Le dîner de famille des Baskerville

49 minutes de lecture

Genre : polar humoristique

Classement : tous publics

Date : 2019

Estimation de l'auteur : **** (un comique qui en perdra peut-être certains, mais qui mêlé à l'enquête plus terre à terre génère pour les personnages un certain attachement)


C’était une nuit sombre et orageuse, comme chaque nuit dans la pittoresque bourgade de Baskerville. On l’avait en effet nommée ainsi en raison de William Basker, poète romantique anglais en exil tristement tombé dans l’oubli, dont le patrimoine culturel n’était pourtant pas négligeable selon le maire et ses afficionados : de par ses treize poèmes, réédités régulièrement par la presse à imprimerie du bureau de tabac, il évoquait le suicide collectif et l’automutilation infantile avec un tel succès que même les groupes de metal de passage dans la région se signaient en passant devant sa tombe. Il fallait dire aussi qu’il ne s’agissait pas de n’importe quelle tombe ; il s’agissait d’un énorme caveau, à la limite du mausolée, qui surplombait le village du haut d’une sinistre corniche qui menaçait de s’effondrer depuis des années.

C’était une nuit sombre et orageuse, donc, une de ces nuits où les chiens hurlaient à la pleine lune miraculeusement épargnée par des nuages noirs et écrasants, où l’on entendait dans les bois les murmures de créatures mythiques en tous genres, ainsi que les cris du légendaire Homme Sauvage qui aurait hanté la grande forêt de sapin depuis cinq cents ans ; une de ces nuits où les rues se faisaient désertes, où l’électricité ne passait plus, où les toits des maisons menaçaient de s’envoler ; bref, une nuit tout à fait normale n’ayant rien qui pût inquiéter Sir Henry Williamson Baskerville Dugland, plus riche propriétaire terrien de la ville dont le manoir abritait une fortune aussi considérable qu’une belle-famille concupiscente. Notre homme était trapu mais vif, rusé, intelligent, costaud ; il avait appris toutes les formes de boxe et de nombreux arts martiaux, été consacré cinq années de suite champion de lutte toutes catégories confondues, mais nourrissait aussi une passion pour les armes, expert en couteaux, fusils et poisons : il fallait bien faire attendre un peu les autres pour l’héritage. Mais là où il se montrait le plus imposant, le plus effrayant et le plus imbattable, restait le concours de gloutonnerie annuel de la fête du solstice d’été : alors la foule terrorisée contemplait ces quatre-vingts kilos rassemblés en un mètre vingt s’approcher du gâteau de Madame Muscarine, union contre-nature d’une forêt noire, d’un pudding aux figues et d’une sculpture d’arts modernes ; cette gueule puante engloutir couche sur couche, étage sur étage ; ces naseaux aspirer la crème, dans un reniflement magistral ; puis, enfin, cet être couvert de miettes et de traces de glaçage pousser un rot tonitruant pour s’écrouler par terre, un sourire béat sur les lèvres.

Le reste de l’année, Sir Henry aimait à rappeler qu’il demeurait un aristocrate, voire, s’il était particulièrement audacieux, un être humain comme vous et moi. Il s’enveloppait dans d’amples costumes noirs et récitait à qui voulait bien l’entendre la poésie de son glorieux ancêtre maternel, tant adulé par la ville qu’on lui avait permis de prendre le nom de cette dernière. Il portait un haut-de-forme cabossé vers le haut mais qui gardait le mérite de cacher ses épais sourcils. Enfin, il exhibait fièrement sa rapière, une épée bâtarde — à la lignée quelque peu désargentée, comme il aimait à dire — tenant autant de l’absurdité géométrique que du couteau-scie. Et alors que celui-ci s’en retournait à son logis, il se plaisait à faire avec des moulinets gracieux, admirant cette lame qui malgré la rouille avait su ne pas perdre une once de son tranchant.

Il s’en allait gaiement, sifflotant la Marche Funèbre, quand il sentit dans son dos une présence morbide, qui s’accentua à mesure qu’il montait vers son manoir situé juste derrière le cimetière. L’être ne cherchait visiblement pas à se cacher ; il savait que c’était inutile. Non, celui-ci marchait d’un pas leste vers lui, courait presque, aussi décida-t-il d’accélérer le pas. La chose se précipitait vers lui à présent. Allons donc ! Elle veut une mort rapide ? Elle l’aura ! Et il se retourna et tira sa rapière.

Personne. Évidemment.

Décidément, les enfants de la ville étaient de petits farceurs… Et ils seraient bientôt comblés, étant donné que Noël était pour bientôt. L’homme soupira et gagna les dernières bâtisses ; des maisons de bric et de broc, de petits commerces vivotants, et enfin l’hôtel Raspoutine, où on lui dédiait une chambre pour ses récitals. Une grande bourrasque retentit avec des bruits de pas ; l’assassin était de retour.

Je n’arriverais pas au manoir à temps. Toquons à l’hôtel Raspoutine.

Il y arriva en quelques foulées et tambourina à la porte. « Bertrand ! Bertrand ! Ouvre-moi, pour l’amour du ciel ! » Il y eut quelques minutes de flottement, où il dût se contenter d’observer la ruelle déserte, caressant sa rapière en posture de combat. Puis il y eut un bruit très fort de succion de dents, et le vieux binoclard lui ouvrit de mauvaise grâce.

« Quéquecé ? Y’avait pas de récital nocturne, cette semaine !

— Rien à voir ! Une tentative d’assassinat !

— Allons bon ! V’là aut’chose. Y pourraient au moins attendre la fin des fêtes !

— Pas le moment de causer ! Il peut arriver d’une seconde à l’autre ! »

Bertrand grommela quelques mots comme quoi le meurtre n’était plus ce qu’il était, puis le laissa entrer et verrouilla la porte à double tour. Il lui ordonna d’aller se cacher à l’étage tandis qu’il verrouillait le passage secret et la porte de derrière ; celui-ci hocha vigoureusement la tête et s’élança dans l’escalier. Alors que l’hôtelier sortait les planches pour condamner les fenêtres, il entendit soudain des bruits de course à l’étage. Le tueur avait quand même réussi à rentrer, sûrement en grimpant à la gouttière. Furieux d’avoir été aussi naïf, l’homme s’apprêta à rejoindre son client, quand un cri strident lui infligea un réflexe de recul.

« Bertrand ! Bertrand ! Elle court… Elle court vers moi ! »

Suivi d’un râle qu’en d’autres circonstances, Sir Baskerville aurait trouvé délicieusement sinistre.


*


Le poignard alla se lancer dans l’écusson de Scotland Yard.

L’inspecteur Roger soupira et n’eut pas le courage de frapper la cible une nouvelle fois. L’adjoint Poirot passait le balai espagnol autour de son bureau, alors que le policier lui défendait en temps normal de décrasser son « vrai local de flic ». Mais pas aujourd’hui. L’inspecteur Roger avait la mélancolie.

« Quels sont les meurtres du jour, Arsène ?

— Les meurtres du jour ? Oh, trois fois rien, patron. Un hérisson sur la route de ce matin, un cochon pour la tuaille annuelle du village d’en face, quelques bouchers par les militants véganes du même village, et une ou deux morts à identifier par mesure de sécurité, à savoir une petite vieille de l’EHPAD et un gros lapin de clapier.

— Une petite vieille de quoi ?

— L’EHPAD. La maison de retraite. L’infirmière avait oublié de la sortir des toilettes et elle n’avait pas la force de tendre son cou vers le robinet. Elle est morte de soif en le regardant dans un calvaire qui a duré près de quarante-huit heures.

— C’est terrible. Pauvre lapin de clapier. »

L’inspecteur tourna et retourna le poignard suivant, puis s’en servit pour se curer les ongles.

« Mais tout cela ne nous offre pas la satisfaction d’une enquête bien juteuse. Allons, Arsène, as-tu une affaire scandaleuse, un viol, un vol, une arnaque, un trafic, une disparition ?

— Rien depuis l’affaire du grille-pain maléfique, comme vous l’avez appelée, patron.

— Il tuait les gens chaque fois que ceux-ci prenaient leur bain ! C’est bien une preuve de l’existence du paranormal. Note bien ça dans mes mémoires, Arsène ! (Un rictus s’était esquissé sur les lèvres gercées du vieux briscard, mais qui se fana aussitôt.) Mais le crime a l’air d’avoir pris ses vacances de Noël. Chienne de vie.

— Et c’est tant mieux, patron. Les gens pourront célébrer les fêtes sans craindre pour leur peau !

— Un petit meurtre, juste un ! Ça m’occupe l’esprit et ça fait une livraison en moins pour Santa. Tout le monde y trouverait son compte !

— Écoutez patron, concernant le père Noël, ça va peut-être vous étonner, mais… »

On frappa à la porte. « Télégramme ! » L’inspecteur Roger faillit avaler sa pipe. Il n’y avait qu’une adresse qui envoyait encore des télégrammes.

« Scotland Yard ! Ces minables veulent encore me délocaliser dans un trou encore plus paumé ! Mais ça ne se passera pas comme ça ! Arsène ! Prépare le tromblon !

— Écoutez, patron…

— Et toi, misérable suppôt du crime, ôte-toi de mes yeux avant que je n’éprouve plus l’envie de t’épargner !

— Heu, je ne suis que le facteur…

— Arsène ! Ce tromblon, il vient ?!

— Patron, ne trouveriez-vous pas plus raisonnable de…

— Vous aurez mon bureau, vous aurez ma pipe, mais vous n’aurez pas ma liberté de penser !

— Patron ! Scotland Yard veut peut-être vous confier une affaire !

— Une affaire, dis-tu ? Impossible !

