San Pedro, Los Angeles

Les cinq bécanes roulaient en formation. Le leader chevauchait une Harley Fat Boy à guidon haut et fourche inclinée. Il portait un gilet sans manches arborant le logo à tête de mort ailée. Derrière lui, ses quatre équipiers suivaient sur deux rangs. Ils arrivèrent devant le bar de Sam Feelgood autour de huit heures, la nuit était déjà tombée depuis un moment.

Nash était arrivé un peu plus tôt, averti par Sam qu’un représentant des Hells Angels acceptait de le rencontrer. Le rendez-vous avait été arrangé dans le bar de Sam, un terrain neutre.

« Ces gars sont susceptibles, avait prévenu Sam, je n’ai aucune idée de la façon dont ils peuvent réagir.

— Je ne cherche pas à leur faire à l’envers, répondit Nash, on parle business, rien d’autre.

— C’est toi qui voit, c’est ton affaire. »

Les cinq hommes pénétrèrent dans le bar et regardèrent attentivement autour d’eux. La salle était à peu près vide, Sam ayant jugé préférable de raccourcir l’happy hour. Satisfait, le chef du groupe demanda à ses hommes de rester au bar et se dirigea vers le fond de la salle. Le barman lui fit signe d’entrer. Nash et Sam étaient seuls dans la pièce. La patron des lieux fit signe au visiteur de venir s’asseoir avec eux.

« Nash, voici Johnny Doyle, il représente ceux qui détiennent la marchandise qui t’intéresse. »

Le motard dévisagea le détective pendant un long moment, semblant hésiter avant de lui accorder sa confiance.

« Johnny, Nash souhaite s’entretenir avec toi. C’est une affaire qui ne me concerne pas, je vais vous laisser en tête à tête. Je vous fait porter des bières.

— Bonne idée, concéda l’ange de l’enfer. »

Deux minutes plus tard, le barman entra avec quatre bouteilles.

« Si vous en voulez d’autre, n’hésitez pas ! »

Les deux hommes, assis face à face, n’avaient pas échangé une parole. Nash essayait de masquer le malaise qu'il ressentait. Il s'était délibérement placé entre deux géants, l'un comme l'autre pouvait le broyer à tout moment. Nash prit une bouteille, son vis-à-vis l'imita. Chacun but une longue gorgée, puis Doyle se lança.

« Parait que tu veux me parler !

— Je ne suis qu’un intermédiaire, mais je suis à la recherche d’un compromis.

— Un compromis ? réagit le biker.

— Je suis en contact avec le patron de la boîte à qui vous avez piqué le camion, l’autre jour.

— Le connard au bolide jaune ?

— Non, plus haut ! répondit Nash avec assurance.

— Et alors ?

— La disparition de sa marchandise perturbe les affaires de Chance. Ils ont des clients qui attendent. Ne pas honorer ses engagements, c'est mauvais pour la réputation.

— Peut-être, mais c’est pas mon problème.

— J’ai dans l’idée que vous n’avez pas le réseau pour écouler l’oxy en si grande quantité, avança Nash.

— Une fois de plus, en quoi ça te concerne ?

— Disons qu’on pourrait essayer de trouver un arrangement gagnant-gagnant.

— De quel genre ? fit Doyle soudain plus intéressé.

— Vous pourriez restituer les médocs contre une commission pour couvrir vos frais, ou bien rendre le plus gros de la came et ne garder que de quoi vous dédommager.

— De quel ordre la commission ?

— Je ne suis pas habilité à vous faire une offre financière ce soir, mais si tu es d’accord sur le principe d’une transaction, alors j’en parlerai à mon client qui vous fera une offre ferme.

— Et si je refuse ta transaction ?

— Mon client fait partie d’une très grosse organisation, je ne pense pas que vous ayez beaucoup à gagner en les affrontant ouvertement.

— C’est une menace ?

— Non, comme je te l’ai dit, je représente une entreprise qui cherche à faire du business sans heurts, ni aléas.

— C’est ça, ils revendent les doses sur Amazon, sans doute, ricana Doyle.

— Ce n’est pas mon sujet. Je te l’ai dit, je suis juste un intermédiaire.

— Moi aussi, je suis un intermédiaire, répondit le biker. Il faut que j’en parle à mes frères. On se revoit demain, reviens avec un chiffre ! »