Grosse colère
East Carson Avenue, Las Vegas
Angelo Giordano avait installé ses bureaux dans un immeuble anonyme, un peu au nord du quartier des casinos. Les locaux hébergeaient plusieurs sociétés parfaitement légales, la plupart dédiées à la gestion de patrimoine immobilier. L’organisation pour laquelle il travaillait avait prospéré avec l’essor des casinos, mais la concurrence étant devenue particulièrement rude, une branche parallèle avait été créée pour diversifier les revenus et réduire les risques. Bien que d’ascendance italienne, Angelo n’était pas issu d’une famille mafieuse. Ses parents avaient émigré après la guerre, dans le sillage des GIs qui avaient libéré le pays. Son père avait exercé comme avocat à Milan avant d’être radié du barreau par les fascistes, il avait participé à des actions de résistance et proposé ses services juridiques aux autorités militaires alliées dès 1943. Angelo était né à Brooklin et avait pu fréquenter la New York University School of Law dans Greenwich Village. Spécialisé dans le droit de l’immobilier, le jeune diplômé s’était rapidement fait une petite réputation lui permettant d’être coopté dans un grand cabinet d’avocats. Dans les années 80, il avait été chargé de plusieurs affaires pour le compte de la famille Genovese, à la plus grande satisfaction de celle-ci qui l’avait recruté « à plein temps » et envoyé à Las Vegas pour superviser ses activités immobilières.
Pour l’heure, Giordano faisait les cent pas dans son bureau, attendant l’appel du représentant de la famille à Los Angeles. Un événement, qui en temps normal ne l’aurait pas effleuré, venait soudain de prendre une importance particulière à ses yeux. Le téléphone sonna enfin. Il ne s’agissait pas de son portable personnel, mais d’un appareil sophistiqué, permettant de brouiller la conversation et de masquer l’identité des correspondants.
« Alors ? demanda Angelo avec impatience.
— On a un camion de marchandise qui a disparu dans la nuit, à sa sortie des docks.
— Comment ça disparu ?
— En fait, on l’a retrouvé, mais il avait complètement brulé. On suppose que la marchandise a été volée.
— Comment est-ce possible ? aboya Angelo. Un camion, ça ne se pique pas comme ça !
— C’est un gang de bikers qui a fait le coup. D’après le conducteur, une dizaine de motards ont entouré le van et l’ont forcé à stopper. Ils ont braqué le conducteur et le convoyeur, puis ils se sont barrés avec le véhicule.
— Il y en avait pour combien ?
— Cinquante mille doses d’oxy, un demi-million de dollars.
— Nom de Dieu, ils auraient pu le protéger un peu mieux. Comment les bikers ont-ils pu savoir ?
— C’est la bonne question, ils ont sûrement quelqu’un dans l’entourage de Chance qui les aura prévenus. Les Hells et les Bandidos ont des mouchards partout.
— Essaie de te renseigner, la came va refaire surface tôt ou tard, il faut savoir chez qui elle est maintenant. Ensuite on avisera.
— Qu’est-ce que je fais pour Leonardo ? demanda la voix au téléphone.
— Leonardo, je m’en occupe personnellement. Concentre-toi sur les bikers. »
Angelo raccrocha le téléphone rageusement, il commençait à être sérieusement agacé par les conneries de son fils. Il pouvait encore laisser filer les dettes de jeu et les bagarres dans les clubs, mais la négligence dans la gestion des affaires, ça c’était impardonnable. Pour n’importe quel autre capo, une telle bavure se serait conclue par dix grammes de plomb et un trou dans le désert, mais il s’agissait de son fils. Angelo ouvrit la porte et appela d’une voix forte.
« Marco ! viens ici. »
L’interpellé se présenta rapidement dans le bureau.
« Oui Patron, que puis-je faire pour vous ?
— Tu files à Los Angeles au plus vite et tu me ramènes mon incapable de fils.
— Euh, oui, bien sûr, comment voulez-vous que j’aille là-bas ? En avion ?
— Non, tu prends une voiture, je veux que ça reste discret.
— D’accord, et où est-ce que je vais le trouver ? C’est grand Los Angeles.
— Essaie chez Chance, à Long Beach, sinon au ranch sur Mulholland Highway. Je le veux demain dans ce bureau.
— Est-ce que je dois prendre quelqu’un avec moi ?
— Il ne sera quand même pas assez con pour refuser de te suivre !
— Dans ce cas, je pars tout de suite, conclut Marco. »
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