— Ça vaut le coup d’essayer ! Alors lisez ce télégramme et descendez de ce bureau, vous allez briser l’ampoule, avec ce sabre. »

Roger soupira un bon coup et déplia la lettre.


PROBLÈME BASKERVILLE PAS BON TIMING STOP

SIR HENRY WILLIAMSON BASKERVILLE D. ASSASSINÉ STOP

TOUS NOS INSPECTEURS PARTIS EN CLASSE DE NEIGE STOP

N’AVONS PLUS QUE VOUS ET POIROT STOP


L’inspecteur sourit comme un enfant face à un train électrique.

« Joyeux Noël, Arsène…

— Vous allez m’offrir une augmentation ?

— Mieux que ça ! Nous partons pour Baskerville ! »


*


La première chose qui frappe aux alentours de Baskerville est son paysage austère. Tout n’est que forêts torturées, cataractes et montagnes escarpées ; les éboulis et avalanches arrivent en permanence. Les châteaux en ruine sont légion ; pas de hameau sur dix kilomètres pourtant.

« C’est un endroit absolument idyllique, Arsène ! dit l’inspecteur alors qu’il prenait la route en zigzags tout en jetant un œil au prospectus de l’office de tourisme. Savais-tu qu’il existe dans la région plus de légendes que dans l’ensemble de la France réunie ! Prends la Procession de Spectres, qui se réunit tous les 666 jours, la nuit d’Halloween…

— Dites, patron, la nuit d’Halloween ne tombe pas tous les 666 jours.

— C’est une légende, Arsène. Oh ! Et l’histoire de la lamie-succube du monastère de Saint-Sébastien ! On raconte même qu’il y a un carnaval de chevaliers sans tête…

— C’est très intéressant patron, mais regardez la rouuuute ! »

L’inspecteur tourna le volant juste à temps pour éviter le camion qui arrivait, tout en se rappelant soudain qu’il conduisait sur le bord d’une falaise. Celui-ci cligna des yeux, la voiture resta suspendue une seconde en l’air, puis dégringola dans un concert de hurlements.

Quelques tonneaux plus tard, Arsène Poirot cracha des morceaux de vitres brisées et des aiguilles de sapin, et leva les yeux juste à temps pour voir le camion les rejoindre.

« Chauffard ! vociférait Roger suspendu à une branche. Crétin ! Moule à gaufre ! Iconoclaste !

— Oooh je suis désolé, gémit le conducteur en sortant de sa voiture. Vous n’avez rien ?

— Quelques grosses plaies et des bleus qu’on est pas près d’oublier, répondit Poirot. Et vous ?

— J’ai bien dû me casser un bras et une jambe.

— Eh bien parfait ! dit l’inspecteur. Ça vous fait encore deux membres pour me remorquer à la clinique la plus proche !

— Patron, je pense qu’il vaudrait mieux ne pas importuner…

— Oh mais je comprends, je comprends totalement. On a tous nos petits tracas. (Le camionneur écarta quelques branches des sapins qui avaient amorti leurs véhicules, se laissa tomber à terre et aida l’adjoint à descendre.) Moi, c’est Hervé. Hervé la Bonne Pomme. »

Arsène lui serra vigoureusement la main. L’homme avait un visage poupin et une vieille casquette élimée. Un vieux mégot traînait au coin de sa bouche mais ses yeux pétillaient comme ceux d’un enfant. « Oooh, je suis tellement, tellement content qu’il y ait de braves gens pour s’intéresser à notre vieille ville ! Si vous saviez depuis le temps que plus personne ne vient !

— Dites, excusez-moi de briser votre romance, mais y’en a qui voudraient descendre de leur branche !

— Oooh, je vous ai oublié, monsieur l’inspecteur ! Je suis tellement désolé, désolé, désolé. »

Hervé secoua l’arbre et Maître Roger tomba comme un fruit bien mûr.

« Âââârgh, mon postérieur ! Combien de poètes maudits chanteront le sort infortuné de mon séant ! Tout ça à cause de cet abruti qui ne sait pas grimper. Chienne de vie.

— Patron, il avait déjà des fractures et il vous a malgré tout fait descendre, je pense que…

— Taratata, Arsène ! Que cet autochtone me conduise vers l’endroit civilisé le plus proche, j’ai plus que besoin d’un remontant.

— Oooh, je vais pouvoir vous montrer notre station-service ! Elle est un peu délabrée, mais je suis sûr que vous vous y plairez…

— Elle est encore en activité ?

— Oh oui, monsieur Arsène ! Les deux tenanciers étaient tellement tristes de ne plus avoir de clients, ils vont être tellement, tellement contents ! »

Hervé fit un grand geste et grimaça salement.

« Vous devriez aller vous soigner, mon vieux. Des os cassés, ça n’est pas rien.

— Oh oui, mais avant cela, je voudrais offrir un verre à mes deux nouveaux amis ! »

L’inspecteur Roger ouvrit la bouche, mais, sous la promesse d’une boisson, la referma.

Dix-huit verres et quatre-vingts-dix-neuf chopes plus tard, Hervé la Bonne Pomme régla l’addition.

La station-service de l’aire des Arums Titans était en fête. Enfin, façon de parler. Sur la terrasse, trois clients dont un particulièrement prolifique venaient de se matérialiser sous les yeux hébétés des tenanciers Philéas et Théodule. À l’intérieur, on avait consenti à une petite guirlande électrique qui rutilait entre les éclairages poussiéreux. Quelques tabloïds exhibaient dans la vitrine leur lot habituel de tenues affriolantes accompagnées de la femme qui les faisaient ressortir ; ailleurs, un énième magazine de motos vantait les mérites d’un déménageur qui ressemblait physiquement à un mélange improbable de Renaud et Johnny.

« Alors vous venez pour le meurtre, c’est bien ça ? C’est terrible, qui aurait bien pu en vouloir à ce brave Sir Baskerville D. ?

— Un assassin, une sinistre crapule de la plus pure engeance ! Mais je mettrais la main dessus, aussi vrai que je me nomme Roger, inspecteur Roger !

— Mais je n’en doute pas, j’ai toujours fait confiance à la police. Tout le monde devrait être comme vous, des gens aimants et bien attentionnés !

— Je n’en doute pas une seule seconde, intervint Philéas, c’est pourquoi vous aideriez bien deux tenanciers dans la misère… »

Il leur tendit un mug IBaskerville et un maillot They’d come to Baskerville and they just bring me back this lousy T-shirt ! ; Théodule à côté de lui adressait un sourire mercantile qui aurait effrayé un requin.

Arsène leva les yeux vers l’arrière-boutique, étonné.

« Tiens, qu’est-ce que c’est que ce masque, tout au fond ?

— Ça ? Oh, le masque de Tata Sorcière Grandes-Jambes, une tradition folklorique. Chaque année, on brûle un épouvantail à son effigie, en souvenir de cette ogresse qui dévorait les petits enfants. La légende veut qu’elle revienne encore la nuit emporter les polissons, les pisse-au-lits…

— … les avares…

— … bref, tout ce qui jure avec notre belle ville de Baskerville. Je vous l’emballe ? Ça vous fera un petit supplément.

— Il n’a jamais été question de l’achet…

— Moi, je le veux bien ! s’écria Roger. Avec ça, je pourrais faire des farces à ma secrétaire, si jamais j’en ai une… et à toi, mon bon Arsène !

— Patron, votre vision de la professionnalité n’aura de cesse de me surprendre.

— Adjugé, vendu ! s’exclama Théodule en bondissant vers le comptoir. Cela vous fera la modique somme mirobolante de 59,99 €, TVA non comprise, autant dire qu’à ce prix-là, on se tranche la gorge.

— Patron, je me demande s’il est bien judicieux…

— Allons, allons, mon bon Arsène ! Apprivoisons donc la région où nous devons séjourner. Ce soir, nous ne sommes pas des inspecteurs rejetés en crétins et en parias par Scotland Yard ; nous sommes de riches citoyens du monde voulant découvrir les coutumes locales. »


*


« Des crétins d’inspecteurs rejetés en parias par Scotland Yard déguisés en riches citoyens du monde voulant découvrir les coutumes locales ?! »

Sir Philémon Williamson Baskerville Dugland envoya son sourcil gauche prendre un peu d’altitude.

« Ooooooohhhhh, laisse donc, chéri ! clama Lady Veronica sa femme. Ils seront peut-être âmusânts !

— Ça y est, bougonna André-Edmond de la Frenaie Baskerville. Le vieux a clamsé, et il faut qu’on se farcisse l’enquête avant l’héritage qui aurait pu tomber juste à Noël.

— Un peu de tenue, je te prie ! caqueta Renée-Charlotte sa mère. On ne dit pas « le vieux a clamsé », on dit « notre vénéré parent a enfin eu la décence de mourir ».

— Il est vrai que je n’aurais pas supporté encore un concours de gloutonnerie, soupira Philémon.

— Tonton Henry Williamson était un monsieur vilain, vilain, vilain ! piailla Ursula-Éléonorine, la petite sœur d’André-Edmond. Il ne se curait même pas les pieds comme il faut !

— Moi j’l’aimais bien, marmonna Lord Norton Blacksheep, une branche de la famille si éloignée qu’on ne lui avait même pas octroyé le titre de Baskerville. L’avait d’chouettes bières.

— Monseigneur Lord Norton, on ne vous a pas demandé votre avis.

— Très juste ! » Et il replongea sa tête dans le plat de coq au vin.

« Allons, allons, que tout cela ne gâche pas nos fêtes ! s’exclama Renée-Charlotte. Nous allons passer un très bon Noël, avec un repas de famille à la hauteur des précédents !

— Mmmmblblblbl grmmmblblblbl, marmonna Lord Norton des tréfonds de son assiette et de son ivresse permanente.

