et s’étaler sur la ligne horizontale qui sépare la mer et le reste de l’univers. Ses rayons se font désormais trop faibles pour se refléter sur l’eau. Seule une bande jaune s’élance encore vers nous, déclinant peu à peu. C’est le moment, mon pote, dis-lui.

L’obscurité nous entourera complètement d’ici quelques minutes. Je sens bien que ma belle aimerait prolonger la beauté de cet instant, mais je connais aussi sa crainte d’ignorer où elle pose les pieds.

— Nous devons partir, ma chérie.

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