Nouveau label

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Ventura, Californie

Nash m’a appelé tout à l’heure. Je ne sais pas si je dois prendre ça pour une bonne nouvelle, mais il doit rencontrer aujourd’hui le représentant d’Angelo Giordano. Je crois comprendre que mon tourmenteur a perdu un peu de sa superbe. Je sais aussi que les mâles blessés peuvent être particulièrement dangereux, surtout si c’est une blessure d’orgueil. Nash m’a promis de me tenir informé. Pour la journée, le gros morceau est un rendez-vous avec le manager d’un nouveau label à Ventura. Lucy tient absolument à nous faire enregistrer et pense qu’une nouvelle maison mettra plus d’énergie à assurer la promotion de notre travail.

Ventura est une petite ville agréable, c’est plus calme que Los Angeles et moins élitiste que Santa Barbara. J’y venais souvent quand j’étais étudiant à UCSB. Il m’est même arrivé de jouer dans un bar près de la marina. À cette époque, ça payait mes verres et ça me permettait de mes faire quelques amis, des filles surtout. Notre rendez-vous est à onze heures. Lucy est passée me chercher en voiture. Nous ne sommes pas pressés, je lui suggère de prendre la route de la côte. Je suis toujours impressionné par ces paysages abrupts, à quelques kilomètres de la métropole, où la montagne se jette dans l’océan. Les bureaux de Blue River se situent juste après la Santa Clara river. Quand je dis les bureaux, je suis au-dessus de la réalité. En vérité, c’est un petit entrepôt au fond d’une zone d’activités. Une entrée pour un petit véhicule et une porte pour les visiteurs à pied. Les deux donnent directement dans une zone de stockage où s’empilent quelques cartons fermés, sans doute des disques prêts à être expédiés. Deux petits bureaux s’ouvrent sur la droite. Dans le premier, une jeune femme est affairée sur son ordinateur. Dans le second, un afro-américain massif, au crane rasé, nous fait signe d’entrer. Il pose le casque qu’il a sur les oreilles et nous fait signe de nous asseoir. Nous écartons des cartons ouverts pour nous faire une place.

« Ne faites pas attention au bazar, nous ne sommes ici que depuis quelques semaines et je n’ai pas eu le temps de mettre de l’ordre. Je préfère passer mon temps à dénicher de nouveaux talents. Au fait, vous pouvez m’appeler Stan.

— Nous ne sommes pas vraiment des nouveaux venus, dis-je, nous avons déjà enregistré trois albums.

— Vraiment ? Comment se fait-il que je n’ai jamais entendu parler de vous ?

— C’est pour ça que je vous ai contacté, répond Lucy à ma place. L’ancien label ne s’est pas vraiment préoccupé de faire connaître le trio de Mike.

— J'ai fait une recherche rapide, je ne vous ai pas trouvé sur Insta. Madame Iron m’a expliqué que vous faisiez surtout de la scène, dans les clubs de LA, c’est bien ça ?

— Oui, nous jouons ensemble depuis une dizaine d’années, deux ou trois soirs pas semaine.

— Vous avez déjà travaillé en dehors de la Californie ? Vous faites des festivals ?

— Non, nous n’avons pas vraiment eu d’opportunités, avoué-je en regardant Lucy.

— Tant mieux, on peut repartir sur des bases nouvelles alors avec des moyens un peu plus modernes, conclut Stan. Vous avez apporté des maquettes ?

— Oui, ce n’est pas encore très abouti et je ne maitrise pas trop les technologies de mixage numérique, mais ça peut vous donner une idée.

— C’est vous le compositeur ?

— Le plus souvent, oui, mais il y a quelques morceaux qui ont été ébauchés par mes partenaires. Je les ai complétés ensuite.

— Vos premiers albums, c’était quel style ?

— Des reprises de standards, principalement, dans les clubs le public aime entendre des thèmes connus.

—Et là ?

— C’est différent, je ne veux pas dire que c’est totalement original, mais on a essayé de se démarquer un peu. En même temps, un trio piano/basse/batterie, ça ne peut pas trop s’éloigner de bases connues.

— On peut en écouter un peu ? »

Nous passons un peu plus d’une demi-heure à parcourir la dizaine d’enregistrements que j’ai apportés sur une clé USB. Avec Lucy, nous scrutons les mimiques de Stan, essayant de décrypter son jugement. Il nous laisse aller jusqu’au bout, nous prenons ça pour un signal positif.

« Ça me plait bien, il y a encore un peu de travail avec un bon ingé’ son, mais on devrait pouvoir arriver à quelque chose de sympa. Vos partenaires sont disponibles rapidement ?

— Jeff est à Los Angeles et Martin est à New York, mais il rentre en fin de semaine.

— Parfait, j'aimerais organiser une séance avec eux. Madame Iron, je gère ça avec vous ?

— Appelez-moi Lucy, je vous en prie, mais oui, je serai votre contact.

— Parfait, dans ce cas, je vais essayer de trouver un créneau la semaine prochaine. »

Un moment plus tard, nous nous retrouvons sur une terrasse en bord de mer. Lucy a commandé une salade César et moi un burger.

« C’est un lent suicide, déclare Lucy en désignant mon assiette.

— Je ne suis pas pressé ! La vache mange l’herbe et moi je mange la vache.

— Celle-là n’a sans doute jamais connu le vrai goût de l’herbe !

— Et tu crois que ta laitue a vu le soleil ?

— Il y a écrit organic[1] sur le menu.

— Alors si c’est écrit…

— Assez de chamailleries, qu’est-ce que tu as pensé de ce Stan.

— J’aime pas trop le style de son coiffeur, plaisanté-je.

— Mike, on parle de ta carrière, là.

— Il a l’air d’apprécier notre musique. Il a écouté tous les morceaux. C’est plutôt bon signe, non ?

— Oui, c’est vrai, ç’avait l’air de lui plaire. On verra bien s’il me rappelle. Tu sais, ajoute Lucy, il a raison, il faut que vous sortiez un peu des petits clubs de Los Angeles.

— C’est toi qui me dit ça ? Tu es notre manager, non ? »

[1] Organic : Bio aux USA

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