— Fermez-la, Lord Norton.

— Ouiiiii, sourit Lady Veronica en mettant en valeur son huitième lifting. Nous allons tous faire la fffête, et gonfler des ballons ! ce sera rigolo !

— On veut pas gonfler des ballons ! On veut se rouler sur l’or du vieux schnock !

— André-Edmond, ton vocabulaire est absolument insupportable. J’appellerais Joséphine qu’elle te donne quelques coups de martinet bien mérités.

— Le petit a raison ! fit remarquer Philémon. Nous avons besoin d’argent pour rembourser nos dettes de jeu et avoir pour nous tous seuls ce satané manoir ! Et surtout ne plus jamais, jamais subir ces maudits récitals !

— Mouâ, je les aimais bien, chéri. » Lady Veronica était typiquement ce genre de vieilles tantes qui ne se contentent pas seulement de vous pincer la joue, mais aussi d’y appliquer une double torsion.

« Et voilà que la police vient tout compliquer ! soupira son mari.

— Allons, fit Renée-Charlotte. De toute manière, personne ici n’aurait assassiné ce pauvre Sir Henry ? »

Un silence glacial se fit et la vingtaine de convives se dévisagea avec un air disant sur chaque visage : Non, quand même, vous n’auriez pas fait ça ?!

« Allons, allons ! fit Philémon. Si parmi vous quelqu’un a usé des méthodes peu orthodoxes pour obtenir l’héritage, qu’il parle à présent ou nous nous verrons obligés de trouver un bouc émissaire ! »

Personne ne répondit.

« Très bien. Lord Norton, accepteriez-vous de vous sacrifier pour l’honneur des Baskerville ?

— Mblblblbl blblblbl mmmh.

— Levez la tête de votre assiette.

— Je disais : Tout c’que tu veux, mon p’tit pote !

— Vous pouvez l’y remettre. »

Lord Norton ne se fit pas prier et l’une des cuisses du coq alla voler derrière la table.

« Bien. Désormais, c’est Lord Edward Norton le coupable, et nous sommes tous plus innocents que l’agneau qui vient de naître. C’est compris ?

— Compris, dirent les convives à l’unanimité.

— C’est pourquoi il vous faudra faire disparaître tous les graffitis obscènes représentant notre regretté Sir Henry.

— Compris.

— Ainsi que les accessoires de rituel vaudou visant à son intégrité.

— Compris.

— Ainsi que toutes les traces de sang résultant des précédents complots.

— On a toute l’eau de Javel qu’il faut, chéri.

— À présent, motus et bouche cousue, je m’en vais voir notre vénérable inspecteur. »

Philémon enfila chapeau et canne, puis partit sur les lieux du sinistre.

L’inspecteur Roger était déjà bien occupé avec du scotch jaune dont il s’emberlificotait les doigts. Il avait chargé Arsène de le couvrir de rayures noires et d’inscriptions Crime scene. Do not cross ; le jeune homme peignait donc sous le regard sceptique de Bertrand.

Sir Robert Henry Williamson Baskerville, dans la mort, était encore plus laid qu’en vie : ses yeux exorbités surmontaient une bouche entrouverte d’où sortait un filet de bave verdâtre ; son corps raide et déjà gris gisait désarticulé ; son dos avait été percé par l’aiguillon d’un énorme escarpin rouge.

« Ainsi donc, hôtelier Bernard, vous dites que ses derniers mots furent « Elle court, elle court vers moi » ?

— Je m’en souviens comme si c’était hier. Ce qui est le cas, d’ailleurs.

— Bien, très très très bien. Faites entrer les suspects ! »

On traîna Lord Norton et une jeune blonde à la tenue extravagante. Son pied gauche était en chaussettes ; l’autre portait un jumeau de l’escarpin.

« L’honorable Lord Norton, et Ophélie Lacocotte, les deux seuls résidents de l’hôtel en ce soir tragique ! présenta Phil avec l’approbation de Bernard.

— Je vois cela, dit l’inspecteur. Lord Norton, que faisiez-vous dans la région ?

— Moi ?! Bah j’étais tel’ment torché que chuis allé crécher dans l’rez-d’chaussée, pasque j’avais plus la force de m’traîner jusqu’au manoir !

— Très bien. Et vous madame Lacocotte ?

— Moi ? Oh, eh bien, je passais dans la région pour fêter Noël avec ma pauvre mère, et naturellement, j’ai mis mes tenues de gala… »

L’inspecteur Roger hocha la tête et se mit à tourner en rond, lâchant de temps à autre des « très bien », des « je vois », et des « chienne de vie ». Puis il leva la tête et s’exclama enfin :

« Ça y est, j’ai la clé du crime !

— Ah oui ? demanda Bertrand.

— Minuit. Sir Robert Henry entend des bruits de pas, il sait qu’on vient l’assassiner. Il se précipite à l’étage de l’hôtel Raspoutine, et, exténué, part se coucher dans la chambre la plus proche. Cette chambre se trouve avoir appartenu à une bourgeoise de passage ayant oublié de toute évidence cet escarpin au prix sans doute exorbitant. Pris de fantaisie, celui-ci se décide à l’essayer. L’assassin entre à cet instant précis, Robert se lève et lâche l’escarpin, celui-ci rebondit et lui transperce le dos juste au moment où il fait volte-face. L’assassin l’achève en… en…, l’assassin l’achève, et il s’agit de Lord Norton !

— De quoi ?! s’égosilla l’intéressé.

— Mais oui ! Cela concorde avec votre alibi ! Vous vous trouviez dans cet hôtel, or vous étiez dans un état d’ivresse, ce qui vous aura poussé très certainement à tuer le malheureux !

— ‘Scusez-moi, fit remarquer Bertrand, mais vu l’arme du crime qu’on a d’vant les yeux, ce serait pas plus judicieux de… enfin, de suspecter un peu plus mam’zelle Ophélie ?

— Dites-moi mon brave, connaissez-vous la théorie du rasoir d’Ockham inversé ?

— Eh bien, Ockham était un philosophe qui disait qu’il fallait couper toutes les hypothèses les moins probables par un rasoir métaphysique, si je me souviens bien.

— Tout juste, or nous savons cet axiome, l’assassin le sait aussi, et l’assassin sait que nous le savons. Il va donc faire en sorte de dissimuler son meurtre derrière des apparences évidentes. Conclusion : dans une enquête, ce sont toujours les hypothèses les plus absurdes qui sont privilégiées !

— Mais la police peut pas comme ça…

— Allons Bertrand, dit Philémon, laissez donc faire les professionnels.

— Très juste. Arsène, les menottes.

— Patron…

— Tu m’en parleras plus tard ! Qu’on coffre cet individu au poste, le temps de remplir la paperasse.

— Monseigneur Roger, vous nous fûtes d’une grande utilité, dit Philémon, c’est pourquoi permettez-moi avant que nous partions de vous exprimer notre plus humble reconnaissance.

— Ah mais pas question ! On reste ici !

— Vous restez ?!

— Oui ! Nous n’avons ni hôtes ni argent pour fêter Noël ! Et pour vous avoir tiré cette épine du pied, je suppose que vous nous offrirez bien un petit dédommagement ?

— Hum… Hum… Naturellement, mais…

— Alors que l’on prépare le champagne et votre meilleur vin ! C’est un ordre de la police. »

Sir Philémon bredouilla, bafouilla, cafouilla, mais céda. Cela plairait sans doute à son excentrique de femme…

« Et sur ce, que l’on m’indique le bar le plus proche ! Je m’en vais fêter cette fin d’enquête. Arsène, tu as quartier libre.

— Merci, patron.

— Je connais quelques adresses qui vont bien t’plaire, mon gars.

— Merci, Lord Norton. Je profiterais de l’apéro pour votre interrogatoire. »

Arsène descendit dans la rue, Ophélie sur les talons.

« Dites, votre ami… Il est un peu… space, comme on pourrait dire…

— Mon ami ? C’est l’inspecteur Roger. Je ne sais pas si on peut se faire l’ami de ce genre de types. S’en enticher, malheureusement oui.

— Cela vous fait toujours un peu de compagnie. Dans le monde du faste et du luxe, tout est toujours trompeur, mensonger, superficiel, tout vous donne envie de sortir de ses gonds…

— … et de commettre un assassinat.

— Oh, adjoint Poirot ! Je sais que les apparences sont contre moi, mais ce n’est pas du tout…

— Je n’en doute pas une seule seconde. Vous n’êtes pas plus coupable que Lord Norton. »

Ophélie écarquilla ses grands yeux.

« Et si nous allions nous boire un café ? »

L’adjoint Poirot semblait d’un coup plus amical, moins effacé. Il paya à la jeune fille un chocolat chaud tandis que lui se servit une tisane de camomille. Un léger sourire aux lèvres, il s’étira un bon coup.

« Eh bien dites-moi mademoiselle Lacocotte, cet accoutrement n’est pas bien chaud pour l’hiver.

— Oh vous savez, comme diraient mes amies : j’ai pris ce qui m’est tombé sous la main.

— Ma foi, c’est agréable à l’œil. Vous travaillez dans la mode ?

— Moi, dans la mode ? (Elle eut un grand rire inimitable.) Jamais de la vie ! Je m’occupe juste d’une clinique un peu huppée dans le XVIe, voilà tout.

— J’ai toujours moi-même été fasciné par la médecine, voyez-vous ! C’était ma troisième obsession enfant, après la classification des lépidoptères et les trains électriques !

— Vous classifiez des lépidoptères ?

— À vrai dire je classifiais un peu n’importe quoi. Les portières de voiture, les triangles isocèles, les portes de bouche d’égout ; mon père disait que j’avais l’œil pour tout et n’importe quoi.

