La faim justifie les moyens
Les goûts et les couleurs dépendent de notre personnalité. Ceux en matière de sexualité ne font pas exception. Plutôt dominé ou dominant ? Plutôt classique ou aventurier ? Vaginal ? Oral ? Anal ? Fétichiste des pieds ? Des aisselles ? Poilues ou imberbes ? Amateur de douche d’urine ou de festin de selles ? Toute paraphilie, même extrême, a ses adeptes.
La mienne s’enracinait dans le contrôle, notion récurrente chez les déviants tel que moi. Contrôle absolu, liberté totale. Aucun « non ». Aucun « demain peut-être ». Aucune fausse migraine. Disposer d’un corps prêt à n’importe quoi. Le caresser des yeux, des mains. Le goûter. Le mordiller. En visiter chaque portion sans la moindre jérémiade avant d’y ajouter un peu de clarté laiteuse. Au choix.
Aujourd’hui, c’était au tour d’Ursula, 45 ans. Un prénom qui n’inspirait aucun désir de prime abord. De plus, à cet âge, je m’attendais à quelques bourrelets zébrés de vergetures abandonnées par au moins une grossesse. Je finis par soulever son haut… Bingo ! Avec les cicatrices de césarienne et d’appendicite en bonus. Néanmoins, Ursula semblait s’être évertuée à conserver sa superbe d’antan. Ongles vernis, mascara, rouge à lèvres discret. Un petit bedon, somme toute raisonnable. Oui, elle ne m’aurait pas attiré à la première œillade, mais je m’attendais à pire. Mais pour être honnête, je n’étais pas regardant sur la qualité dès lors qu’elles acceptaient de jouer le jeu.
Ursula attendait donc bien sagement que j’aille plus loin. La douleur ne fait pas partie de mes « délires ». Je me considèrais davantage comme un homme raffiné, sensuel, certes parfois bestial. Tout est question de dosage.
Je commençais systématiquement par m’asseoir sur le bord du lit afin de contempler la vénusté du jour. Une jolie brune aux reliefs sans démesure. En ce torride mois d’août, elle portait un débardeur orange, un jean classique et des tongs. Que trouverais-je sous le denim ? Suspens.
Mes doigts se firent peigne dans ses cheveux noirs en cascade, lavés du matin, légers, doux. Ushuaïa, senteur ilang-ilang. Mélangée au J’adore de Dior, fragrance commune laissant planer une certaine nostalgie d’anciennes partenaires de passage.
Ma main glissa avec douceur le long de son cou, de son épaule libérée d’une unique bretelle. J’adorais vérifier l’absence de soutien-gorge par l’observation des tétons à travers le tissu. Cela fonctionnait aussi avec les pantalons moulants. Pas de maudit rembourrage pour me priver de ce plaisir succinct. Deux beaux appâts vigoureux n’attendaient plus que bouche et incisives.
La bretelle opposée dévala à son tour un bras bronzé, criblé de nombreux grains de beauté. Puis, je découvris soigneusement sa poitrine si blanche qu’un wonderbra de peau persistait. Les paupières fermées, cime foncée sur la pulpe de mes doigts méticuleux, j'envoyai mes papilles avides, bien que délicates, sentir la suave rugosité.
La peau soyeuse de ses seins et de son abdomen accueillait mes paumes. Mon index fit le tour de son nombril piercé avant de poursuivre dans l’axe. Pas un poil à l’horizon. Enfin, l’obstacle. Le jean. Se mettre nu en un éclair la première fois, quel gâchis monumental ! Il n’y a que les rustres pour arracher tous les pétales d’une fleur à la va-vite.
Lento.
Serpents sinuant dans un terrier rempli de promesses, mes phalanges progressèrent derrière les boutons métalliques, suivies d’un regard. Tanga noir bordé de dentelle. Picotement et relief oblongue... Conclusion : ticket de métro au contour rasé quelques jours plus tôt. Cela me changeait du bosquet de la précédente, détail insignifiant pour un type tout-terrain dans mon genre. En bas, moins de mystère. Une vulve chaude et timidement humide. Banal. Lassant. L’endroit le plus exploré de la planète, sexuellement parlant.
Je décidai alors de la positionner sur le ventre, puis de dégager le rideau de cheveux de son visage. Le fessier manquait de courbures, mais il ferait l’affaire. Le bas de son dos découvert révéla un tatouage floral. Peu m’importait qu’elle en eût ailleurs.
Cette entrée en matière avait privé mon cerveau de sang au profit d’une zone plus éloignée. Mes mains s’insinuèrent sur ses lombes, remontèrent comme celles d’un masseur. Très agréable. Je ne pus m’empêcher de humer à nouveau sa chevelure et sa nuque.
