32. La porte
C‘est bizarre, on distingue à peine la maison de Sybille, du chemin. Pourtant, dans mon souvenir, on aperçoit ses lumières de la route. Carly progresse doucement pour éviter les ornières et les trous éparpillés sur la bande de remblai. Elle pianote rapidement sur sa tablette.
— Appelle Sybille, et demande-lui où ils sont, s’il te plait, dicte ma belle.
Je compose le numéro de mon bro sur mon téléphone et enclenche le haut parleur. Si je peux éviter de parler au glaçon, c’est parfait. Un déclic se fait entendre après plusieurs sonneries puis la voix de John franchit le haut-parleur.
— Hey !
L’ourse grogne derrière :
— Vous en mettez du temps ! Vous faîtes quoi ? Pardon, on ne veut pas savoir !
Contente de sa boutade, elle éclate de rire. Une vraie gamine ! Mon frère s’en amuse, je l’entends quand il reprend :
— On a tout déchargé, il ne manque plus que vous.
— Ouais, encore faudrait-il qu’on sache où vous êtes. On est garé devant la maison de ta gonzesse, râlé-je en me tournant vers la façade plongée dans l’obscurité.
— Chez les voisins, explique enfin mon ami. Là où il y a du bruit, c’est nous.
Il s’esclaffe à son tour. J’éteins mon appareil, regarde en direction de cris et de musique en provenance d’une piscine et aperçois les lumières clignotantes d’un portail qui s’ouvre.
— Viens, m’entraîne Carly alors qu’elle avance avec précaution vers sa meilleure amie qui se profile dans le halo.
— Richard et Mélodie ont dû partir d’urgence, nous informe la stalagmite, joyeuse. Il va devenir grand-père ! Ils nous ont laissé les clés, du coup, on va s’arranger pour dormir.
— Léandra et sa famille vont passer la nuit ici ? s’assure Carly, incrédule.
— Tu la connais, elle ne boit pas d’alcool. Elle préfère rentrer chez elle avec sa petite famille.
— Ok ! Pas de route à prendre pour nous ! se réjouit ma belle en tapant dans la main de sa copine. On va faire la teuf toute la nuit !
Je n’en reviens pas. Qui a changé ma Carly ? Je la suis avec curiosité et admire la vue.
Une sympathique piscine, éclairée, entourée de multipliants, nous accueille. Les jeunes y sont déjà réunis et s’éclatent bien, vu le raffut. Deux chaises longues recouvertes d’épais coussins sont abrités sous un carbet, en bout de bassin, près de l’accès à la propriété. Des dalles en pierre guident nos pieds, tandis que de petites lumières solaires tracent le chemin jusqu’à une terrasse à la luminosité cosy.
D’énormes fauteuils en bois brut attendent des occupants devant une belle table issue de la même châtaigneraie. Un tronc d’arbre auquel on a ôté l’écorce avant de le vernir fait office de banc. Magnifique, je suis bien forcé de l’avouer, malgré ma préférence pour la modernité. L’ensemble respire l’harmonie, des matériaux de construction de la résidence aux meubles, en passant par la décoration.
Sur la droite, un immense carbet protège une grande table carrée, cette fois en alu, et les chaises assorties.
Un passe-plat, entre le coin salon et la salle à manger extérieurs donne sur la cuisine et fait office de bar. Les bouteilles trônent déjà sur le plateau et les verres brillants me rappellent de ne pas trop m’éterniser sur l’agencement. Pourtant, un détail a attiré mon attention. Je remarque à peine l’immense canapé d’angle en lin blanc et gris qui se déploie à l'entrée, ne regarde même pas l'espace préparation des repas et me plante devant une porte. Extraordinaire ! Le fabriquant a déforesté le parc de Guadeloupe pour créer un truc pareil ! La taille et l’épaisseur m’impressionnent, mais plus encore les sculptures qui recouvrent toute la surface. J’ignore ce qu’elles représentent, mais, moi qui ne connais rien à l’art, je suis emporté. J’en veux une comme ça. J’essaie d’ouvrir, en vain. Sybille me surprend alors qu’elle se rend dans la cuisine et s’arrête pour m’observer.
— Qu’est-ce qu’il y a derrière ? m’intéressé-je, déconcerté par la qualité de la matière, du travail et le mystère que cache l’ouvrage.
— Peut-être le découvriras-tu, si tu te montres sympa, ce soir, susurre-t-elle à mon oreille avant de s’éclipser vers sa destination d’origine.
Que lui prend-il ? Je repousse les réponses ahurissantes qui émergent de mon imagination. Je préfère me concentrer sur l’objet de mon désir immédiat :
— À qui appartient cet endroit ?
— Pourquoi ?
Retour de la stalagmite. Je ne me laisse pas démonter :
— C’est une véritable œuvre d’art, confié-je en désignant l’accès clos de la main. Je veux connaitre l’artiste et passer commande.
— Je demanderai aux propriétaires. Encore une fois, si tu en vaux vraiment la peine, murmure-t-elle, défiante.
Elle se détourne et roule des hanches jusqu’à son antre, où elle récupère des glaçons, réclamés avec insistance par les invités.
Où est le piège ? Que me veut-elle ? Mon bro devrait-il se méfier ? Que suis-je censé faire ? Les femmes que j’ai l’habitude de fréquenter n’ont rien à voir avec l’ourse polaire, elles sont plutôt synonymes de feu. Sauf ma Carly. Elle, elle est belle, confiante, un peu timide et parfois réservée, imprévisible. Qu’est-ce que j… j’ai envie de la serrer contre moi.
Du plat de la main, je caresse une dernière fois les gravures et leur adresse un ultime regard quand soudain, un courant chaud m’envahit, me parcours, jusqu’au bout des ongles. Je recule précipitamment.
Tu devrais éviter de boire, ce soir mon vieux. Je secoue la tête pour chasser les sensations et sentiments étranges qui affluent, me concentre sur la voix de ma belle et me laisse guider jusqu’à elle.
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