— Dites, vous n’auriez pas étudié à la maternelle Robespierre ?

— Mais si, et vous ?

— Nous étions dans la même classe !

— Mais oui, ça me revient ! Vous me preniez par les cheveux et vous me forciez à avaler la pâtée du pitbull du directeur ! Après ça il flairait l’odeur et me courait après dans toute la cour…

— Vous ne vous imaginez pas comme je m’en veux…

— Oh, mais je vous ai bien rendu la pareille ; le jour où nos mères se sont invitées et nous ont fait dormir dans la même chambre, j’ai versé de la Javel dans votre shampooing ! »

Ils s’esclaffèrent.

« Et maintenant, nous en sommes là…

— Ouais. »

Elle lâcha un ricanement nerveux.

« Après tout ce que nous avons vécu, je suppose que nous pouvons nous tutoyer…, fit-il remarquer.

— D’accord, adjoint Arsène. Alors, c’est quoi qui m’a innocentée à tes yeux ?

— Tu dormais au rez-de-chaussée à ce moment selon le livret des réservations. Tu t’es levée en entendant Robert et Bertrand dans le couloir, et puis tu t’es précipitée en entendant les cris. Tu en as oublié de mettre ton deuxième escarpin et la procédure ordonne que les suspects gardent le même habit jusqu’à ce qu’on ait examiné la scène de crime. Sir Robert est mort d’un poison fulgurant qu’on l’a forcé à ingurgiter comme en témoigne le filet de bave verte. L’escarpin n’a été mis qu’après : ça saignait à peine et il était fait pour le pied droit ; ça ne pouvait donc pas être le tien. De toute façon, comment aurais-tu pu lui courir après avec des talons pareils ? Ce qui ne signifie qu’une chose : l’assassin voulait te faire passer pour la coupable.

— Mais pourquoi ?

— Ça, je n’en sais fichtre rien. Dis-moi, Ophélie, est-ce que tu trempes dans des affaires louches ?

— Non, je t’en fais le serment.

— Ta mère, alors ?

— Jamais de la vie.

— Un comportement suspect, une parole bizarre ?

— Voyons… Une fois, elle m’avait dit que…

— Arsène ! Arsène ! C’est épouvantable ! »

L’inspecteur Roger déboula une chope à la main.

« C’est Lord Norton ! Il m’a ébriété durant mes heures de service et il en a profité pour s’enfuir ! Un criminel est en cavale !

— Écoutez, patron, ça n’est jamais qu’un pauvre bougre…

— À moi aussi, il m’avait d’abord paru bien sympathique, mais vois sa fourberie ! Qu’allons-nous faire désormais ?

— Euh… Prendre des mesures ?

— Très bonne idée, Arsène ! Mais encore ?

— Prendre d’autres mesures !

— Non, imbécile ! Organiser une immense battue ! Il faut mettre un terme à ses agissements, aussi vrai que je m’appelle Roger, inspecteur Roger !

— Mais vous croyez vraiment que…

— Garde tes blagues idiotes pour plus tard ! Je vais tout de suite prévenir les Baskerville ! »


*


« Une battue ? s’exclama Philémon.

— Exactement, renchérit l’inspecteur Roger. La police locale étant… eh bien, à vrai dire inexistante, nous allons donc devoir compter sur nous-même et le volontariat des citoyens.

— Oooooohhhh ! Ûûûne bâttue ! Une chasse à l’hôôômme ! Comme c’est charmant ! Est-ce que nous aurions le drouât de le chasser comme à la châsse à courre ?

— Ma foi, Lady Veronica, tous les moyens sont bons pour combattre le crime.

— Nous serons de la partie ! N’est-ce pas, mon Fifi ?

— Eh bien, Veronica… Heu… Bon, c’et d’accord.

— Et je suis sûre que les enfants seraient ravis d’y participer ! André-Edmond, Ursula-Éléonorine ! Que diriez-vous d’aller vîîîvre une aventure fôôôllement excitante ?!

— Une petite fille bien élevée ne se salit pas les mains du sang des autres personnes.

— Je déteste devoir guetter une proie en plein hiver, fût-elle intéressante.

— De toute façon, les mineurs ne vont pas courir des risques pareils ! Allez les enfants, au lit !

— Arsène, ne décourage pas de jeunes personnes de rendre service à la justice.

— De toute manière, la chasse à l’homme est indigne de la conduite d’un gentilhomme, fit remarquer Renée-Charlotte. À quoi bon du moment que le peuple peut s’en occuper ? »

Toute la famille Baskerville se montra pour le reste très enthousiaste quant à l’idée de tuer Lord Norton Blacksheep. À quoi bon s’encombrer de cet ivrogne, en perpétuel coma éthylique, qui empestait l’alcool et qui ne devait sa place parmi eux que pour un honneur envolé désormais que tout le monde savait qu’il était coupable ? Il était temps de se débarrasser des vieilleries !

Trois quarts d’heure plus tard, la charmante petite famille et l’ensemble du corps de Scotland Yard actuellement en service se rendaient, fusils en main, traquer le poivrot dans l’épaisse forêt de sapin. L’air était frais mais loin de s’avérer glacial, la neige dégoulinait des branches d’arbres et crissait sous les bottes. La vision du sang s’épandant sur la glace immaculée serait sûrement très romantique.

« Aaaaaahhhhh, fit Lady Veronica enroulée dans ce qui semblait un assemblage de toutes les fourrures du monde : ours, hermine, vison, blaireau, et sans doute même kangourou. Quoi de mieux qu’une petite garden-party juste avant Noëëël ? J’en viendrais presque à regretter qu’il n’y ait pas davantage de crimes !

— Gardez-vous de l’ouvrir dès maintenant, maugréa l’inspecteur Roger, la chasse à l’homme est une affaire sérieuse et nous ne voudrions pas effrayer le gibi…

— POOL ! »

En un clin d’œil, toute l’aristocratie tira la moitié de ses cartouches. Un malheureux rouge-gorge se transforma en feu d’artifice, répandant un bout de boyau par-ci, un morceau de bec par-là. On se félicita de la justesse du tir, de la bravoure des hommes. Tout cela fit un bruit monstre et pour une fois, l’inspecteur et l’adjoint s’accordèrent pour lever les yeux au ciel en même temps.

« Idiots ! Vous avez fait fuir Norton, si jamais il lui est venu l’idée de se cacher deux kilomètres aux alentours ! Nous n’avons plus qu’à rentrer chez nous ou progresser très loin dans le froid. Chienne de vie !

— Inspecteur, lâcha Philémon, vos lubies commencent à me courir sur le haricot.

— Ôôôôôôhhh, j’ai une meilleure idée. Nous allons profiter d’être dans les bouâs pour jouer à un petit jeu très amusant : colin-maillard !

— Eh bien ma foi, si c’est tout ce qui nous reste à faire…

— Enfin, patron, nous n’allons quand même pas nous abaisser à faire ça !

— Arsène, je t’en prie, ne contredis pas l’aristocratie si nous arrivons sur la même longueur d’onde.

— Houuuwi ! Laissez-moi vous bander les yeux, inspecteur, à l’écart de la plupart d’entre nous excepté mon mari, nous allons bien rire…

— Patron, ne les laissez pas faire ça alors que tout le monde a un fusil !

— Arsène, ne sois pas stupide ! Le coupable, c’est Lord Norto…

— LORD NORTON ! JE VIENS DE L’APERCEVOIR, LÀ-BAS ! »

Il y eut une première rafale et Roger eut tout juste le temps de voir une ombre fuir entre les arbres. Il se précipita, Arsène tentant en vain de le retenir. Mais le vent se levait et avec lui les flocons. Bientôt, les deux compères se retrouvèrent désorientés.

« Lord Norton ! s’écria Arsène. Allons, venez, Lord Norton ! Tout le monde a des fusils qui pourraient vous blesser ! Vous avez une chance de vous en tirer sain et sauf !

— Jamais ! Jamais d’la vie je me rendrais !

— Même si je vous offre à boire ?

— Marché conclu !

— Allons, sortez de votre cachette ! »

Norton fit quelques pas de derrière un rocher. Arsène avança vers lui, mais celui-ci l’empoigna et le plaqua au sol.

« Où elle est, la bouteille ?! Où elle est, mon p’tit gars !

— Écoutez, Lord Norton, pas tout de sui…

— Recule, créature démoniaque ! s’écria l’inspecteur en brandissant son fusil. Rends-toi ou disparais dans les profondeurs de la nuit, abomination croquignolesque, ou bien je…

— Patron, nous sommes en plein jour.

— Tais-toi, Arsène, laisse-moi finir ! Bon… Où j’en étais ? Hum…

— ELLE EST OÙ LA BOUTEILLE ?! »

Un hurlement strident fit soudain se raidir l’ivrogne. Il prit la fuite alors que les deux policiers regardaient dans la direction d’où venait le cri.

« Quel idiot je fais ! s’écria soudain Arsène. Ce poivrot en a profité pour prendre mon pistolet…

— Allons, dit l’inspecteur, nous en parlerons plus tard ! Notre devoir nous attend… »

Et le devoir gisait quinze mètres en contrebas, au milieu de la neige, les yeux révulsés à vingt mètres de son fusil. De sa bouche coulait un filet de bave verte.

L’inspecteur Roger resta les bras ballants, puis marmonna :

« Chienne de vie… »

On venait d’assassiner Sir Philémon.


*


Philéas leva les yeux de par-dessus les rayonnages.

Arsène Poirot venait d’entrer, avec la mine de quelqu’un qui vient de boire beaucoup, beaucoup trop de café pour son propre bien. Il se cala contre un mur et se roula une cigarette : l’adjoint fumait rarement, mais il n’y manquait pas lorsque l’occasion était justifiée.