Il était temps de passer aux choses plus sérieuses. Longeant sa colonne vertébrale, mon toucher s’invita sur ses fesses boutonneuses. Les aléas de la réalité. Un index éclaireur s’aventura dans le ravin, comblé par le contact de fermes replis violacés. Cœur souple, donc appréciable. L’ongle rongé disparut, progressivement imité par d’autres centimètres. L’expression d’Ursula demeurait impassible. Même pas un rictus d’une milliseconde. Je ne pus retenir un sourire de satisfaction tandis que je sentais sa chaleur m’avalait l’intégralité du doigt.
Toujours rien.
J’allais et venais, tourbillonnais à l’intérieur. Elle ne pouvait pas mieux démarrer. Un coup d’œil à la pendule m’enjoignit à augmenter la cadence. L’introduction d’une nouvelle triade de phalanges n’était pas négociable, aussi terminai-je mon exploration, doigt indemne.
Pour l'instant, Ursula s'avérait parfaite. Je lui baissai ensuite son pantalon jusqu’aux chevilles puis la positionnai en chien de fusil. Allongé dans son dos, je sortis mon bon ami spéléologue et en appliquai l’enthousiasme gluant sur notre objectif commun.
— Tu es bien partie pour atteindre mon top 10. Mais tant que ce n’est pas fini, tout est possible.
Lubrifié naturellement, je pus insérer ma verge en elle, sans forcer. Je ne forçais jamais. La douleur ne m’excitait pas, qu’elle fût subie comme infligée. Les secondes s’écoulaient, accroissant le rythme du pendule humain que j’étais devenu.
La rareté fait la valeur. L’interdiction crée l’attirance. La braver décuple le plaisir. Plus étroit, plus dépendant du bon vouloir de l’autre, plus adhérent… Tout simplement meilleur qu’un vulgaire vagin, selon moi. Hélas, l’aiguille courait. Cinq minutes encore de passées. Le temps semblait avoir triplé sa vitesse. Ursula tenait le coup. Peut-être jusque l’apothéose.
Je me retirai, la mort dans l’âme, quoique réjoui à l’idée d’écrire le chapitre final. Après un détour par la salle de bain pour restaurer mon outil de travail qui dépassait de la fermeture ouverte, j’approchai ce dernier de sa bouche mi-close. Tel un stick, je déposai mon extrémité luisante sur ses lèvres. Cela faisait l’effet d’un gloss. Je saisis l’une de ses mains, la fis m‘empoigner et la maintins en place en vue de l’aider dans ses mouvements répétitifs.
Plus que quatre minutes. La pression montait. Toute cette agitation entre ses commissures lui donnait des grimaces si comiques que je dus arrêter de la regarder.
Trois minutes.
La tension allait crescendo. Je ne perdrais aucune seconde. Tout serait parfait jusqu’à la fin.
Deux minutes.
Ursula me laisserait bientôt un souvenir indélébile, tout à fait exceptionnel. C’était souvent à ce moment que tout s’effondrait. Mes statistiques ne mentaient pas.
Une minute.
L’idéal existait donc bien. Ursula… Ursula… Ursula…
Trente secondes.
Nulle expression faciale. Nul signe d’une quelconque gêne. Ursula, ma belle au bois dormant !
Vingt secondes.
Mon regard regagna sa bouche rougie par les frottements.
Dix secondes.
Ô reine du sommeil, ô splendeur pétrifiée !
Cinq. Je n’y crois pas.
Quatre. Elle va le faire.
Trois. Mon Dieu…
Deux. Enfin…
Un. Ça y est. Merveilleux !
Zéro. Aaaarrggggh !
Pulsés, les filets blanchâtres recouvrirent ses lèvres, les uns coulant sur sa joue, les autres se volatilisant dans le gouffre à proximité. Orgasme démentiel. L’un des plus intenses de toute mon existence.
Pile dans le timing. Sa montre connectée sonna.
— Fini ! annonça Ursula, rapidement relevée. Sopalin ! Magne-toi !
Je m’exécutai. Lorsque chacun eut terminé de se nettoyer et de se rhabiller, nous nous assîmes face à face, moi sur une chaise, elle sur le lit.
— Alors, c’est qui la meilleure ? Bon, on est d’accord que j’ai respecté tout à la lettre. La tenue, le sommeil profond, et tout le tralala. Toi aussi, t’as été réglo. Tout le monde est content. Maintenant, aboule !
Ursula tendait la main. Je dégainai les cinq cents euros de ma poche pour les lui tendre.
— On peut remettre ça quand tu veux, mon chéri ! C’est quoi le nom pour ce trip déjà ?
— La somnophilie.
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