« C’est interdit de fumer dans les locaux », fit signaler le commerçant. Un sourire d’appétit se manifesta soudain sur son visage rond : « Sauf si vous êtes consentant pour une petite amende.

— Je voudrais un livre sur les poisons ou la lignée des Baskerville, dit Arsène. Vous êtes les seuls ici à présent que nous avons épuisé la mairie et la bibliothèque du manoir où trouver facilement de la littérature et notre enquête a des complications.

— De quel genre ?

— Je crois bien que nous avons affaire à un sériole-killeuw, clama l’inspecteur Roger en débarquant à son tour. Ou du moins un complice de Lord Norton.

— Écoutez, je ne sais pas si nous avons ce qu’il vous faut en rayon, mais vous pouvez toujours regarder dans l’arrière-boutique… Sans indiscrétion, que s’est-il passé exactement ?

— Sir Philémon s’était éloigné des autres en croyant traquer Norton, et sa femme est partie à sa poursuite. Elle l’a perdu de vue quelques secondes, puis affirmé le voir au loin plaqué contre un rocher par quelqu’un d’autre. Cette personne lui tendait un liquide verdâtre et portait un masque blanc…

— Un peu comme celui de Tata Sorcière Longues-Jambes ?

— Pourquoi pas, après tout ? C’est une piste envisageable.

— Dans ce cas, il vous faudrait aussi regarder au niveau des légendes locales. Je vous conseille vivement le tombeau de William Basker.

— Pourquoi ça ?

— Parce que c’est une véritable bibliothèque ! À chaque mort, mariage et naissance, on grave les noms et les dates de la personne contre la pierre, et on y trouve toutes sortes de bas-reliefs inspirés du folklore de la terre d’adoption du poète maudit.

— Allons-y tout de suite !

— Attendez ! Ce tombeau est un véritable labyrinthe miniature ! Vous aurez besoin d’un guide grassement payé pour cela… D’ailleurs, si cette information pouvait me faire valoir un petit pourboire…

— Nous vous embauchons sur-le-champ !

— Très bien, dans ce cas, si vous voulez bien signer ceci… »

Philéas et Théodule leur apportèrent un énorme contrat qui aurait fait passer le Code du Travail pour un Post-it. Arsène Poirot haussa un sourcil et se mit à lire : « En cas de décès imprévu du signataire, celui-ci dénie toute responsabilité de la part du propositeur du contrat… Celui-ci décline tout recours en justice ou appel de la part des assurances… Qu’est-ce que c’est que ce fatras ?!

—  Laisse donc Arsène, ce ne sont jamais que des pattes de mouche. »

Et l’inspecteur Roger gratifia l’ouvrage de sa signature malhabile.

Après un moment d’hésitation, Arsène finit par accepter à son tour. Un quart d’heure plus tard, ils s’enfonçaient dans les ténèbres gothiques du plus sinistre tombeau du monde.

« À votre droite, vous pouvez voir une reproduction grandeur nature de la salle d’Inquisition de Saint-Alipentin, le Bourreau des Montagnes, qui fit torturer six mille sorcières et pendit leurs intestins en guirlandes tout autour de la Forteresse Alexandre VI…

— C’est extrêmement… réaliste, fit remarquer Arsène. Qu’est-ce que c’est que cet… instrument ?

— Vous n’avez pas envie de le savoir. À votre gauche, les chasses fantastiques qui décimaient la région durant le Moyen Âge, ici une goule domestique dans son habitat naturel…

— Une penderie ?

— Ou le dessous d’un lit d’enfant… Ah, voilà Tata Longues-Jambes. »

Tata Longues-Jambes était une créature hideuse, un masque blanc couvert de cornes avec des guibolles démesurées. Cela expliquait sans doute qu’on lui érige une statue aussi haute, mais certainement pas la fixette du sculpteur pour les verrues et les pustules au point que l’on aurait juré que la créature de l’enfer habitait dans un nid de guêpes. Des guêpes sans rayures jaunes qui se seraient nourries du sang des mortels.

« Impressionnant, n’est-ce pas ? William Basker l’a faite ériger aussi grande car elle lui rappelait un membre de sa famille. Le masque de Tata selon la légende serait couvert d’herbes narcotiques dont elle seule connaîtrait le remède. Elle étourdirait ainsi ses victimes afin de leur faire subir son arme favorite : le poison de la mort subite.

— Intéressant, marmonna Arsène. Cela coïnciderait avec celui que les deux victimes ont ingéré…

— En effet, et les victimes acculées n’auraient eu d’autre choix que de tremper leurs lèvres dans le breuvage d’une chose tellement terrifiante qu’ils n’auraient jamais voulu accepter son existence…

— Au fait, personne n’aurait vu le patron ?

— Arsène ! leur parvint un cri déformé par l’écho. Viens, j’ai découvert un truc marrant !

— Patron, vous êtes idiot de vous éloigner comme ça ! Revenez tout de suite !

— Viens toi-même, mon vieux ! Tu ne devineras jamais ça !

— Écoutez, patron, dit Arsène en accourant, il faut vraiment que vous arrêtiez avec vos enfantilla… »

Il stoppa net en voyant Tata Longues-Jambes. La vraie, cette fois.

« … ges. »


*


Tata Sorcière Longues-Jambes n’avait pas des jambes si longues que ça. En fait, elles étaient assez trapues. Elle n’avait pas de verrues, ni de pustules, ni l’air si effrayant. Mais elle possédait bel et bien un horrible masque.

Soudain, Arsène se rappela qu’il s’agissait d’une vulgaire farce et attrapes. C’était Roger qui lui faisait une farce avec l’ersatz qu’il avait acheté à l’aire des Arums Titans. Il éclata d’un grand rire sonore.

« Ahaha, patron ! Vous pouvez vous vanter de m’avoir fait subir une peur bleue ! (Il s’appuya sur son épaule en riant aux larmes.) Vous serez toujours un grand enfant, je n’y pourrais rien. (Il lui donna un coup de coude.) Bon… Il serait temps d’enlever cet horrible masque, vous ne trouvez pas ? (Lui donnant une pichenette :) Houhou ? Allez, me prenez pas cette tête, bien sûr que je vous ai reconnu…

— À qui tu parles, Arsène ? » fit une voix derrière lui.

Pourquoi il se sentait aussi fatigué, d’un coup ?

Arsène hurla comme une cantatrice en présence d’une souris et tomba à la renverse. Le masque s’avança vers lui, couvert d’une odeur fétide et chaude qui alourdissait la tête… saisit sa mâchoire… sortit une fiole verdâtre…

Un coup de feu retentit. Puis un second. La créature tourna la tête des deux côtés, affolée, et s’enfuit dans les couloirs. Arsène, reprenant ses esprits, se leva tandis que Roger et Philéas le rejoignaient. Ils coururent à travers des cryptes obscures, des bassins glacés, des escaliers torsadés, des statuaires torturés ; ils coururent autant qu’ils purent mais ne retrouvèrent aucune trace : la créature avait disparu.


*


« Je peux m’abriter chez toi ? »

Ophélie ouvrit la porte de sa chambre à un Arsène trempé par des tempêtes de neige, horrifié par la visite d’un tombeau et de mauvaises rencontres, assommé par une drogue dont il ne savait rien. Le détective s’écroula sur le lit et se lança dans une contemplation intensive du plafond en lâchant entre deux halètements : « Quelle journée pourrie… Quelle journée pourrie… »

Deux grogs plus tard, le jeune homme lui racontait toute l’aventure. Ophélie se blottit contre lui, fascinée. Arsène commença par l’accident en voiture et termina par la sortie du tombeau — mouvementée car entretemps Roger avait découvert que Sir William Basker conservait près de son cercueil un alcool que les siècles avaient fermenté, bien-nommé La Liqueur des Damnés. Quand il terminait son récit, la nuit venait de tomber.

« Et alors ?

— Et alors quoi ? demanda Arsène, épuisé.

— Qu’est-ce que c’était, la découverte ?

— Oh, un petit truc marrant… L’arbre généalogique. Apparemment, Hervé la Bonne Pomme aurait lui aussi un lien de parenté.

— Eh bien, tant mieux pour lui ! Il pourra peut-être profiter de ce fabuleux dîner de famille… »

Ils rirent de bon cœur.

« Tu retournes dans ta chambre ?

— Ce sera toujours mieux que dormir à ciel ouvert.

— Et… tu ne désires rien d’autre ?

— Non, merci. Ah si, peut-être un autre grog.

— Tu ne préférerais pas quelque chose de plus… agréable ?

— Oh oui volontiers ! Je prendrais bien une tisane de camomille.

— Non, je veux dire… un baiser ?

— Mais naturellement ! »

Arsène l’embrassa sur la joue et s’en alla tout guilleret.

Ophélie comprit que toute résistance serait vaine, mais durant la nuit elle se trompa de chambre et ouvrit la sienne. Arsène Poirot dormait aux pieds du lit de son patron en suçant son pouce. Elle repensa aux manières de l’inspecteur Roger et se dit que les personnes vivant trop longtemps ensemble finissaient par déteindre l’une sur l’autre. Elle sourit et se dit que ça ajoutait du charme.


*


Lady Veronica ne semblait pas choquée outre mesure de la mort de son mari ; Roger se dit que ça devait être normal dans une famille où les morts avaient tendance à se faire dans des circonstances mystérieuses.

« Décidément, avec ça, les Baskerville profitant de l’héritage de la demeure sont de moins en moins nombreux ! laissa-t-il échapper.

— N’est-ce pâs ? Mais chacun se console en me disant que ça lui en fera une plus grosse part ! Et nous aurons un bel enterrement ! J’adôôôre les ânter’ments. J’espère bien être en première lôge. »

Du reste, le manoir des Baskerville, il fallait le dire, était très agréable. Sombre, mais avec un bon brasier dans les cheminées, spacieux, avec des fauteuils confortables et une cave ne manquant de rien. Ou du moins, avant la dernière fois où il s’y était rendu.

Un peu partout dans les grandes salles, les branches de la famille, aussi bien Williamson que de la Frênaie, s’apprêtaient au repas du soir. Les plus philosophes vantaient la grosseur des volumes des moralistes et débattaient sur l’épaisseur des pages, les plus spartiates se remémoraient la fameuse battue de ce matin au gibier si prolifique, les plus poètes faisaient remarquer que l’hiver avait revêtu son manteau blanc. Quand on évoquait le mort et le criminel de la journée, on haussait les épaules et on disait « C’est bien dommage » ; de toute évidence, les bourgeois d’ici n’accordaient que peu d’importance à la vie terrestre.

Roger aperçut Hervé dans le manoir et lui fit signe de venir. Le pauvre était couvert de bandages et marchait en béquilles, mais souriait comme à son habitude.

« Vous ici, mon brave ! Qu’est-ce que vous faites donc au manoir ?

— Moi ? J’aide un peu en cuisine. Je m’y connais en herbes, voyez-vous ? J’adore leur goût, leurs odeurs, leur toucher…

— Vous aimez les herbes, dites-vous ? Et vous vous y connaissez, dans les herbes narcotiques ?

— Oooh, je vais pouvoir vous partager ma passion, je suis content, content, content ! Eh bien tout d’abord, vous avez le pavot-ayahuasca, dont la légende dit que Morphée s’en servait pour ses insomnies, et que l’on reconnaît à ses étamines foliacées… »

L’exposé fut à l’image de son contenu : soporifique.

Quand l’inspecteur se réveilla, il n’y avait plus personne. « Hervé ? Hého ? » Soudain pris d’inquiétude seul dans le grand corridor, il tituba un instant dans le silence pesant. Puis il commença à entendre des bruits bizarres. Non, pas des bruits, des hurlements. Émis par une vieille télé crachouillante.

L’inspecteur Roger se dirigea vers la pièce où se trouvait le bruit ; toute la famille Baskerville était immobile, figée par ce qui sortait du poste. Tata Sorcière Longues-Jambes à l’intérieur les invectivait et partait d’un grand rire hystérique.

« MOUHAHAHAHAHAHA ! MOUHIHIHIHIHIHI ! Ah, mes pauvres Baskerville ! Pauvres, pauvres Baskerville ! disait-elle d’une voix éraillée et grinçante. Vous m’avez vu tuer, n’est-ce pas ? Et que diriez-vous que je continue ?! Je me trouve dans ce village, sous les traits de l’un d’entre vous ! C’est angoissant, n’est-ce pas ?!… Évidemment, que c’est angoissant ! Et quand je vous aurais tous empoisonnés, un à un, quand il ne restera plus personne, alors le manoir sera à moi ! À MOI ! MOUHAHAHAHAHAHA ! MOUHIHIHIHIHIHI !

— Qui diable peut donc se voiler derrière cette infamie ? finit par s’exclamer l’inspecteur.

— Quelqu’un possédant un talent d’acteur pathétique, manifestement, grogna André-Edmond. Je ne vois pas de problème à ce qu’on nous assassine, mais par pitié, que l’on fasse ça avec un peu de tenue !

— Au fait…, demanda soudain Renée-Charlotte. Personne n’aurait vu Lady Veronica ? »


*


« Eh bah elle l’aura bien aux premières loges, son enterrement, soupira l’inspecteur alors qu’ils prenaient leur petit-déjeuner à l’hôtel Raspoutine (ou, pour être plus exact, alors qu’il engloutissait des quantités absolument inhumaines de brioche et de Nutella). Une de plus ! Et le pire, dans tout ça… c’est qu’avec mon somme, j’ai raté le dîner !

— Y’a une chose que j’comprends pas dans c’t’affaire, dit Bertrand en leur apportant un nouveau plateau, c’est pourquoi l’assassin voulait faire porter l’chapeau à Ophélie la première fois, et qu’ensuite il ait décidé de ressusciter une vieille légende…

— C’est évident, non ? soupira Arsène. Il veut faire croire qu’il s’agit d’elle pour que les Baskerville finissent par la prendre en grippe. On a d’ailleurs retrouvé une boucle d’oreille sur le dernier cadavre en date, mais Ophélie m’a affirmé qu’elle ne possédait pas ce modèle. Une fois qu’ils auront compris que ça ne peut pas être Sir Norton, ils finiront par se tourner vers elle.

— D’accord, mais pourquoi pas s’en prendre à elle directement ?

— Ça, c’est un mystère. Peut-être pour préserver son identité ? Il s’agit sans doute d’un proche, et avant cela, elle veut s’assurer que le reste de la famille Baskerville se soit fait trucider…

— Mais vous dites qu’ici elle connaît que sa mère !

— Elle me cache peut-être quelque chose. Ou bien il s’agit de quelqu’un qu’elle voit quotidiennement, mais comme tout un chacun dans le village, en-dehors du manoir. Est-ce que vous auriez des idées de quelqu’un qu’on croiserait tous les jours dans la rue, avec qui tout le monde s’entendrait bien, et qui pourrait tisser des liens avec elle ?

— Ma foi… Philéas et Théodule ?

— Non, ils sont stupides, mesquins, fourbes, sournois, mercantiles, indiscrets, brusques, obséquieux, mauvaises fois, radins et vicieux, mais je les crois incapables de commettre un meurtre.

— Au moins, elle aura le mérite, elle qui travaille dans la médecine, de nous aider à trouver quels peuvent être ces narcotiques.

— Alors, on parle de moi ? lança l’intéressée en s’asseyant à leur table.

— Ah, Ophélie, dis-moi ! lança Poirot en levant son verre. Est-ce que tu as identifié qu’est-ce que ça pourrait être ?

— Eh bien, je commence à avoir des pistes. Mais ce n’est pas ma spécialité, de m’improviser en police scientifique ! Heureusement qu’Hervé vient me donner un coup de main chaque fois que je suis de passage dans la région.

— Hervé s’y connaît en plantes ?

— Oui, et ch’en ai fait les frais hier choir, marmonna en s’empiffrant l’inspecteur Roger. Bah ! de toute fachon, chette nuit, ch’est Noël, donc nous ferons bonne chère !

— En espérant que l’assassin n’aura pas eu la mauvaise idée de venir toquer à la porte… »

Et de fait, ce fut un 24 décembre assez reposant. La neige ne se déchaîna pas, le vent lui resta calme. Roger et Arsène se firent une petite fête entre vieux garçons dans le snack de la station-service. Arsène offrit à Roger un étui à pipes couleur vermillon. Roger offrit à Arsène un magazine trouvé en promo dans la vitrine ; Arsène se sentit quelque peu déconcerté par l’idée de feuilleter les aventures de Polly Pocket, mais Roger lui affirma que c’était l’intention qui compte. Derrière le comptoir, Philéas et Théodule dansaient le tango sous l’ampoule grésillante.

Quand l’heure vint de rejoindre le grand dîner de Noël des Baskerville, Arsène et Roger inspirèrent donc un bon coup et se dirigèrent vers le manoir. Ophélie les rejoint et leur souhaita bonne chance.

« Ce soir nous faisons tomber les masques, aussi vrai que je m’appelle Roger, inspecteur Roger !

— Je compte sur vous, les garçons, mais n’oubliez pas l’antidote !

— L’antidote ?

— J’ai enfin trouvé la formule qu’utilisait Tata Longues-Jambes ; avec ça, vous ne craindrez plus les somnifères.

— Excellent, Ophé ! Remercie Hervé de notre part !

— Oh, lui ne sait rien pour le moment ! Il m’a juste aidé sur le début et le milieu, mais actuellement, il est trop occupé à travailler en cuisine.

— Eh bien, l’affaire devrait pouvoir finir de son vivant ! plaisanta l’inspecteur Roger. Allez, joyeux Noël à toutes les Lacocotte ! »

Et il avala sa pilule cul sec. Arsène hésita puis en fit son affaire à son tour, et ils reprirent leur route en direction du manoir après lui avoir adressé un dernier signe de la main.

« C’est rigolo, elle n’est pas partie dans la direction de l’hôtel…

— Elle va peut-être tout simplement chez sa mère.

— Dites-moi, patron, dit Arsène au bout d’un moment en se tordant l’estomac, est-ce que vous n’avez pas l’impression que la pilule cachait quelques effets secondai… »


*


Le grand dîner de famille des Baskerville commençait. On avait fait venir une une énorme dinde, une douzaine de poulets, une cinquantaine d’étourneaux et une bonne centaine de cousins, échangeant des propos de circonstance (« Alors vous avez choisi de vivre en province ? », « Quel cadre pittoresque ! », « Avec ce tueur, vous ne devez pas vous ennuyer »), comme d’autres plus enjoués (« À votre âge, j’aurais adoré vivre une aventure avec un tueur et des énigmes ! », « Ça devrait faire venir les paparazzis ! »). Les enfants portaient des habits en dentelle qui les grattaient, les aiguilles du sapin roussissaient sous la chaleur du feu, les adultes piquaient du nez lors des conversation ennuyeuses tout en se demandant secrètement qui voudrait bien mourir ce soir. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Renée-Charlotte avait envoyé les enfants jouer pour s’occuper d’affaires de grandes personnes. Offrant au regard du notaire des habits qu’une jeune veuve hésiterait à mettre en temps normal, elle l’enjoignait à se délecter d’énormes bouteilles aux étiquettes tellement calligraphiées que leur contenu en devenait illisible.

« Donc… hips… si je comprends bien, ma bonne dame… hips… vous voudriez qu’avec le décès de votre cousin par alliance Sir Henry, une plus grande partie de la propriété et de la fortune vous soit concédée qu’il n’était stipulé dans le testament…

— C’est comme cela que le traduirait un homme du peuple. Je préfère le terme : rectification de documents post-mortem.

— Il s’agit… hips… d’un comportement crapuleux… hips… et je ne céderais pas…

— Vous commencez à m’agacer, je ne vais plus avoir de place pour les zéros sur le chèque…

— Jamais… hips… La justice est aveugle… hips… et la justice… c’est moi ! »

Elle lui mit le stylo entre les doigts et approcha sa main d’un papier.

« Voilà, vous avez juste à faire une petite torsion du poignet… comme ceci ! »

Le stylo dégringola en plein milieu. Le notaire se mit à ronfler.

« Hervé ? appela-t-elle en levant les yeux au ciel.

— Oui, madame ? s’écria l’homme tout souriant tout joyeux. Oooh, si vous saviez comme je suis content de me rendre utile !

— Va chercher quelques petites herbes remontantes pour notre ami notaire.

— Oh là là, c’est vrai qu’il n’a pas l’air bien du tout !

— Ça n’est rien, juste un léger malaise. Après tout, ce n’est pas comme si le tueur était devant lui !

— Ah ah, que vous êtes drôle, madame ! Je m’en vais chercher ça tout de suite. »

Il s’en alla en sifflotant, puis descendit dans l’arrière-cuisine soulever là où il mettait habituellement son tablier. Son sifflement et son sourire cessèrent net. Il regarda celui d’à côté, et encore celui d’à côté. Quand il comprit qu’il ne trouverait rien, il laissa échapper un chapelet de grommellements, jurons et gémissements en tous genres et se mit désespérément à fouiller les tiroirs. Rien non plus. Les placards. Les dessous de table. Les armoires. Les cachettes secrètes. Rien non plus.

« C’est ton masque que tu cherches ? »

Ophélie se trouvait dans l’encablure de la porte.

« C’est marrant, mais j’imaginais Tata Sorcière Longues-Jambes avec des jambes un peu plus longues. Et un peu plus sorcière, aussi. Mais bon, se forger une fausse image, c’est bien pratique quand on veut nous laisser œuvrer dans l’ombre, hein ?

— Comment as-tu…

— J’ai deviné quand Arsène m’a dit que tu étais toi aussi un Baskerville. Secouer un arbre quand on a un bras cassé, hein ? Je connais la médecine. Personne n’en serait assez capable pour en faire dégringoler un homme.

— Pourquoi ne leur avoir rien dit ?

— Ma mère m’a mise au courant que ma famille avait entretenu des liens mouvementés avec William Basker. Si tu as fait tout ça pour une vengeance entre lignées, j’ai préféré garder mes amis en-dehors de ça. (Elle s’approcha d’Hervé, belle et terrible, ses mains immobilisant les siennes, sa bouche touchant presque la sienne.) Pourquoi… avoir voulu… faire de moi une meurtrière ?

— Je réservais une vengeance toute particulière pour la descendante directe de William Basker. »

Ophélie recula en clignant des yeux. Hervé ricana en enlevant ses faux bandages.

« Curieux, hein, comme un arbre généalogique peut être fait, hein ? D’un côté, il cache l’existence d’une branche familiale désargentée mais à qui le manoir revient de droit, de l’autre il en révèle une autre tellement bâtarde qu’on a finalement décidé de l’humilier en faisant oublier son existence.

— Et c’est au final cette branche qui aura le dernier mot, c’est bien ça ?

— Je vois que tu apprends vite. Le tout était de trouver une légende qui effrayerait tous ces gogos et une fausse piste pour la police. Mais ce soir, c’est la finale. Ce soir, Tata Longues-Jambes s’invite au dîner de famille. Elle fait une entrée magistrale, enlève son masque et révèle sa véritable identité à tous les convives qui s’effondrent en découvrant leur ragoût empoisonné. Une mort dans l’effroi et la douleur. Joyeux Noël, bonne nuit tout l’monde.

— Malheureusement, Tata Longues-Jambes va avoir un petit compromis… (Elle mit sa main à sa ceinture.) Mon flingue ! Qui m’a piqué… »

Hervé braqua sur elle l’objet qu’il lui avait volé pendant qu’elle s’était approchée de lui.

« Excuse-moi ma jolie, mais ce compromis ne sera pas si long… »

Il l’accula contre le mur et lui plaqua un mouchoir sous le nez.

« … et il se pourrait même qu’il devienne amusant. »


*


« … res ? »

Roger cligna des yeux. Les éléphants verts avaient brusquement cessé leur carrousel et les planètes arrêtaient de clignoter dans leur sarabande. Tiens, marrant, qu’est-ce qu’il faisait en slip sur une statue en équilibre sur une jambe ? Et pourquoi tous ces gens le dévisageaient bizarrement ?

D’un coup il se rappela qu’il était dans le hall d’entrée du manoir des Baskerville et que ces gens n’avaient pas l’habitude de voir des inspecteurs de la police se jeter contre les murs en faisant les orangs-outans.

Poirot était à quelques mètres de lui, un pantalon sur la tête et tenant dans sa main un morceau de parquet à moitié mâchouillé. « Surtout, Arsène, faisons semblant de rien. »

Il y eut un très très long silence, puis une dame applaudit en s’écriant :

« Splendide ! Absolument incroyable ! C’est la plus belle performance artistique que j’aie vue de ma vie ! »

D’un coup, la quinzaine de personnes présentes se mit à applaudir. Après avoir salué de longues minutes, Roger se laissa offrir de bonne grâce une bouteille de champagne qu’il prit de bonne grâce — et un cigare qu’il mit dans sa bouche de l’autre côté de la pipe. Arsène pourtant n’avait pas l’air serein.

« Eh bien Arsène, qu’est-ce qu’il y a, mon vieux ?

— Je suis en train de réfléchir à pourquoi Ophélie nous a drogués.

— Allons, il s’agit probablement juste d’une erreur de dosage !

— Je ne peux pas y croire une minute ! Soit elle s’est trompée de médicaments… »

Ses yeux s’écarquillèrent.

« … soit elle avait un rendez-vous personnel avec le tueur. »

Arsène Poirot fit volte-face vers le portier.

« Portier ! Est-ce que vous auriez vu passer Ophélie ?!

— Si vous voulez parler de la jeune femme totalement ivre qu’Hervé vient de traîner hors d’ici, alors je crois qu’ils sont allés en direction de la forêt.

— Hervé, mais bien sûr ! »

L’adjoint se précipita dans la direction indiquée.

« Arsène, est-ce que tu peux m’expliquer un peu à quoi tout ça rime ? cria Roger en le rattrapant. Cette situation vire de plus en plus au grotesque !

— Silence, patron ! Taisez-vous et dites-moi si vous entendez quelqu’un ! »

Ils étaient désormais au beau milieu de la forêt. Aucun bruit, juste les hurlements du vent. Et puis, soudain, une voix au loin, sur l’air de Petit Papa Noël :

Tata Longu’Jambes viendra

Et elle vous empoison’ra

Arsène et Roger coururent jusque là où se trouvait Hervé qui maniait une énorme pelle luisant dans la pénombre.

Avec ses ruses par milliers…

L’homme se tourna vers eux avec un rictus effrayant.

J’oublie pas de vous enterrer !

« Hervé la Bonne Pomme ?! s’exclama l’inspecteur Roger. Mais c’est impossible ! Vous êtes… Ben vous êtes une bonne pomme !

— MOUHAHAHAHAHAHA ! MOUHIHIHIHIHIHI !

— Mince alors, mais vous avez vraiment ce rire-là dans la vraie vie !

— Fini de rire, Tata Sorcière ! s’écria Arsène. Dis nous où est Ophé !

— Oui, abjecte vile créature en putréfaction ! Où est-elle ?!

— Votre petite belle au bois dormant ? Mais juste sous mes pieds ! »

Alors les deux policiers s’aperçurent avec effroi qu’Ophélie était enterrée vivante.

Seul un bout de visage dépassait encore. Juste ce qu’il fallait pour laisser passer le nez et les yeux. Hervé s’apprêtait à mettre la dernière pelletée.

« Alors, mes deux poulets-poulets ?! La petite Ophélie traverse une petite hypothermie, on dirait… Peut-être est-elle en train de se réveiller… Peut-être est-elle en train de souffrir à cause de la terre qui la comprime… Tirez-moi dessus et elle ne se réveille plus jamais. Rendez-vous et je l’épargnerais… peut-être.

— Tue-la et on te tue, grogna Arsène. Le patron et toi allez baisser vos armes… en même temps. »

Roger hocha la tête et baissa lentement son arme. Hervé baissa sa pelle plus lentement. Il baissa son arme encore plus lentement. Il baissa sa pelle encore plus lentement. Il baissa son arme plus lentement. Au bout d’un moment, n’y tenant plus, il jeta sa pelle au loin. Roger l’imita.

Soudain une détonation retentit et Arsène s’écroula en se tenant l’épaule. Hervé venait de sortir le pistolet qu’il cachait dans sa salopette.

« MOUHAHAHAHAHAHA ! Vous ne vous y attendiez pas, à celle-là ?! Cette nuit, tout le monde meurt et je vais être content, content, content ! Content content cont… »

Une seconde détonation.

Hervé grimaça, traversé de part en part par la balle qui venait de le tuer. Puis il s’écroula avec un sourire idiot.

Lord Norton apparut, s’amusant à faire mouliner le flingue qu’il avait volé à Arsène.

« Hihihi, marrant le bruit qu’ça fait… Vous avez une bouteille ? »


*


Roger prit son écharpe et entreprit d’enserrer la plaie d’Arsène. La balle n’avait fait qu’érafler sa peau, mais il se pouvait bien que le muscle soit endommagé. Puis les deux hommes coururent déterrer Ophélie et lui donner des claques.

« Où… je… suis ?

— Tout va bien, Ophélie ? s’empressa de s’écrier Arsène. Hervé a failli te tuer, mais c’est fini ! Tout va bien !

— Le… poison… le… potage… (Les yeux mi-clos et gonflés d’Ophélie s’écarquillèrent d’un coup.) Mon Dieu ! Arsène ! Roger ! Il faut tout de suite que nous rentrions au manoir !

— Je… Pourquoi ?!

— Le potage est empoisonné ! Portez-moi !

— Mais j’vais en avoir, une bouteille, ou non ?

— Là où on va, y’en a plein, » lui assura Arsène.

Il chargea la jeune fille sur ses épaules tandis que Roger prit les devants. Il se précipita dans le hall, renversa le portier, bouscula ceux qui l’avaient acclamé, courut les escaliers vers la salle des banquets, évita les différents cuisiniers qui tentaient de l’intercepter, sauta par-dessus un croc-en-jambe, aperçut soudain le maître-coq qui s’apprêtait à servir un potage curieusement verdâtre…

L’inspecteur Roger dit souvent après cela que le temps s’était arrêté. C’était faux ; celui-ci s’était juste ralenti pour pouvoir observer un peu mieux la scène. C’était ce genre de secondes extraordinaires, où une centaine de vies allaient ou pas être sauvées, où le plan diabolique d’un malfrat qui ne pourrait même pas en profiter sèmerait pour de bon ou non son œuvre destructrice. Où le pire inspecteur de Scotland Yard devenait le meilleur, juste l’espace d’un instant.

Roger fit un plaquage au cuisinier et l’envoya rouler avec lui. La marmite se fracassa par terre, répandant sa soupe chaude et bouillonnante. Les deux hommes glissèrent dessus dans toute l’allée séparant la table de l’escalier pour descendre aux cuisines, se fracassèrent contre un mur et firent dégringoler sur eux un buste et plusieurs tableaux.

Trente secondes de silence s’écoulèrent alors que tout le monde se levait pour voir les deux corps enlacés sous les décombres. Le cuisinier se leva, hébété, mais l’inspecteur restait recroquevillé, immobile. Arsène, Ophélie et Norton arrivèrent juste à ce moment. Il aperçut son patron, déposa celle qu’il aimait sur les genoux d’une personne qu’il ne regarda même pas, et courut empoigner l’homme avec lequel il avait passé toute sa carrière.

« Patron ! Patron, vous m’entendez ?! Est-ce que vous allez bien, patron ?! »

Une nouvelle seconde interminable, et puis un grommellement :

« Chienne de vie… Ce truc a complètement taché mon manteau ! »


*


« Nous tenions à vous remercier d’avoir élucidé l’enquête, dit Renée-Charlotte en serrant la main des deux policiers. Ce maudit assassin nous aurait sans vous peut-être causé de terribles ennuis.

— Un ennui mortel, oui, grommela André-Edmond. Enfin quelqu’un qui mettait un peu de nettoyage dans la famille !

— André, quand on est un jeune homme d’une famille respectable, on ne dévoile pas ses conspirations au grand jour et on ne fait pas de commentaires désobligeants.

— C’est un vilain malpoli ! piailla Ursula-Éléonorine. Le tueur, lui, au moins, il avait une éducation !

— Ouaip, fit l’inspecteur Roger. Et maintenant que l’affaire est finie, il va falloir qu’on rentre.

— Déjà ?

— Oh, mais je compte bien revenir, si vous avez besoin d’un nouveau champion pour les concours de gloutonnerie.

— Maintenant que Tata Longues-Jambes est hors d’état de nuire, il ne saurait plus y avoir de meurtres ou de disparitions mystérieuses dans la région… (Arsène toisa la bourgeoise d’un air sombre.) N’est-ce pas ?

— Oui, évidemment, du moins pas tant que les vaillants détectives de Scotland Yard seront dans les environs… Mais ils nous feront la politesse de gentiment s’en aller maintenant que Noël est fini.

— Les vaillants détectives de Scotland Yard ont besoin de vacances et ils aimeraient bien rester quelque peu dans les parages. Ne serait-ce que pour s’assurer du respect des dernières volontés de Sir Henry.

— Les dernières volontés de Sir Robert seront respectées avec soin et il n’y a nul besoin d’un contrôle qui pourrait s’avérer faste et ennuyeux.

— Un contrôle faste et ennuyeux vaut mieux que quelques empoisonnements à l’arsenic.

— Un empoisonnement à l’arsenic est si vite arrivé qu’il serait dommage d’en subir un.

— Si je puis me permettre… »

Tout le monde tourna la tête. Le notaire venait d’arriver en titubant, un épais bloc de glace sur la tête.

« Si je puis me permettre, vous n’avez plus rien à faire dans ce manoir.

— Non mais de quoi se moque-t-on ?!

— Sir Robert Henry comptait léguer les droits sur son manoir et le plus gros de sa fortune à son membre de la famille le plus proche. Or il se trouve qu’il s’agit d’Ophélie Lacocotte. Et celle-ci semble n’apprécier guère de vous héberger outre mesure.

— Mais où allons-nous loger ?!

— Chez des cousins, des amis, dans une résidence secondaire ! Allons, je sais que vous avez tous un petit pécule quelque part. Vous séjournerez encore ici jusqu’à la fin des fêtes, après quoi il vous faudra faire vos valises. Allez, vous pourrez découvrir le vaste monde ! Et au fait : merci pour le champagne d’hier soir, même s’il était quelque peu… épicé. Aïe, mon crâne !

— Les volontés testamentaires, elles sont vilaines, vilaines, vilaines !

— Tais-toi, Ursula-Éléonorine ! »

Arsène sourit en voyant la mine déconfite de tous les Baskerville à mesure qu’on leur annonçait la nouvelle et vit que c’était aussi le cas de Roger. Il s’éloigna de son acolyte pour rejoindre Ophélie. La jeune fille était couverte de bouillottes et des manteaux pour soigner son hypothermie.

« Eh bien, félicitations…

— Oui, il semblerait que je n’aie plus besoin de retourner à Paris.

— Toi, tu vas devoir entretenir tout ce château… Moi, je vais devoir rentrer dans mon taudis à l’autre bout de la France et déjouer des enquêtes plus retorses les unes que les autres…

— La vie est pleine d’imprévus. Nous aurons peut-être une chance de nous revoir…

— Au fait, pourquoi ta mère te faisait-elle dormir à l’hôtel si elle habite dans le village ?

— Elle est pauvre et n’a qu’un lit chez elle. Elle n’allait pas me laisser dormir par terre…

— Mais tu es riche, pourtant !

— Mon père l’était. Ils se sont brouillés. Mais la vie va changer maintenant qu’elle pourra vivre ici. »

Ils sourirent tous deux en songeant aux lendemains qui chantent. Puis Roger lui posa une main sur l’épaule et lui dit qu’il était temps de rentrer. Elle lui adressa un dernier signe de main, il lui en renvoya un autre. Et tout le long du trajet de retour, serra contre lui un escarpin.


*


« Ainsi donc ça n’était pas Lord Norton le coupable ! Qui aurait pu deviner… Dis, tu m’écoutes, Arsène ?!

— Je ne sais pas, patron… J’ai un peu le vague à l’âme…

— Allons, ne fais pas cette tête-là ! Nous vivons une période de meurtres formidables, à présent que le Réveillon est fini ! Ils camouflent tous leurs crimes en accidents de la route étant donné que c’est la période, ils empoisonnent les dindes et le foie gras, ils mettent des bombes dans les pétards des papillotes ! Et avec ça, le local est plus crasseux que jamais !

— Dites-moi, patron… Ça ne vous est jamais arrivé de tomber amoureux, tout en sachant qu’il s’agit d’une fille que vous ne reverrez peut-être jamais ?

— Va savoir ! Il m’est arrivé tant d’aventures que je ne m’en rappelle plus forcément… Va consulter les mémoires que je t’ai forcées à écrire !

— Est-ce que vous connaissez seulement le proverbe Un seul être vous manque et tout est dépeuplé ?

— Oh, Victor Hugo, très peu pour moi… (L’inspecteur se renfrogna.) Mais il est vrai que la fin des fêtes approche, et qu’on retourne bientôt dans une période calme… Et les enquêtes à haute péripétie, je vais te dire que ça va terriblement me manquer…

— Télégramme ! »

Précautionneusement, un facteur en tenue de footballeur américain entrouvrit fébrilement la porte, laissa tomber un message au sol, puis s’enfuit au courant. Arsène l’ouvrit et écarquilla les yeux.

« Alors ça…, finit-il par laisser échapper. Patron, j’ai l’impression que Scotland Yard en pince pour nous, ces temps-ci.

— De quoi il s’agit encore ?! Dis-moi, tu le sens monter, le désir de l’aventure ?

— Oh oui, patron, encore une affaire juteuse… Mais aussi la crainte, la peur, et en même temps l’appel de la découverte… Vous vous sentez vraiment prêt ?

— Si je suis prêt ? Aussi vrai que je m’appelle Roger, inspecteur Roger ! »

Sylvain Laurent,

21/12/19, St-Étienne

à 18:24

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Sylvain Laurent ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0